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Législatives: comment le Rassemblement national a réussi à gagner du terrain en Seine-et-Marne

Un bulletin de vote au nom de Jordan Bardella à Mitry-Mory (Seine-et-Marne), lors des élections européennes du 9 juin 2024.

Un bulletin de vote au nom de Jordan Bardella à Mitry-Mory (Seine-et-Marne), lors des élections européennes du 9 juin 2024. - THOMAS SAMSON / AFP

Avec 33,71% des voix, Jordan Bardella est arrivé largement en tête aux élections européennes dans ce département de la grande couronne. Un territoire historiquement conservateur, où le parti frontiste a progressivement supplanté la droite traditionnelle, incarnée par Les Républicains.

Les sondages l'avaient prédit: une vague du Rassemblement national (RN) s'est déversée sur la France lors des élections européennes, le 9 juin, précipitant la dissolution surprise de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron. La formation d'extrême droite s'est adjugé l'écrasante majorité des bureaux de votes, Jordan Bardella totalisant 31,37% des voix.

Avec 33,71%, le chef de file du RN a fait encore mieux en Seine-et-Marne. Dans ce département de l'est de l'Île-de-France historiquement ancré à droite, à la fois rural et urbain, l'ex-Front national a raflé 492 des 507 communes en jeu. Une dynamique similaire à celle qui s'est manifestée à l'échelon national, la liste de Jordan Bardella étant arrivée en tête dans 93% des communes de France.

"Dans les territoires où Les Républicains (LR) avaient encore des résultats importants en 2014-2015, une partie des électeurs ont plutôt choisi le RN", observe Laurent Godmer, maître de conférences en science politique à l'Université Gustave-Eiffel. En l'occurrence des secteurs pourtant plutôt de tradition gaulliste, "avec des élus assez connus comme Alain Peyrefitte (ancien ministre, NDLR) puis Christian Jacob (ancien président des Républicains, NDLR) à Provins".

Les résultats des élections européennes de 2024 en Seine-et-Marne
Les résultats des élections européennes de 2024 en Seine-et-Marne © BFMTV

L'universitaire décrit auprès de BFMTV.com "une sorte de déplacement à l'intérieur de la droite" chez les électeurs. Une migration vers l'extrémisme, qui a coupé l'herbe sous le pied de François-Xavier Bellamy. La tête de liste LR aux européennes n'a pu compter que sur 6,7% des suffrages dans le département, un score plus mince encore que ses 7,25% nationaux.

Davantage de votes à chaque scrutin

L'évolution de la carte électorale illustre une dynamique enclenchée il y a au moins dix ans, mais qui atteint un niveau jamais vu jusqu'ici. Elle est frappante si l'on jette un œil aux chiffres des élections européennes de 2019.

Cette année-là, le Rassemblement national arrive déjà en tête (comme en 2014), mais il ne devance la macroniste Nathalie Loiseau que d'environ quatre points. Cette année, l'écart est presque de 20 points avec l'insoumise Manon Aubry, arrivée en deuxième position.

Le RN grappille également des voix de scrutin présidentiel en scrutin présidentiel. Lors du premier tour de 2022, Marine Le Pen affiche une maigre amélioration par rapport à 2017: 23,56% contre 22,85%. Ses progrès sont bien plus flagrants au second tour: elle s'arroge 43,03% des suffrages, contre 36,14% cinq ans plus tôt. Soit quelque 40.000 voix d'écart.

Un siège obtenu en 2022

Cette constante progression se vérifie enfin lors des dernières élections législatives, en 2022. Face à une gauche unie, mais bénéficiant d'un effritement du vote LR, le RN maintient sa troisième place de 2017 au premier tour avec toutefois un score plus important (21,74% contre 16,18%). De quoi lui permettre de qualifier quatre candidats frontistes au second tour.

In fine, le RN parvient à s'octroyer un siège de député dans la 6e circonscription, au nord-est de la Seine-et-Marne, par l'intermédiaire de Béatrice Roullaud. Un total sans commune mesure avec celui de la formation macroniste (cinq sièges), de la Nupes (trois sièges) voire des Républicains (deux sièges) à première vue.

Mais pour l'extrême droite, l'élection de Bétrice Roulland constitue une première dans le département depuis 1986. Un autre temps, et surtout, un scrutin marqué cette année-là par un recours à la proportionnelle.

Les résultats des législatives de 2022 en Seine-et-Marne.
Les résultats des législatives de 2022 en Seine-et-Marne. © BFMTV

"C'était un petit peu une surprise", se souvient Laurent Godmer, dans la mesure où la Seine-et-Marne est "très loin des autres configurations où le RN est très implanté, comme les Hauts-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur".

"C'est aussi très différent des terres de mission, où il est très peu présent", poursuit l'universitaire auprès de BFMTV.com. "La Seine-et-Marne est un territoire où il était déjà élevé et où il progresse."

La Seine-et-Marne comme "pavillon témoin"

Depuis 2017, on remarque que les électeurs du parti d'extrême droite ne sont plus seulement cantonnés à l'est du département, la frange la plus rurale. Le RN grignote du terrain vers l'ouest, plus proche de Paris.

"Ça casse un petit peu tout un ensemble de mythes et d'explications rapides", analyse Laurent Godmer. Tels que "le RN, c'est la France pavillonnaire, c'est les oubliés, c'est le gradient de l'urbanité", développe l'enseignant, évacuant la théorie selon laquelle "plus j'habite dans une zone urbaine, moins je vote FN".

"Il y a une telle progression du RN, que l'hypothèse territoriale est quand même très fragile", prolonge l'intéressé. Selon Laurent Godmer, la Seine-et-Marne est finalement un "département banal sur le plan du RN". Une sorte de "pavillon témoin" de ce qui s'opère à l'échelle nationale.

Le professeur de sciences politiques explore différentes pistes pour expliquer ce déploiement des idées du parti d'extrême droite à travers le pays. "La dédiabolisation, la modernisation de l'offre RN depuis l'élection de Marine Le Pen à la tête du parti, le changement de nom, l'évolution du programme": ces éléments "rapprochent" le RN des partis de droite traditionnels.

Dans le même temps, au gré des crises, les programmes de LR se "droitisent". En témoigne l'alliance électorale contractée entre une partie de LR et le parti fondé par Jean-Marie Le Pen par l'entremise d'Éric Ciotti pour les législatives anticipées. Un accord source de vifs débats en interne, dont de nouvelles conséquences ne sont pas à exclure à l'avenir.

Un contexte et un terreau favorables

Le contexte et le terreau semblent aujourd'hui particulièrement favorables pour que le Rassemblement national mette la main sur de nouveaux sièges de députés en Seine-et-Marne les 30 juin et 7 juillet. C'est l'objectif.

Le parti à la flamme présentera un visage dans dix des onze circonscriptions que compte le département, dont deux sous la bannière LR-RN: Théo Michel dans la première circonscription et Philippe Fontana dans la cinquième. Preuve de sa difficulté à se positionner, LR proposera dans le même temps cinq candidatures communes avec Renaissance aux électeurs.

Dans la seule circonscription où le parti de Jordan Bardella n'est pas représenté, la 11e, on trouve tout de même Dominique Mahé, candidat du parti Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan.

Il reste ardu, à ce stade, de se livrer au jeu des pronostics sur le nombre de députés RN à l'issue du scrutin, surtout quand on ignore quel sera le niveau de la participation. Laurent Godmer imagine néanmoins que des candidats frontistes se glisseront au second tour "dans presque toutes les circonscriptions".

"Vu les résultats et vu la configuration, avec les alliances", le RN peut par exemple nourrir des ambitions dans les 3e et 4e circonscriptions, jusqu'ici tenues par les LR Jean-Louis Thieriot et Isabelle Périgault, tous deux en quête d'un nouveau mandat.

Des poches encore hors d'atteinte?

Des poches semblent toutefois encore hors d'atteinte pour la formation frontiste à l'ouest du département. Des territoires "où les partis de gauche ont un ancrage assez fort" et où le Nouveau Front populaire n'est a priori pas menacé. Ils sont "très restreints" et se limitent à la partie qui jouxte la Seine-Saint-Denis ou le Val-de-Marne.

La 7e circonscription, par exemple, était aux mains de l'insoumise Ersilia Soudais, à nouveau candidate cette année. Olivier Faure, patron du Parti socialiste, brigue lui un nouveau mandat dans la 11e circonscription.

Plus au sud, la 2e circonscription, celle de Fontainebleau, reste favorable au macronisme, comme l'ont montré les résultats des élections européennes. Une commune à l'"électorat très favorisé", fait valoir Laurent Godmer, où Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention, devrait être réélu.

Le cas de la Seine-et-Marne n'est pas unique en Île-de-France. Loin de là. C'est en réalité l'ensemble des départements de la grande couronne qui ont plébiscité le Rassemblement national le 9 juin. Pour l'heure, le parti d'extrême droite bute sur la petite couronne et encore un peu plus sur Paris, où l'électorat reste loin d'adhérer à ses idées.

Florian Bouhot Journaliste BFM Régions