BFMTV
Cinéma

"Bad Buzz", la comédie ratée d'Éric et Quentin: "C'est une sorte de suicide artistique"

Eric Metzger, Razane Jammal et Quentin Margot dans "Bad Buzz"

Eric Metzger, Razane Jammal et Quentin Margot dans "Bad Buzz" - EuropaCorp

Dans les coulisses des comédies françaises (7/11) - Cet été, BFMTV vous dévoile les secrets de films comiques français hors-normes, cultes ou insolites. Aujourd’hui, Bad Buzz, le nanar trash d’Éric et Quentin.

Rarement un film aura aussi bien porté son nom. Flop retentissant de l’année 2017, Bad Buzz fait partie de ces films tellement honnis qu’ils ont été reniés par leurs créateurs et qu’ils n’ont jamais été édités en vidéo. Tentative d’humour trash à l’américaine à la Mary à tout prix, cette comédie potache écrite et interprétée par les humoristes Éric et Quentin a suscité l’effroi chez les rares téméraires qui l'ont vue.

Après la publication d’une photo compromettante les montrant en plein acte sexuel avec un chien et déguisés en nazis, deux animateurs d’une émission pour enfants cherchent à se réhabiliter en multipliant les bonnes actions. S'ensuit une série de gaffes et de quiproquos qui ne font qu’aggraver leur situation et repoussent les limites du bon goût.

Obtenir des informations sur Bad Buzz s’avère difficile. Si Éric et Quentin ont assuré dans Technikart être "fiers" de ce film "trash et transgressif", le duo n’a pas répondu à nos demandes d’interviews. Le réalisateur Stéphane Kazandjian (Sexy Boys) et le producteur Abel Nahmias (La Beuze, Cinéman) ont également refusé. En tout, une dizaine de personnes ont refusé de nous parler. "C'est tabou. Il y a une omerta autour du film", nous a prévenu une membre de l’équipe.

"Une illustration du vide que le buzz représente"

Bad Buzz naît en 2016 sous l’impulsion d'Abel Nahmias, le producteur de La Beuze (2003) et des Onze Commandements (2004) avec Michael Youn. Fan d’Éric et Quentin, qui cartonnent alors avec leurs pastilles humoristiques diffusées dans Quotidien sur TMC, il leur propose de faire un film. "L’idée était de retranscrire leur univers dans un format long, de faire une comédie absurde et décalée, au sixième degré", raconte un collaborateur du producteur.

Nahmias leur laisse carte blanche: "On a pensé à la vidéo du couturier John Galliano filmé alors qu’il était ivre", se souvient Éric dans le dossier de presse. "Elle a fait le tour des réseaux sociaux et provoqué sa chute quasiment en une nuit. De là on a imaginé un pitch: deux présentateurs télé victimes d’un bad buzz ont quarante-huit heures pour sauver leur carrière et leur vie privée." Très occupés par Quotidien, le duo écrit la nuit. Novices dans l’exercice, ils ne se mettent aucune limite et sont épaulés par Stéphane Kazandjian, Flora Desprats-Colonna et Coline Dussaud.

Quentin Margot et Eric Metzger dans "Bad Buzz"
Quentin Margot et Eric Metzger dans "Bad Buzz" © |Copyright EuropaCorp Distribution

Connu pour Sexy Boys, équivalent français d’American Pie, et pour avoir écrit Pattaya et Taxi 5 de Franck Gastambide, Stéphane Kazandjian réunissait les trois qualités requises pour mettre en scène Bad Buzz, détaille une membre de l’équipe: "Abel cherchait quelqu’un à l’aise avec la comédie, quelqu’un qui adhérait à l’humour d’Éric et Quentin et quelqu’un de disponible en juillet et août." Le réalisateur est, lui, séduit par le "sous-texte" du film: "une illustration par l’absurde du vide que le buzz représente", analyse-t-il dans le dossier de presse.

Selon lui, Bad Buzz évite tout humour trash et gratuit: "Je ne voulais pas perdre de vue la tendresse des personnages. Éric et Quentin l’ont naturellement. Ils sont sympas, ont ce côté gamin, une forme de naïveté un peu enfantine qui permet de verser dans le trash sans choquer." Le scénario terminé, il en est très satisfait: "Bien [qu’il] soit très séquencé, il y a un fil conducteur. Eric et Quentin ont su éviter l’écueil du film à sketchs. Venant du format court, c’était le piège."

Le duo n’a cependant pas le temps de peaufiner l’écriture. Quotidien reprenant l’antenne en septembre, le tournage doit impérativement avoir lieu pendant l’été. La préparation se déroule dans l’urgence. Les moyens sont réduits, avec seulement quatre semaines de tournage prévues. L’accessoiriste Alexandre de Susine, élément essentiel de cette comédie burlesque, est contacté "en catastrophe une semaine avant le début du tournage": "Ça a été un peu de la débrouille, à tous les niveaux."

"On a assez vite pensé à 'La Cité de la peur'"

Le tournage se déroule dans une ambiance chaleureuse. "Tout le monde avait envie de faire le film", insiste Alexandre de Susini. "Le scénario était plutôt rigolo. Les quelques rushes qu’on nous a montrés, comme les funérailles où ils font cramer la grand-mère, nous ont fait mourir de rire." "La scène avec le faux chat qui mord les couilles de Quentin, c’était drôle", renchérit une autre collaboratrice. "On avait l’impression de faire quelque chose de débridé", poursuit Laurent Benaïm, ingénieur du son. "On a assez vite pensé à La Cité de la peur."

Malgré la fatigue après une saison de Quotidien, Éric et Quentin sont très à l’écoute: "Ils étaient tous les deux extrêmement sympas, intelligents, drôles", indique une membre de l’équipe. "Surtout Quentin. Il faisait vraiment attention à ce qu’il faisait. Il était dans une recherche. Quand un truc n’allait pas, il demandait à le refaire." Sur le tournage, Éric et Quentin "bossent comme des dingues" pour améliorer un scénario qu’ils savent perfectible.

Beaucoup de gags sont improvisés - en dehors du tournage, entre deux prises ou même pendant les prises. Peut-être un peu trop: "Petit à petit, on s’est écarté du film", regrette Laurent Benaïm. "On était plus dans un exercice d’humour. Il n’y avait pas assez de liens narratifs pour tenir l’histoire sur la longueur. Pour faire un film, il fallait autre chose qu’ils n’avaient pas."

Au fil des jours, les faiblesses du scénario se font de plus en plus sentir. Les gags ne fonctionnent pas comme espéré, souvent à cause du manque de moyens et de préparation. "Je me souviens avoir dû faire une croix en urgence un matin. Ils voulaient un plan large dans le cimetière où Éric chasse le chat avec une énorme croix noire. Tout ça a disparu, car elle n’était pas très solide", s’amuse Alexandre de Susini. La bonne humeur du duo s’étiole. "Au début, Quentin parlait à tout le monde, il s’éclatait, puis pendant le tournage, il a commencé à être moins présent, à moins déconner, à être fatigué."

"C’est quoi cette blague de merde?"

L’univers malaisant et grinçant du film prend le dessus. Sur le plateau, l’inquiétude monte parmi les techniciens: "Lorsqu'on tournait la scène de la fête où Éric et Quentin font la photo inopinée avec le salut nazi et le chien, on se disait, 'C’est quoi cette blague de merde?', mais comme on voyait que ça en faisait rire certains, on ne se posait pas de questions."

"J'ai commencé à avoir un léger doute quand ils nous ont fait retourner des scènes très trash, à l'initiative du producteur", se souvient une autre membre de l’équipe. "C’était la scène à l’hôpital où il a sa montre perdue au fond de l’anus. Il nous a fait refaire des gros plans. Je trouvais que ce n’était pas nécessaire. Je ne suis pas particulièrement prude, mais là, je me suis dit que ce n’était pas une bonne chose à faire. Le film n’avait pas besoin de ça. C’était suffisamment drôle dès le départ." L’équipe est d’autant plus décontenancée qu’il est souvent impossible de savoir ce que pensent Éric et Quentin de ces gags.

La séquence qui nécessite le retournage le plus important est celle de la station-service, où Éric et Quentin aident un adolescent atteint de trisomie 21 à uriner. La blague repose sur le généreux appendice du garçon, que nos deux héros manient avec difficulté, et qui les arrose copieusement d’urine. Mais la scène n’allait pas assez loin pour Abel Nahmias qui exige des gros plans explicites du sexe, pour la rendre plus trash. L’équipe tombe des nues: "On s’est quand même tapé une journée de tournage supplémentaire juste pour filmer une bite!"

Quentin Margot dans "Bad Buzz"
Quentin Margot dans "Bad Buzz" © Copyright EuropaCorp Distribution

Alexandre de Susini construit une prothèse "magnifique", moulée sur le sexe de l’acteur porno Manuel Ferrara: "On avait un truc de fou, trafiqué pour faire passer la fausse urine. J’avais une pompe. On envoyait de l’eau colorée. On avait fait en sorte que ça se voie bien à l’écran." La dose supplémentaire de mauvais goût n’améliore pas la scène, et les plans retournés ne sont finalement pas ajoutés au film.

Lors de la promotion de Bad Buzz, Éric et Quentin se féliciteront des séquences mettant en scène les deux acteurs trisomiques, Paco Falgas et Fabian Le Gouallec. "À l’écriture, on est toujours sur le fil, car on ne veut pas se moquer. Résultat, c’est l’inverse qui se produit. C’est Fabian qui se moque de nous. Il nous appelle les gros. C’est franc et c’est finalement très sain", avait indiqué Quentin Margot dans Ouest France.

Montage impossible

Au montage, c’est une catastrophe. Impossible de sauver le film. Une première version assemblée entre juillet et novembre 2016 par Christine Lucas Navarro, la monteuse de Cinéman, Angel-A et Taxi 4, peine à séduire Abel Nahmias. Elle est remplacée par Carlo Rizzo, autre spécialiste de la comédie potache (Fatal, Budapest).

Plusieurs scènes sont complètement tronquées pour gagner en efficacité, comme une où le duo tombe sur une orgie dans un hôpital. "On a passé cinq, six heures là-dedans à faire plein de plans, un vendredi en plein cagnard", regrette un technicien. Une autre séquence coupée montrait Eric affronter un molosse. Les scènes de la fête où ils prennent la photo compromettante et dans le camp de migrants sont aussi considérablement raccourcies.

"J’ai l’impression qu’il y a eu un petit recul par rapport à ce qui a été écrit", déplore Alexandre de Susini. "Il y avait plein de trucs qui étaient prévus pour choquer un peu, qui n'ont pas pu être tournés, ou qui l'ont été, mais sans être montés."

Une scène inédite est en revanche ajoutée in extremis, pour conclure le film. Éric et Quentin y apparaissent en catcheurs affrontant des chats dans une parodie de la Lucha Libre. "On les a filmés devant des fonds verts. Ils faisaient des sauts de karaté. Ils étaient censés à un moment traverser l’écran, mais ce plan n'a pas été mis dans le film. Le film ne devait pas se terminer comme ça. La fin devait être plus classique", indique Laurent Benaïm.

"Un côté volontairement série Z"

L’équipe chargée des effets visuels reçoit la consigne de "ne pas ciseler" les VFX. "Il a toujours été prévu que le film ait ce look un peu cheap." Gribouille, le chat némésis d'Éric et Quentin, devait faire "volontairement série Z, comme le chien dans Mary à tout prix": "Il fallait qu’il soit un peu agressif, et ridicule."

La collaboration avec Stéphane Kazandjian, "très arrêté sur ses décisions", est difficile: "Quand on a vu le montage, on voyait bien que ça ne marchait pas du tout, mais le mec ne voulait rien changer. Il ne cherchait pas à faire bon goût, bien sûr, mais il était persuadé que ça se tenait. C’était bizarre. Pour moi, c’est une sorte de suicide artistique." À l’arrivée, le film dure une heure et sept minutes. "Je pense qu’ils ont taillé, parce que c’était chiant!", fustige un technicien. "Un film, c’est une heure vingt ou trente, mais pas une heure sept!"

La sortie, le 21 juin 2017, en pleine fête de la musique, est un échec retentissant. Les médias, à l’exception de rares journalistes, ne sont pas conviés aux projections presse. Le journaliste Daniel Andreyev, spécialiste des comédies françaises, y était: "Tout le monde dormait. Après quinze minutes, les gens se sont déconnectés. Lorsque les deux jeunes trisomiques sont arrivés, tout le monde s’est mis en mode veille par sécurité!"

La publicité d'Eric et Quentin pour "Bad Buzz" sur Pornhub
La publicité d'Eric et Quentin pour "Bad Buzz" sur Pornhub © Capture d'écran Twitter.com / @CatherineAuchan

"Les attachés de presse étaient passés en dispositif ORSEC", poursuit-il. "Elles savaient que le film allait se faire défoncer et elles essayaient d’en parler le moins possible, et de le projeter le moins possible". La promotion est réduite à quelques interviews, à une apparition sur le plateau de Quotidien et à une campagne de publicité sur le site Pornhub. Les rares critiques sont assassines. "Les vannes trash, scato et très provoc tombent souvent à plat", estime Le Parisien, tandis que Télérama salue "un tas fumant de gags à faire passer les blagues Carambar pour du Pierre Desproges".

Projeté dans 272 salles, le film fait un bide absolu avec 49.323 entrées. La sortie DVD est annulée. Oublié de tous, le film survit désormais sur une poignée de sites de VOD. "Un jour, c'est un film qui risque de disparaître", alerte Daniel Andreyev. Tout en reconnaissant la qualité discutable du film, Éric et Quentin sont contents ne pas s’être "lissés pour faire des entrées". S'ils regrettent que le film soit désormais synonyme de nanar ("C’est la vanne facile"), ils espèrent que "tout ce bad buzz rendra peut-être le film culte".

> A VENIR, MARDI 04 AOÛT: "Mes copines", la comédie féministe et sexuelle qui a révélé Léa Seydoux

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV