BD: "Peau d’homme", le conte joyeux et positif qui dénonce homophobie et intolérance

Détail de la couverture de la BD "Peau d'homme" de Hubert et Zanzim - Glénat
C'est une BD joyeuse, positive, frappée par un drame. L'album Peau d’homme (Glénat), conte sur une femme qui s'émancipe en se déguisant en homme et en nouant une relation amoureuse avec son mari homosexuel, a été salué par la critique pour la finesse de son propos et de ses dessins, mais marqué par la brutale disparition de son scénariste, Hubert, à l'âge de 49 ans en février dernier.
Cette BD qui dénonce avec douceur, intolérance religieuse, homophobie et sexisme est un testament du talent de ce scénariste plus connu pour ses récits sombres que positifs.
Hubert a été guidé dans ce travail par son acolyte Zanzim, dessinateur qu'il a rencontré aux Beaux-Arts dans les années 1990, lors d'une soirée costumée - un des thèmes récurrents de Hubert et de Peau d'homme, justement. "Il portait un énorme chapeau en nuage, avec des flocons attachés qui tombaient. Moi j’étais en monstre des marais avec un costume que j’avais fait en pack bulle", se souvient le dessinateur.

Ensemble, ils ont imaginé une demi-douzaine d'albums depuis 2002 dont La Sirène des pompiers (Dargaud), Ma vie posthume et L'Île aux femmes (Glénat). "Comme il travaillait avec beaucoup d'autres collaborateurs que moi, je lui avais dit que s’il avait une histoire plus personnelle, j’aimerais bien la dessiner", ajoute Zanzim. "J’imaginais quelque chose lié à son homosexualité, à son adolescence."
Mais Hubert n’était pas du genre à parler de lui frontalement dans ses histoires: "Un jour, il m'a rappelé, complètement énervé par les manifestations anti-mariage gay. Il voulait écrire un brûlot, qui devait s'appeler Débaptisez-moi." Lorsqu’il reçoit le texte de Hubert, Zanzim le trouve "beaucoup trop violent" et l'encourage à livrer une histoire moins virulente. Trois mois plus tard, Hubert revient avec un nouveau scénario, un conte intitulé Peau d’homme.
"La colère de Hubert s’était transformée en un conte"
L'intrigue se déroule à la Renaissance en Italie. Bianca, une jeune femme, est contrainte d'épouser un homme qu'elle ne connaît pas, Giovanni, qui la délaisse. Elle hérite par sa famille d’un déguisement, d'une "peau d’homme" qui lui permet de vivre comme un homme. Mais cette liberté est éphémère. Au cours de ses escapades, celle qui se fait désormais appeler Lorenzo découvre l'homosexualité de son mari, avec qui elle commence une liaison amoureuse. Persécutés, ils vont devoir se séparer...
La lecture de cette histoire enchante Zanzim: "Toute la colère de Hubert s’était transformée en un conte. C’était beaucoup plus solaire, beaucoup plus doux et beaucoup plus apaisé [que sa première idée]." Pour une fois dans sa carrière, Hubert propose même une fin positive - ce qui ne manque pas de surprendre le dessinateur: "Il ne voulait pas être moralisateur. Il voulait une histoire qui fasse un peu réfléchir, sans forcément donner toutes les clefs."

Hubert aimait utiliser le Moyen Âge et la Renaissance comme cadre de ses histoires, des contes décalés (Beauté) ou cruels (Les Ogres-Dieux) qui parlent du chaos de notre présent. Très érudit, le scénariste avait une vision très précise de ce qu’il voulait. Zanzim se souvient d’avoir reçu quantité de documents pour l’aider à mettre en image l’Italie de la Renaissance et les personnages: "Il avait des idées pour Lorenzo et Giovanni. Il m’a fait une galerie de garçons qu’il trouvait beau!"
Le scénario abordant beaucoup de thématiques, du sexisme à l’homophobie en passant par l’intolérance religieuse, le fanatisme et la transidentité, Zanzim a privilégié la ligne claire (le style d'Hergé) et une mise en scène épurée pour en souligner la portée universelle: "Je voulais que le dessin soit très aéré, enlever le bord de cadre pour faire un écho à la liberté de Bianca." Souvent employée pour créer un contraste avec une histoire sombre et violente, la ligne claire, style graphique léger et délicat, permet de dissimuler "des choses plus adultes, plus trash, plus caustiques" dans le récit, note le dessinateur.
"On avait bouclé l’album la veille de sa disparition"
Entre Hubert et Zanzim, le travail se faisait en symbiose. Lorsque Hubert a découvert les planches de Peau d’homme, proches des enluminures de la Renaissance, il se disait "agréablement trahi".
Zanzim a placé ses personnages au premier plan, avec derrière eux des décors abstraits, comme si les personnages jouaient sur une scène de théâtre le drame de leur vie. Une manière de laisser plus de place à l’imagination, et de permettre au lecteur de digérer les messages de l’album.
Hubert a pu voir l’album terminé: "C’est un peu triste, mais on avait bouclé l’album la veille de sa disparition." Sorti en juin après le confinement, l’album a séduit bien au-delà des fans de BD: "Beaucoup de gens ont l’impression d’avoir enfin été compris", résume Zanzim.