BFMTV
Cinéma

Comment "Joker: Folie à deux" prend le contrepied du premier volet

placeholder video
Le nouveau film avec Joaquin Phœnix, en salles ce mercredi déjoue les attentes des fans du premier volet.

Attendue depuis près de cinq ans, la suite de Joker débarque en salles ce mercredi. Annoncée comme un film musical, avec la superstar de la pop Lady Gaga en Harley Quinn, cette superproduction subvertit, comme le premier volet, les codes du film de superhéros et propose une relecture provocatrice de l'ennemi juré de Batman.

Toujours réalisé par Todd Phillips (Very Bad Trip), et porté par un Joaquin Phœnix plus malingre que jamais, Joker: Folie à deux prend le contrepied du premier film dont il piétine toutes les pistes prometteuses. Comme si Folie à deux avait été conçu pour déjouer les attentes et surtout décevoir, voire agacer les fans du premier film.

Personnage terrifiant

Ce choix particulièrement osé, et complètement inédit dans l'histoire du blockbuster contemporain, où les suites sont de plus en plus critiquées pour leur manque d'originalité, a décontenancé la presse anglo-saxonne après la présentation du film à la Mostra de Venise. Pour comprendre cette décision, il faut remonter à la sortie de Joker en 2019.

Joker se terminait avec le triomphe de son héros. Humoriste raté, brimé par une mère étouffante et méprisé par la société, Arthur Fleck prenait sa revanche en s'imposant en héros anarchiste mettant le feu aux poudres et en insufflant un vent de révolte dans Gotham.

Un destin en accord avec ce personnage terrifiant, imaginé en 1940 par Bob Kane, Bill Finger et Jerry Robinson et inspiré par L'Homme qui rit de Victor Hugo. En 2007, en pleine "guerre contre la terreur" et Al Qaïda, Christopher Nolan avait déjà livré dans The Dark Knight une mémorable interprétation du Joker (incarné par Heath Ledger) en terroriste insaisissable commettant de manière aléatoire des attentats pour déstabiliser Gotham.

Potentiels débordements

En pleine présidence Trump, en 2019, le Joker version Todd Phillips avait, lui aussi, saisi l'air du temps en s'inspirant de la montée du populisme sur fond d'inégalités sociales béantes. Mais le film, récompensé à la Mostra de Venise d'un Lion d'or, avait suscité des critiques virulentes sur sa violence parfois jugée gratuite et "la dangerosité de son traitement du héros psychopathe, jugé trop léger", rappelle Libération.

Joker avait ainsi été accusé de présenter son "héros" comme un modèle pour les tueurs de masse et les incels, mot valise anglais "involuntary celibate" (célibataire involontaire), désignant des hommes qui expriment en ligne leur haine des femmes. Le FBI s'était inquiété de potentiels débordements sur le sol américain. Et l'avant-première du film s'était déroulée sous surveillance policière.

Tous craignaient des "copycats killers", des tueurs imitant la fiction. Taxi Driver, l'une des influences de Joker, avait lui-même inspiré la tentative d'assassinat de Ronald Reagan par John Warnock Hinckley en 1981. Et en 2009, Fight Club, un autre film très prisé des incels, avait incité un adolescent à préparer un attentat à la bombe artisanale à New York. En Corée du Sud, Joker a inspiré un YouTubeur masculiniste à se déguiser comme le personnage avant d'inciter à la violence envers les femmes.

Personnage mutique

Cinq ans après, Joker: Folie à deux sort dans un contexte tout aussi tendu qu'en 2019, en pleine campagne électorale, alors que le candidat Donald Trump a été visé par deux tentatives d'assassinat. Et si Todd Phillips a affirmé à la Mostra de Venise que son nouveau film n'était "pas une réponse aux critiques" du premier film, Joker: Folie à deux vise bien à détruire la fascination suscitée par Arthur Fleck chez de nombreux incels, en remodelant le personnage.

L'intrigue de Joker: Folie à deux débute deux ans après le premier volet. Interné dans l'asile d'Arkham, où il dépérit, Arthur Fleck est jugé pour les cinq meurtres perpétrés dans le premier volet. Il décide d'assurer sa défense alors qu'il noue une relation amoureuse avec une femme fascinée par lui et ses actes terroristes, Harley Quinn (Lady Gaga).

Dans Folie à deux, le Joker n'apparaît plus comme un dangereux sociopathe ou un anti-héros anarchiste se révoltant contre un système injuste et déshumanisant. Le personnage est au contraire souvent mutique et lent, à l'image du film. Il n'est plus que l'ombre de lui-même avant de retrouver goût à la vie grâce à l'amour.

La violence a par ailleurs complètement disparu à l'écran - à l'exception de la scène d'introduction, un cartoon façon Looney Tunes imaginé par le réalisateur français Sylvain Chomet (Les Triplettes de Belleville). Le Joker y affronte son moi intérieur, symbolisé par une ombre aux pulsions meurtrières.

Lady Gaga figurante

Alors qu'il suscite la fascination d'une partie des habitants de Gotham et de Harley Quinn, Arthur Fleck veut en réalité montrer son vrai visage. Déjouant les pronostics des médecins qui le présentent comme fou et schizophrène, il insiste auprès de tous pour se présenter comme un homme ordinaire. "Il n'y a pas de Joker", avoue-t-il au terme de son procès. Une déclaration qui suscite la sidération de ses soutiens et de Harley Quinn, qui l'abandonnent. Et le conduit à un destin tragique.

Ce choix a profondément déçu les critiques. D'autant plus qu'il n'apporte rien au récit, déplore notamment sur le site Indiewire le critique David Ehrlich. "Le film est culotté de déjouer les attentes (...) mais il n'a pas assez réfléchi à ce qu'il pouvait proposer de plus intéressant à la place (...) On dirait qu'ils ont fait exprès de faire un mauvais film. C'est un film vide de sens imaginé pour énerver les fans et ennuyer les autres."

Todd Philipps déjoue aussi les attentes en réduisant Lady Gaga à l'état de figuration. Alors que Joaquin Phoenix est de tous les plans de ce film de 2h20, plusieurs personnages de l'univers de Batman, du procureur Harvey Dent (Harry Lawtey) au geôlier de la prison d'Arkham (Brendan Gleason), volent la vedette à Harley Quinn.

Lors du procès du Joker, la comédienne est condamnée à rester assise parmi le public du tribunal sans rien faire, dénonce encore le critique David Ehrlich: "En théorie, c'est une idée diablement chaotique pour embêter le public de reléguer Lady Gaga aux marges, (mais) dans les faits, cette décision (...) est un acte bien plus criminel que tout ce que fait Arthur Fleck dans ce film."

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV