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"Moi, Fadi, le frère volé": comment Riad Sattouf se renouvelle après le succès de "L'Arabe du futur"

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Dans Moi, Fadi, le frère volé, récit aux allures de cauchemar éveillé, truffé de références visuelles au cinéma d'horreur, Riad Sattouf livre le point de vue de son petit frère enlevé et élevé en Syrie par leur père.

Prolonger L'Arabe du futur et surprendre une nouvelle fois le public: c'est le nouveau pari de Riad Sattouf avec Moi, Fadi, le frère volé, où le Grand Prix d'Angoulême raconte l'enfance de son frère cadet, enlevé par leur père au début des années 1990. Un événement tragique qui l'a poussé à entreprendre cette bande dessinée, mais dont il n'avait raconté jusqu'à présent qu'une partie.

Pour cette nouvelle série de BD prévue en trois tomes, Riad Sattouf s'est appuyé sur des témoignages de Fadi recueillis en 2011 et 2012. Il y décrit les premiers souvenirs de Fadi au Cap Fréhel, en Bretagne, alors qu'il est en maternelle. Un jour, son père Abdel-Razak, l'enlève. Il l'emmène avec lui en Syrie. Sa mère et ses deux frères, restés en France, ne le reverront pas pendant 20 ans.

Dès les premières planches, Riad Sattouf conte un souvenir qui semble annoncer la disparition du jeune Fadi. Une après-midi, Riad et son autre frère Yahya piègent Fadi lors d'une course aux œufs de Pâques et le laissent seul. L'enfant marche longtemps, sans trouver d'œufs puis se perd. "Je suis perdu pour toujours. Alors je marche encore...", confie Fadi dans cette séquence presque onirique.

Cauchemar éveillé

Moi, Fadi, le frère volé se distingue de L’Arabe du futur grâce à cette narration aux allures de cauchemar éveillé. Certaines scènes empruntent même aux codes visuels du cinéma d’horreur. "Effectivement, il y a quelque chose du cauchemar éveillé", confie Riad Sattouf à BFMTV. "J'ai toujours été fasciné par le cinéma de genre, la littérature de genre. Moi Fadi est une sorte de récit fantastique!"

La couverture de la nouvelle BD de Riad Sattouf, sur le destin de son jeune frère, enlevé par leur père syrien dans les années 1980.
La couverture de la nouvelle BD de Riad Sattouf, sur le destin de son jeune frère, enlevé par leur père syrien dans les années 1980. © Riad Sattouf

Moi Fadi est raconté depuis le point de vue d'enfant qu'il était. Le lecteur vit avec Fadi ce moment où l'insouciance de l'enfance se transforme en cauchemar. Les personnages sont cachés dans des ombres inquiétantes. Les visages sont effrayants. Les couleurs des précédents tomes de L'Arabe du futur, le bleu, le jaune et le rouge, laissent place à une couleur verte qui teinte certaines pages d'une tonalité réellement angoissante.

L'arrivée de Fadi en Syrie est l'une des séquences les plus effrayantes que Riad Sattouf ait dessinées. "(C'est) une plongée dans un autre monde. Fadi passe à travers le miroir. Je trouvais que c’était une bonne façon de rendre compte de l’état psychologique de Fadi à ce moment-là", analyse-t-il. "La couleur aussi est importante, son évolution dans le livre est là pour rendre compte de ces changements inconscients."

"Traduire le malaise"

L’ambiance horrifique du récit est renforcée par la présence de la couleur verte dans certaines scènes clefs. "La couleur verte a une place très particulière dans Moi, Fadi. C’est une couleur qui, historiquement, peut évoquer à la fois la vie et la mort, la maladie et la guérison. La couleur devient presque un personnage à part entière, qui s’insinue dans les scènes les plus critiques pour traduire ce malaise", confirme le dessinateur.

"Dans la première série de L’Arabe du futur, j’avais opté pour une palette plus restreinte pour illustrer le déracinement, avec des ruptures franches. Ici, dans Moi, Fadi, je voulais une palette différente, capable de porter cette nouvelle tonalité avec une couleur qui évolue à chaque page sans que la lectrice ou le lecteur s’en rende compte", développe-t-il encore.
Une planche de la BD "Moi, Fadi, le frère volé" de Riad Sattouf
Une planche de la BD "Moi, Fadi, le frère volé" de Riad Sattouf © Les Livres du Futur

Si l'auteur revendique en interview son souhait de "faire des BD pour les gens qui n’en lisent pas", il assume aussi dans Moi, Fadi son rêve de raconter des histoires dans la lignée de ses modèles, les maîtres du fantastique et de l'horreur, de l'écrivain H.P. Lovecraft aux bédéastes Richard Corben et Philippe Druillet. Riad Sattouf avait confié son admiration pour ses auteurs dans les tomes 4 et 5 de L’Arabe du futur.

"Lovecraft m'a beaucoup influencé, même dans ma façon de voir le monde, il y a quelque chose de l’éducation à la paranoïa!", décrypte le dessinateur. "Si vous trouvez que cette influence se ressent dans Moi, Fadi, cela me fait très plaisir. Ce qui m’a toujours fasciné dans ses écrits, c'est cette idée d’une menace invisible, omniprésente, qui échappe à notre compréhension, c’est un peu ce que vit Fadi."

Peur des ombres

Dès son arrivée en Syrie, Fadi vit dans la peur. Dans sa chambre le garçonnet, éclairé par une veilleuse, passe ses nuits à pleurer. Des ombres au mur lui inspirent des terreurs nocturnes. "Les ombres se sont mises à bouger", s'alarme-t-il. Une peur décuplée la journée dans ce pays dont il ne parle pas la langue et dont il apprend au fur et à mesure les coutumes.

Le tome 5 de L’Arabe du futur comportait déjà un grand nombre de scènes terrifiantes et de monstres réels ou fantastiques. Un aspect assez inattendu dans son œuvre, où l’humour l’emporte toujours sur le drame. Dans Moi Fadi, la noirceur est omniprésente. Pour cette raison, Riad Sattoufa mis plusieurs années à concevoir ce récit. "C'était un défi. L'histoire de mon frère est quelque chose d'inracontable, d'irracontable", a-t-il raconté la semaine dernière à BFMTV. La suite aussi est irracontable.

Pour l'heure, Riad Sattouf refuse d'en dire plus pour le moment. Et de révéler s'il est encore en contact avec ce frère si longtemps perdu. "Pour qu'un livre fonctionne bien, il faut garder une part de mystère (...) pour ne pas briser le sortilège. Vous le saurez en lisant la suite." Et en lisant chaque mois dans le magazine Notre temps les planches d'un autre livre raconte le point de vue de sa mère sur cette histoire. Le titre? L’Arabe du futur, le livre de la mère. Un récit tout aussi poignant que celui de Fadi.

Moi, Fadi, le frère volé (1986-1994), tome 1, Riad Sattouf, Les Livres du Futur, 144 pages, 23 euros.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV