Mort de Jean-Marie Le Pen: comment le château de Montretout est devenu son fief politique et familial

Jean-Marie Le Pen, figure de l'extrême droite en France, est mort ce mardi 7 janvier à l'âge de 96 ans. De son premier mandat de député de la Seine à sa position de député européen, en passant par la création du Front national, Jean-Marie Le Pen a construit son parti et ses idéologies politiques au fil des années, jusqu'à devenir finaliste de l'élection présidentielle de 2002.
Son ascension dans les urnes, le cofondateur du Front national l'a cultivée d'années en années pendant des décennies. Sa résidence, le domaine de Montretout, situé sur les hauteurs de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) deviendra la plaque tournante de l'extrême droite française.
Dans les années 1970, le domaine était la propriété de Hubert Lambert, héritier de la famille de cimentier éponyme et partisan du groupuscule qu'était alors le Front national. Il participe grandement au financement du parti, et rapidement, l'amitié entre les deux hommes grandit.
L'historienne Valérie Igounet cite dans son livre de 2014 Le Front national de 1972 à nos jours: le parti, les hommes, les idées Lorrain de Saint-Affrique, longtemps conseiller politique de Jean-Marie Le Pen, qui résumait la relation en une phrase: "Sans Lambert pas de FN, sans Le Pen pas de Lambert".
Célibataire et sans enfants, l'héritier meurt en septembre 1976 et fait de Jean-Marie Le Pen son légataire universel. Le patron du FN, fils d'un marin-pêcheur et d'une couturière ayant grandi dans une famille modeste et catholique, se retrouve alors propriétaire de l'historique parc de Montretout.
L'héritage de Montretout, le début d'une liberté pour le FN
La nouvelle fait la Une. Ce petit candidat ayant récolté 0,75% des voix lors des élections présidentielles de 1974 et qui a du mal à payer les factures d'électricité, affirme être l'unique héritier d'un riche homme d'affaires, bien que la famille d'Hubert Lambert conteste le testament et accuse l'homme d'extrême droite d'avoir manipulé le défunt.
Dès lors, Jean-Marie Le Pen fait du château de Montretout son fief politique. Un symbole, selon Olivier Beaumont, auteur du livre L'Enfer de Montretout.
"C’est une maison de l’autre côté de Paris, la capitale, le lieu de pouvoir. Le château de Montretout n’était pas dans le système, pas dans Paris, comme Jean-Marie Le Pen voyait son parti", raconte l'auteur dans une interview donnée à Ouest-France en 2022.
Les trois milliards d'anciens francs hérités de Hubert Lambert permettent aussi de développer la stratégie de l'extrême droite et de payer les factures. Dès ce moment-là, plus rien ne freine le FN.
"L'héritage Lambert a complètement transformé la vie de l'homme politique", assure Valérie Igounet dans le podcast de France Inter Jean-Marie Le Pen, l'obsession nationale. "À partir de cet héritage, Jean-Marie Le Pen va faire de la politique comme il l'entend."
Une liberté qui se ressentira dans ses campagnes: Jean-Marie Le Pen se lance dans la bataille pour les législatives en 1978 et fait alors ouvertement de la lutte contre l'immigration son combat numéro 1 pour endiguer les problèmes sociaux en France. Avec un slogan: "un million de chômeurs, c'est un million d'immigrés en trop".
S'en suivront les années 1980, un tournant pour le parti alors que la gauche monte au pouvoir. Jean-Marie Le Pen se prêtera alors de plus en plus au jeu de la provocation, notamment avec des discours négationnistes.
Dynastie et mise en scène
C'est aussi au sein de Montretout que la dynastie Le Pen se construit. Marine Le Pen y a grandi dès 8 ans, avec ses sœurs. Toutes baignent dans la politique de leur père et Jean-Marie Le Pen le fait savoir: il met en scène l'hôtel privé à de multiples reprises dans les médias via des séances photo avec sa famille.
Et si Montretout est la résidence de la famille, elle n'en reste pas moins un QG du Front national. Jean-Marie Le Pen s'en servira pendant des années comme d'un outil politique. "Il y a toujours eu là-bas un mélange des genres qui a fait la gravité de cette maison", assure Olivier Beaumont dans Ouest-France.
En effet, le patron du FN y organise aussi des grandes fêtes dès 1978, où étaient conviés acteurs, chanteurs, journalistes, hommes politiques et autres personnages d'influence. "Les soirées de Le Pen, c'était quelque chose tout de même", a confié un proche de Marine Le Pen à Challenges en 2017. Ces fêtes renommées se poursuivront jusque dans les années 2000.
Des mondanités qui ne diminueront pas sa popularité auprès de son électorat, continuant à mettre en avant ses origines modestes. Pour Olivier Beaumont, "Montretout n'est pas une épine".
"Il peut tout aussi bien lancer des citations en latin et tenir la dragée haute à des personnes très cultivées comme être parfaitement à l’aise dans une usine, avec des ouvriers."
Si à la fin de sa vie, Jean-Marie Le Pen avait établi sa résidence à Rueil-Malmaison, l'histoire de l'hôtel particulier de Montretout reste étroitement liée à celle du Front national et à l'image de la famille Le Pen.