"Il n'aimait pas le ski": quand Michel Blanc tournait "Les Bronzés font du ski"

Michel Blanc dans le film "Les Bronzés font du ski" - Studio Canal
C'est son rôle le plus connu. Son interprétation de Jean Claude Dusse, dans Les Bronzés font du ski, en a fait un des acteurs préférés des Français. Mais ce rôle, inspiré des personnages d'hypocondriaques malheureux en amour de Woody Allen, lui a collé à la peau toute sa vie.
Patrice Leconte, le réalisateur de cette comédie culte avec la troupe du Splendid, raconte dans notre podcast Comédies Club ses souvenirs du tournage des Bronzés font du ski. Patrice Leconte connaissait bien Michel Blanc, avec qui il a tourné huit films en trente ans, dont Viens chez moi, j'habite chez une copine en 1981 et Monsieur Hire en 1989.
Michel Blanc avait, raconte le cinéaste, un point commun avec Jean-Claude Dusse: contrairement à ses camarades du Splendid, détestait le ski! "Il était assez timoré. Il n'aimait pas le ski. Ça ne l'intéressait pas plus que ça. Je me souviens de lui habillé comme un jockey de concours hippiques et faisant du ski, jouant le jeu, mais sans grand plaisir."
"D'ailleurs, je ne sais même pas - mais maintenant on peut plus demander, hélas - si depuis Les Bronzés font du ski, il est quelquefois retourné à la montagne pour le plaisir de faire du ski. À mon avis, jamais." Et d'ajouter: "Michel était citadin. Aller à la campagne, au bord de la mer, faire du ski, ça ne le tentait pas."
Atmosphère joyeuse
Si l'écriture des Bronzés font du ski est collective, Michel Blanc s'inspiré de sa propre expérience pour imaginer le personnage de Jean-Claude Dusse. "Il a amené des petits bouts de dialogues, de trucs, des formules à l'emporte-pièce. Chacun a mis son petit grain de sel pour s'approprier encore plus les personnages."
Le tournage, à Val d'Isère (Savoie), se déroule dans une atmosphère extrêmement joyeuse. "Le groupe était très, très uni. Le soir, on se retrouvait dans le même bar pour boire des gin tonic. (Michel Blanc) n'était pas dans son coin, pas du tout. C'était un homme de troupe", se souvient Patrice Leconte.
"Malgré le froid, il y avait d'un bout à l'autre du tournage un réel plaisir, une réelle gaieté à faire ce film. Et Michel n'était pas le dernier à rire. Il est assez rieur et il y a eu des trucs un peu au bord du fou rire", poursuit le réalisateur, qui devait "se mordre l'intérieur des joues au sang" pour ne pas rire à leurs facéties pendant les prises.
Une scène "un petit peu enquiquinante"
Seul point noir de ce tournage: la célèbre séquence du télésiège, qu'il fallait tourner de nuit. Or Michel Blanc détestait tourner la nuit. "C'était une scène un petit peu enquiquinante pour lui à tourner parce qu'il était sur un télésiège, la nuit, et il faisait froid", résume Patrice Leconte.
"Il n'était pas question de le faire redescendre ou de le faire remonter à l'endroit qu'on avait prévu. Donc il est resté suspendu là assez longtemps. On lui avait quand même donné une ficelle pour qu'il puisse remonter une boisson chaude pour ne pas se geler. On ne l'a pas maintenu sur ce télésiège pendant une nuit entière", rassure-t-il.
Au début, ce n’était pas Quand te reverrai-je, pays merveilleux? que devait chanter Michel Blanc. Une autre chanson était prévue lors du tournage, Etoile des neiges, une célèbre valse allemande devenue un tube en France dans les années 1950 avec Jacques Hélian puis Line Renaud.
"Une fois rentré à Paris, au montage, on a appris que les droits pour utiliser Etoile des neiges étaient astronomiques. Donc avec (le compositeur) Pierre Bachelet, on s'est amusé à faire un truc qui colle. Ce sont les mêmes rimes, la même mélodie, mais à l'envers! Je suis sûr qu'il y a des gens qui pensent qu'il chante Etoile des neiges."
"Au tournage, on trouvait ça bedonnant"
La troupe tourne tant que le premier montage dure 2 heures. Une demi-heure de rushes, désormais disparue, est coupée en post-production. "Si on a coupé des scènes, c'est parce que ce n'était pas fameux", souligne Patrice Leconte. "Elles étaient moins drôles que d'autres et on a préféré garder le meilleur."
"J'ai des souvenirs de scènes qu'on a tournées avec Thierry Lhermitte dans la cabine du téléphérique. Il a dans les bras le chien de Gigi et le chien se met à péter et tout le monde pense que c'est Thierry Lhermitte qui pète. Mais ça ne marchait pas du tout, Ce n'était pas drôle. Au tournage, on trouvait ça bedonnant..."
Les Bronzés du ski sort en novembre 1979. En salles le succès est au rendez-vous. Mais avec 1,5 million d’entrées, c'est en deçà des 2,8 millions du premier volet. Vu ensuite des millions de fois à la télévision, à la faveur de dizaines de rediffusions, le film est pourtant devenu culte. Et beaucoup connaissent les répliques par cœur.
En particulier celles de Dusse. "Écoute Bernard, j'crois que toi et moi, on a un peu le même problème. C'est-à-dire qu'on peut pas vraiment tout miser sur notre physique, surtout toi. Alors si je peux me permettre de te donner un conseil, c'est: oublie que t'as aucune chance, vas-y fonce ! On sait jamais, sur un malentendu, ça peut marcher!"
Autodérision
Avec le recul, le personnage de Jean-Claude Dusse semble être le plus populaire des Bronzés. Sans doute grâce à l’interprétation tout en autodérision de Michel Blanc. "En tant que personnage, c'est sans doute celui qui reste davantage que les autres", acquiesce Patrice Leconte. "Mais en termes de notoriété d'acteurs, ils sont tous à égalité."
La popularité du film a longtemps été une malédiction pour Michel Blanc. "J'explique souvent que jusqu'à Grosse Fatigue, tous les films que j'ai faits, y compris Marche à l'ombre, sont des films d'un certain type qui m'ont bloqué l'accès aux films d'auteur", avait-il estimé dans une interview réalisée en 2023 pour ce podcast.
"Des films d'auteur, j'en ai fait avant que Jean-Claude Dusse ne naisse", avait-il poursuivi. "Par exemple, dans le film de Claude Miller, La Meilleure façon de marcher, j'avais un rôle qui était quand même important. (J'avais aussi) fait deux films avec Tavernier (Que la fête commence..., Des enfants gâtés), un autre avec Polanski (Le Locataire)."
Un acteur très populaire
Indissociable du personnage de Jean-Claude Dusse, il était impossible de l'employer dans un rôle sérieux, au risque de "casser un petit peu" les films d'auteur qui auraient eu besoin de ses talents d'acteur, avançait-il encore. "Je n'ai dû mon retour dans le cinéma dit d'auteur qu'au prix d'interprétation à Cannes, avec Tenue de soirée."
"Les gens - même mon boucher ! - se sont dits 'C'est un acteur!'. Mon boucher, quand je suis rentré de Cannes, je suis allé à acheté mon steak, et il m'a dit 'Mais en plus, vous êtes un acteur!' C'est ça qui m'a fait beaucoup rire."
Mais malgré les efforts de Michel bLanc pour changer de registre, de L'Exercice de l'Etat aux Témoins, Jean-Claude Dusse l'a poursuivi toute sa vie. Lors de son enterrement, des dizaines de personnes sont venues déguisées en Jean-Claude Dusse. L'une d'entre elles a même chanté dans l'église Saint-Eustache Quand te reverrai-je, pays merveilleux?.
"Ça m'a beaucoup touché parce que d'un seul coup je visualisais à quel point c'était un acteur très populaire. Les gens aimaient beaucoup Michel Blanc. Cette foule autour de Saint-Eustache, c'était émouvant, parce que ces gens, en étant là, lui montraient qu'ils l'avaient beaucoup aimé", conclut Patrice Leconte.