BFMTV
Séries

Pourquoi le retour de "La Petite maison dans la prairie" déchaîne les conservateurs américains

placeholder video
Le reboot de La petite maison dans la prairie, annoncé par Netflix la semaine dernière, suscite de violentes réactions de la part de conservateurs américains qui fustigent le "wokisme" de la plateforme.

Les fans de Laura Ingalls en salivent d'avance: Netflix a annoncé la semaine dernière une nouvelle adaptation de La Petite maison dans la prairie. La série des années 1970, l'une des plus multirediffusées au monde, est une véritable madeleine de Proust pour plusieurs générations de téléspectateurs.

Elle était tirée d'un roman de Laura Ingalls Wilder inspiré de sa vie, qui raconte, à hauteur d'enfant, la vie d'une petite communauté de pionniers dans le Minnesota, à l'époque de la conquête de l'Ouest, au XIXe siècle. Netflix compte offrir une "nouvelle adaptation" du roman d'origine.

"À la fois drame familial, récit de survie et histoire d'origine, la série offrira une vision kaléidoscopique des luttes et des triomphes de ceux qui ont façonné l'Ouest américain", a ainsi promis la plateforme dans un communiqué.

"Entraide, ouverture sur les autres"

Il n'en fallait pas plus pour susciter une vague de messages haineux sur les réseaux sociaux, s'indignant d'une supposée version "woke" de ce récit avant même d'avoir vu ce que Netflix va faire de l'œuvre.

"Ne touchez pas aux Ingalls!", tempête une utilisatrice ulcérée de X, en réponse au communiqué de Netflix. "Si c'est woke, je résilie mon abonnement à Neflix", grince un autre.

La journaliste conservatrice Megyn Kelly, menace, elle aussi sur X, de "ruiner le projet" si Netflix "wokifie la Petite maison dans la prairie".

"La télévision ne peut pas être plus 'woke' que nous ne l'étions", lui a répondu Melissa Gilbert, qui campait la petite Laura Ingalls dans les dix saisons de la série, de 1974 à 1983, lui conseillant de revoir la série.

"Nous avons abordé le racisme, l'addiction, le nationalisme, l'antisémitisme, la misogynie, le viol, les violences conjugales et tous les autres sujets 'woke' auxquels vous pouvez penser."

"Melissa Gilbert a tout à fait raison", souligne Benoît Lagane, spécialiste des séries dans Télématin sur France 2. "La série de Michael Landon est une série sur l'Amérique des années 1970, et a un côté beatnik, hippie évident".

Ni conservatrice, ni puritaine, la série La Petite maison dans la prairie est bien plus progressiste qu'elle n'en a l'air.

Pour le spécialiste des séries, grand fan de La petite maison, la communauté de Walnut Grove, sorte de "communauté idéale", représente "les valeurs très progressistes que pouvait véhiculer une certaine Amérique qui, à cette époque-là, avait besoin de se ressourcer dans une sorte de mythe fondateur idéal. Mais qui privilégiait l'entraide, l'ouverture sur les autres, l'idée qu'on est tous des migrants, et que l'on est tous libres de pouvoir travailler la terre comme on le veut."

Capitalisme triomphant

Michael Landon, acteur principal de La Petite maison dans la prairie - il incarnait l'incontournable Charles Ingalls - en était également le scénariste, le réalisateur et le producteur. C'est lui qui a insufflé au récit de Laura Ingalls Wilder ces valeurs et l'a enrichi de son vécu et de son histoire personnelle.

"Michael Landon avait un côté anarchiste", souligne encore Benoît Lagane. "Il se méfiait de l'État tout puissant, et pensait que la force de l'humanisme de chacun devait permettre d'aller vers le bien commun".

Issu d'une famille multiculturelle, une mère catholique irlandaise et un père juif ashkénaze, il glisse ainsi dans les épisodes de la série des références à la bigoterie de sa propre mère. Il n'hésite pas non plus à évoquer son alcoolisme, à travers le personnage de Mr. Edwards, ou l'addiction de sa belle-fille dans les épisodes où Albert Ingalls - personnage qui n'existe pas dans les livres - devient dépendant à la morphine.

La Petite maison dans la prairie est également une série contre le capitalisme triomphant. L'ultime épisode montre ainsi les habitants de Walnut Grove préférant faire sauter leur village que de le céder à une grosse société. "Cette scène de l'explosion du village face au grand capitalisme, c'est vraiment ces gens qui croient en la liberté de chacun à s'unir dans l'adversité pour avoir une vie décente".

"En faisant sauter leur village, ils luttent contre le néolibéralisme qui est en train de se mettre en place aux États-Unis avec Reagan et dont Trump n'est que l'héritier."

Les livres de Laura Ingalls Wilder, sans être aussi marqués que la série de Michael Landon dans les années 1970, sont plutôt progressistes.

"La vision du monde de Lauran Ingalls Wilder semble étonnamment humaine, voire socialiste à certains moments. L'Amérique n'aurait pas pu voir le jour sans un effort collectif", analysait ainsi en 2012 la romancière Lucy Ellmann pour le Guardian dans une tribune intitulée "Les livres de la 'Petite Maison dans la prairie', des classiques féministes".

"Les gens qui aujourd'hui essaient de récupérer La Petite maison dans la prairie parce que c'est l'histoire d'une bonne petite famille se trompent totalement sur ce que ça racontait", estime Benoît Lagane.

Amérique rurale

Les attaques contre le reboot de La Petite maison dans la prairie illustrent aussi une question très américaine. Celle d'une Amérique rurale blanche qui se sent oubliée, celle qui a voté massivement pour Donald Trump. Et qui a un peu disparu des écrans.

"Depuis la fin de La Petite maison dans la prairie, jusqu'à la sérieYellowstone, il y a une espèce de trou de représentation de cette Amérique blanche et rurale dans les séries américaines", note Benoît Lagane.

"Cette absence nourrit, parmi d'autres facteurs, ce sentiment de cette Amérique blanche paupérisée qui a l'impression qu'elle n'existe pas".

Longtemps absente du petit écran, ou alors sporadiquement, comme dans Arnold et Willy ou le Cosby show, la diversité est aujourd'hui de rigueur dans les productions des plateformes.

"La critique (à l'encontre d'une nouvelle adaptation de La petite maison par Netflix) vient de ces gens qui se rendent compte que sur Netflix et sur les plateformes, on fait des séries où on met en avant toutes les communautés", conclut Benoît Lagane.

Magali Rangin
https://twitter.com/Radegonde Magali Rangin Cheffe de service culture et people BFMTV