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Cinéma

"BigBug", le retour gagnant de Jean-Pierre Jeunet après dix ans d’absence

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Le réalisateur du "Fabuleux destin d'Amélie Poulain" revient derrière la caméra avec une comédie de SF sur les dangers de l’intelligence artificielle.

Réalisateur de l'un des plus gros succès du cinéma français, Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet s'est retrouvé presque une décennie sans tourner après l'échec de L'Extravagant Voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet en 2013. Le cinéaste connu pour ses univers baroques revient enfin ce vendredi 11 février par la grande porte et sur Netflix avec BigBug, une comédie de SF où des robots domestiques prennent en otage leurs maîtres.

Pour les besoins de ce conte cauchemardesque, le cinéaste a épuré sa mise en scène souvent accusée d'être ampoulée. "C’est presque un retour aux sources, tout étant un peu différent. C’est une comédie noire et cynique comme Delicatessen (1991) et en même temps le film le plus chatoyant qu’il ait jamais fait", résume Jean-Christophe Spadaccini, chef maquilleur de BigBug et l'un de ses plus anciens collaborateurs.

Jeunet n'a pas été inactif en attendant BigBug. Il a réalisé des pubs et un court-métrage en stop-motion, signé le pilote d'une série sur Casanova, finalement retoqué, et organisé une exposition sur sa carrière avec son complice Caro. Il a même écrit ses mémoires, Je me souviens, 500 anecdotes de tournage.

Mais le cinéma restait hors d'atteinte: "C’était épouvantable", se souvient-il. "J'avais fait le plus grand succès de l’histoire du cinéma en langue française et on me faisait encore chier!". Il a finalement a jeté son dévolu sur BigBug, encouragé par Isabelle Nanty. Mais tous les producteurs parisiens ont refusé le scénario:

"J'entendais les mêmes phrases que pour Delicatessen. Sauf qu'en trente ans, la situation a empiré! Maintenant, c'est le marketing qui a pris le pouvoir. Il y a quelque temps, on parlait encore à des gens. Maintenant, ce sont des comités de lecture qu’on ne rencontrera jamais."

Jean-Pierre Jeunet allait renoncer, lorsque Netflix l'a appelé en lui demandant s'il n'avait pas un scénario sous le coude. Officialisé en novembre 2019, le film voit sa préparation interrompue par la pandémie, au printemps 2020. En août 2020, le tournage commence dans une atmosphère étrange, qui rappelle au casting et à l'équipe les mois passés en confinement. BigBug n’est alors plus complètement de la SF.

Perfectionniste et minutieux, Jeunet vit le tournage comme une épreuve. "Le film est un huis clos. Il ne fallait pas que ça ressemble à de la télé." Sur le tournage, il se lève chaque jour à quatre heures du matin pour réécrire le scénario. "Jamais je n’ai remis un scénario autant en question", explique le réalisateur. "Comme c’était en lieu clos, j’avais très peur de me répéter."

"Il était assez tendu au départ", confirme Aline Bonetto, sa fidèle cheffe décoratrice. "Ce film sortait un peu de son univers. Il avait une forme d'appréhension sur la manière dont il allait aborder ce monde." Jeunet, qui s’est inspiré de The Servant et de Marie-Octobre, deux célèbres huis clos à la mise en scène soignée et épurée, et aux cadrages précis et variés, n’a pas adapté sa mise en scène à Netflix:

"Je ne pense pas au 20% qui le regarderont sur leur téléphone. Les autres regardent sur de grandes télés. En plus, Netflix est hyper exigeant en qualité. Ils font chier pour le moindre pixel. S’il y a un pixel mort [un pixel défaillant, NDLR] dans une image, ils refusent le film."

Jeunet sait aussi qu’il joue gros avec BigBug. Après quarante ans de carrière, le cinéaste parvient encore à se renouveler, en tournant le dos à son habituelle palette sépia, qu’il troque pour un univers vintage très coloré. "C’est le futur tel qu’on l’aurait imaginé dans les années cinquante et soixante", analyse Jean-Christophe Spadaccini. "Il ne voulait pas raconter un futur monochrome", ajoute Aline Bonetto. "On voulait rester dans l’univers du conte, avec beaucoup de couleurs chaudes, pour éviter de basculer dans le cauchemar."

Pour les besoins du film, les pros des effets spéciaux Jean-Christophe Spadaccini et Pascal Molina ont conçu plusieurs robots réellement opérationnels, dont Einstein, doublé par André Dussollier. "J’ai rêvé pendant trente ans de pouvoir faire un robot humanoïde comme celui-là", s’enthousiasme Pascal Molina, qui travaille avec Jeunet depuis La Cité des enfants perdus (1995). "Jean-Pierre voulait un amalgame de pièces mécaniques qui forment un visage." Einstein est une prouesse technique, avec plus de 80 moteurs.

Les robots de Jeunet dérangent. Et constituent l'une des raisons de sa difficulté à monter le projet. Certains sont incarnés par des comédiens en chair et en os (Claude Perron, Alban Lenoir et François Levantal). À l'origine, personne ne voulait les jouer. "J’ai contacté beaucoup de stars qui ont eu peur", s'amuse Jean-Pierre Jeunet. "Certaines stars ont eu peur de jouer un robot et ont refusé le scénario. Ce que font François Levantal, Alban Lenoir et Claude Perron, c'est costaud."

Dans BigBug, les robots menacent de prendre le pouvoir. Jeunet se montre assez optimiste sur l’avenir de l’intelligence artificielle, qu’il voit aussi stupide que l’homme et donc voué à s’autodétruire. Son équipe se montre plus pessimiste que lui. "Le prochain tsunami qui va bouleverser notre société sera l’intelligence artificielle", assure Aline Bonetto.

L'actrice Claude Perron et les robots de "BigBug", le nouveau film de Jean-Pierre Jeunet
L'actrice Claude Perron et les robots de "BigBug", le nouveau film de Jean-Pierre Jeunet © Copyright Bruno Calvo /Netlix
"Dans les 5 à 10 prochaines années, on va aller très loin dans les "deep learning" [algorithmes capables de mimer les actions du cerveau humain, NDLR] et dans l’évolution de l’intelligence artificielle", renchérit Pascal Molina. "On va être très surpris par l’intelligence artificielle. La machine va être très loin devant l’homme et d’ici très peu de temps."

Satisfait de BigBug, mais conscient qu'il s'apprête à recevoir quelques critiques salées, comme pour chacun de ses films, Jean-Pierre Jeunet se montre assez serein pour la suite de sa carrière. Entre le circuit classique et Netflix, il ira vers celui qui lui tendra les bras. "Si ça peut être Netflix, je serai ravi. Ça s'est passé super bien. Ils m’ont donné l’argent qu’il fallait, ils m’ont laissé une liberté totale."

Le réalisateur de 68 ans a des idées, mais il ne préfère pas en parler tant qu'elles ne sont pas plus concrètes. Une chose est sûre: il a abandonné son projet de suite d'Amélie Poulain en documentaire. "Je n’ai pas réussi à trouver le financement. C’était tellement original que tout le monde l’a refusé! Ça n’allait pas rapporter d’argent de toute manière."

Jeunet savoure pour l'heure la sortie virtuelle de BigBug, qui pourrait lui permettre de décrocher le plus gros succès de sa carrière. "Le réalisateur Alain Corneau m’avait dit, 'Plus tu vieillis, plus la sortie d’un film est stressante'. Là, il n'y a rien de tout ça. Il y a 550 millions de spectateurs potentiels. C’est génial. Et le film sera toujours disponible."

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV