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INFOGRAPHIE - Des 2Be3 à Maneskin... Pourquoi les groupes sont en voie de disparition dans les classements musicaux

Coldplay en concert à Rio de Janeiro le 11 septembre 2022.

Coldplay en concert à Rio de Janeiro le 11 septembre 2022. - Mauro Pimentel - AFP

Longtemps rois des charts, les groupes se font de plus en plus rares dans les classements musicaux. Face à l’essor des artistes solos et à une industrie en quête de rentabilité, ces formations peinent à s’imposer dans un marché toujours plus individualisé.

Des Beatles à Indochine en passant par Maneskin, les groupes de musique ont longtemps régné sur les charts. Mais depuis quelques années, leur présence se fait de plus en plus discrète dans les classements musicaux en France au profit des artistes solos et des featurings.

Selon des données récoltées par BFMTV.com via le Snep, 5,33% des titres classés dans les charts en France en 2024 ont été réalisés par des groupes, contre 45,05% en 1994. En cause notamment des mutations profondes dans la manière de produire, promouvoir et consommer la musique.

Directeur général du label Parlophone, Antoine Gouiffes-Yan reconnaît une "tendance de marché indéniable" au déclin des groupes. "Aux États-Unis, moins de 2% des artistes classés dans le Billboard sont des groupes", indique le spécialiste, dont le catalogue est composé à 10% de groupes.

Un virage influencé par les réseaux sociaux

Pour le directeur général du label Parlophone, ce sont notamment les réseaux sociaux qui ont changé la donne. Là où les groupes n'avaient autrefois pas d'autre choix que de miser sur le live pour se faire repérer, les artistes peuvent désormais se lancer seuls, grâce à TikTok, Instagram ou YouTube, qui sont aujourd'hui les principales sources de découverte de musique chez les jeunes.

"Dans les années 1960-1970, si vous étiez un artiste et que vous vouliez créer de la musique et des albums, vous deviez obligatoirement vous entourer de musiciens et créer un groupe", note Antoine Gouiffes-Yan.

"Maintenant, avec les réseaux sociaux, qui sont par essence des outils extrêmement individualistes, et toutes les aides à la création numérique, vous avez la facilité de pouvoir créer votre univers sans l’aide de tiers. Ça favorise de facto l'émergence d'artistes solos", poursuit-il.

Un constat partagé par Loïc Dumoulin-Richet, auteur du podcast Cd2titres, qui revient sur l'histoire des tubes qui ont marqué les années 1990 et 2000. "Avant il y avait un peu ce cliché de 'on se met ensemble pour être plus fort pour créer des chansons'. Mais, aujourd’hui, tout seul on peut faire beaucoup de choses", précise-t-il.

Des réalités économiques peu favorables aux groupes

L'évolution de l'économie de l’industrie musicale joue aussi contre les groupes. Pour les maisons de disque, signer un groupe est désormais devenu un pari plus coûteux et risqué: plusieurs contrats à gérer, plusieurs avances à verser, plusieurs cachets à payer en tournée...

"Ça coûte cher de produire un groupe", affirme Loïc Dumoulin-Richet. "Il y a quelques années, j'ai managé un groupe de rock, ils étaient cinq. Et pour le tourneur, c'était vachement moins avantageux d'avoir cinq personnes sur la route parce que ça veut dire cinq cachets à payer en plus de ceux des techniciens, etc..."

Même constat du côté des labels, où la signature d’un groupe peut représenter un défi supplémentaire, notamment sur le plan humain, en cas de tensions. "Techniquement parlant, c'est plus difficile de signer un groupe qu'un artiste solo", explique Antoine Gouiffes-Yan."Vous avez plusieurs individualités et donc un risque de conflit plus important".

"Je pense qu'un groupe ça a par définition une date de péremption", abonde Loïc Dumoulin-Richet. "Les dynamiques ne sont pas faites pour durer très longtemps, en termes de pressions, de jalousies qui peuvent se créér".

Ainsi, même les groupes qui parviennent à faire carrière en restant en bon termes sont souvent tentés par l’aventure solo. En 2024, Damiano David, chanteur du groupe italien Maneskin, révélé par sa victoire à l’Eurovision, s'est par exemple lancé dans une carrière seul.

Une évolution des genres et des formats qui favorise l’individualité

Mais, selon Loïc Dumoulin-Richet, cette domination des artistes solos dans les charts s’explique aussi par l’évolution des genres musicaux consommés par les auditeurs. "Aujourd’hui, quand on voit les artistes qui cartonnent le plus ce sont ceux qui font ce qu'on appelle un peu bêtement de la musique urbaine (rap, R&B...)", indique le spécialiste. Des genres musicaux peu portés par des groupes à l’inverse du rock, de la pop ou du punk à l'époque.

Dans ce contexte, certaines maisons de disques tendent de plus en plus à privilégier les artistes solos, moins coûteux, plus simples à encadrer, souvent plus autonomes dans leur processus de création.

"Il y a de plus en plus d'artistes qui arrivent en label, qui ont déjà leur communauté, qui ont déjà réalisé des projets et qui vont signer en licence. C'est à dire qu'ils apportent leur musique déjà toute faite et le label se charge uniquement de la sortie et de la promo", précise Loïc Dumoulin-Richet.

Plutôt que de miser sur un groupe à long terme, les maisons de disques favorisent également les collaborations ponctuelles ou les featurings, plus faciles à mettre en place, et souvent plus performantes sur les plateformes.

"Ce genre de collaboration explose car en associant deux ou trois artistes, vous multipliez de manière très pratique les audiences", indique Antoine Gouiffes-Yan.

"Vous avez donc une capacité d'émergence de votre musique plus forte, surtout sur un marché extrêmement saturé où il faut beaucoup de viralité et beaucoup d'engagement dès le lancement du titre pour pouvoir pour exister", ajoute le DG du label Parlophone.

Vers un renouveau des groupes?

Mais tout n’est pas perdu pour autant pour les groupes. À l'instar de stars comme Coldplay, Indochine, Linkin Park, ou des groupes de K-pop comme Blackpink ou BTS, certaines formations historiques continuent de remplir les stades et de cartonner dans les classements musicaux.

"La plus grosse tournée de l'année en France, c’est celle d’Indochine, la tournée la plus lucrative de l'histoire c’est celle de Coldplay et la K-pop ça remplit les plus grandes salles du monde", assure Loïc Dumoulin-Richet.

Certains indices laissent ainsi entrevoir un possible retour des groupes dans les classements musicaux dans les années à venir. "La musique est toujours faite de cycles", affirme Antoine Gouiffes-Yan. "À chaque fois qu'on dit que quelque chose va disparaître, ça n'est jamais vraiment arrivé".

"Pendant un temps le rock était hyper à la mode puis il a été complétement supplanté par le hip hop et il a fait un retour il y a quelques années. Du côté de la pop, on croyait que les popstars féminines c'était terminé, puis en fait il y en a plein qui pullulent en ce moment et qui offrent d'autres modèles, comme Charli XCX. Ce qui est génial avec la musique et les formats artistiques, c'est que ça évolue et ça sera jamais terminé", abonde Loïc Dumoulin-Richet.

Antoine Gouiffes-Yan parie même quant à lui sur un véritable "renouveau" des groupes de musique dans les années à venir: "quand vous êtes sur un marché ultra saturé d'artistes solo, pour pouvoir émerger vous avez aussi besoin d'être différent, d'avoir plus de singularité, d'aspérité".

"Est-ce qu'arriver dans quelques années avec un projet du groupe avec une vraie identité, un vrai ADN artistique, ne serait pas justement le moyen de pouvoir émerger dans un océan d'artistes solos qui se ressemblent?", conclut le spécialiste.

Carla Loridan avec Théophile Magoria