Pollution, bombes, biodiversité... Les conséquences environnementales de la guerre en Ukraine

Un soldat près d'un lance-roquettes multiple russe détruit, le 16 mars aux abords de Kharkiv, en Ukraine - Sergey BOBOK © 2019 AFP
La centrale nucléaire accidentée de Tchernobyl menacée, des usines d'armement bombardées, des sites industriels et des stocks de pétrole incendiés... Si la guerre en Ukraine annonce une tragédie humanitaire avec ses milliers de morts et de blessés et ses 3 millions de réfugiés, trois semaines après le début des hostilités russes, elle présage également une possible catastrophe environnementale.
"Tous les conflits armés ont des conséquences, parfois irréversibles, sur l'environnement", dénonce pour BFMTV.com Sébastien Mabile, avocat au barreau de Paris et vice-président du comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Ce représentant de l'UICN rappelle ainsi les ravages à long terme du napalm, une arme chimique utilisée comme bombe incendiaire par l'armée américaine au Vietnam. Considéré comme le premier écocide de l'Histoire. Ou encore la gigantesque marée noire, la plus grande connue à ce jour, dans le Golfe persique lors de la guerre au Koweït quand les troupes de Saddam Hussein ont décidé de saboter les puits de pétrole.
"Ce qui est particulièrement inquiétant en Ukraine, c'est le niveau élevé d'industrialisation, d'usines de traitements chimiques et métallurgiques, mais aussi d'installations nucléaires", poursuit Sébastien Mabile.
Pour rappel, le pays possède quatre centrales nucléaires équipées de quinze réacteurs. Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, s'est d'ailleurs exprimé à ce sujet ce vendredi matin sur BFMTV. "On a vu qu'on a peut-être frôlé à certains moments la catastrophe avec la centrale nucléaire de Zaporijia qui a fait l'objet d'attaques, autour ou dans la centrale."
La pollution "en héritage"
Dès le lendemain de l'invasion russe, l'Observatoire des conflits et de l'environnement (Ceobs), une ONG britannique, faisait un premier inventaire des destructions. Et évoquait de nombreux incendies, libérant "gaz toxiques, particules fines et métaux lourds".
Une semaine après le début de l'offensive, le Ceobs allongeait la liste des sites industriels détruits, potentiellement sources de toxicité: une centrale thermique, un terminal pétrolier, un dépôt de carburant, un entrepôt de lubrifiants ou encore un site de stockage de mousse isolante. De quoi contaminer, sur le long terme, l'air, les eaux et les sols ukrainiens, s'inquiète Doug Weir, le directeur de la recherche du Ceobs, qui a déjà enregistré une centaine de destructions potentiellement problématiques pour l'environnement.
"La stratégie russe consistant à assiéger les villes avec de grandes concentrations d'industries lourdes, souvent à proximité de zones résidentielles, et à déployer de manière indiscriminante de grands volumes de forces explosives risque de créer de graves problèmes de pollution", analyse-t-il pour BFMTV.com.
Le représentant de cette ONG évoque le précédent du Donbass. Le conflit en 2014 a en effet entraîné une pollution durable des sols et des eaux par les destructions d'industries, les combustions de munitions et l'inondation des mines de charbon. "Le Donbass est au bord d'une catastrophe écologique", alertait ainsi une analyste du programme des Nations unies pour l'environnement. Au total, dix-huit réserves naturelles ont été "affectées, endommagées ou détruites".
"Il y a un risque croissant d'un très grave héritage de pollution", déplore Doug Weir.
"On se concentre bien sûr sur les dommages directs causés par le conflit, l'Ukraine devra faire face à de nombreuses priorités humanitaires, sociales et économiques. Mais ce sont peut-être les conséquences environnementales indirectes qui seront les plus étendues et à plus long terme. Malheureusement, dans ces situations, il est courant que l'environnement passe au second plan."
Une menace sur la biodiversité
Quid de la biodiversité de l'Ukraine et sa faune sauvage? Le pays compte une quarantaine de réserves naturelles et parcs nationaux, abritant quelque 180 espèces animales placées sur la liste rouge des espèces menacées. Comme le lynx ou la grue cendrée, rappelait Courrier international.
Le pays recèle également d'espèces rares ou protégées, dont la pygargue à queue blanche, le renard corsac ou le rat-taupe des sables, un animal endémique de l'Ukraine. Quant à la population d'élans, elle est en fort déclin: elle a été divisée par trois en trente ans. Les incendies, rejets de produits chimiques et déplacements de l'armée russe pourraient ainsi mettre un peu plus à mal la survie de ces espèces.
Si douze lions et tigres d'un refuge pour animaux maltraités proche de Kiev ont pu être évacués en Pologne, comme l'évoque Geo, et qu'une mobilisation s'est mise en place pour sauver des chevaux de certains élevages ukrainiens, raconte La Manche libre, nombre d'animaux se retrouvent livrés à leur sort.
La survie des 4000 pensionnaires du zoo de Kiev, dont des éléphants, des gorilles et des chameaux - certains ont été installés dans des abris souterrains peu adaptés à leur mode de vie, d'autres se voient administrer des calmants - est en suspens. Impossible de les évacuer du pays, relate un reportage d'Euronews. À Kharkiv, deux loups du zoo se sont d'ailleurs échappés lors des bombardements, selon Le Figaro.
Le sol miné pour des années
L'ONG Handicap international a d'autres inquiétudes. Dans la région de Tchernihiv, à 150 kilomètres au nord de Kiev, trois adultes ont été tués et trois enfants blessés par une mine antipersonnel, selon la chargée des droits humains auprès du Parlement ukrainien. En principe, une convention internationale de l'ONU interdit l'acquisition, la production, le stockage et l'utilisation des mines antipersonnel. Convention que la Russie n'a jamais signée.
Selon le dernier rapport de l'Observatoire des mines, Moscou possède actuellement le plus gros stock mondial de mines antipersonnel, avec 26,5 millions d'unités. En 2020, ce type d'explosion a tué 277 personnes dans les territoires séparatistes de Donetsk et de Lougansk de l'est de l'Ukraine, dans le Donbass.
"On avait estimé que 8% de ces territoires étaient contaminés par des restes d'engins explosifs, un cinquième par des mines antipersonnel et qu'il faudrait dix ans pour dépolluer le Donbass", analyse pour BFMTV.com Anne Héry, directrice du plaidoyer de Handicap international.
Elle évoque ainsi le cas du Laos, pays d'Asie du Sud-Est, qui retrouve et démine encore aujourd'hui, près de trente ans après la guerre au Vietnam, des munitions. "On comprend bien que c'est une catastrophe à long terme qui est en train de se jouer en Ukraine."
Mossoul, Raqqa et Marioupol
Anne Héry s'inquiète également de l'utilisation par la Russie de bombes à sous-munitions, en principe également interdites par une convention internationale - non signée par la Russie. Leur principe: elles s'ouvrent en vol et larguent un tapis de bombes qui frappent sans précision sur des zones très étendues.
"Au delà du fait que ces bombes touchent forcément les civils, puisqu'elles ne font pas de discrimination entre les cibles, elles ont un taux d'échec important. Il peut arriver que 40% de ces bombes n'explosent pas. Elles se retrouvent donc dans les débris, les sols, la végétation et peuvent exploser à tout moment ou des années plus tard."
Des bombes qui font les mêmes dégâts que les mines antipersonnel. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les ONG Amnesty international et Human Rights Watch ont dénoncé l'utilisation, par les forces russes, de ces explosifs, notamment sur une école maternelle, tuant trois civils dont un enfant, et des quartiers résidentiels de Kharkiv.
Des engins explosifs qui risquent de contaminer les sols à long terme et de faire de nouvelles victimes bien après la guerre, s'inquiète encore Anne Héry, de Handicap international. Elle compare ainsi la situation ukrainienne avec celle de la Syrie.
"Dans certaines villes en Syrie, on s'est retrouvé avec des mille-feuilles d'explosifs, intercallés entre les gravats, très instables et difficiles à déminer. À Mossoul ou à Raqqa, l'urbanisation des conflits associée à la densité de la population a donné lieu à des tragédies en domino, l'effet de souffle faisant s'écrouler des murs et des bâtiments. C'est le même scénario qui est en train de se produire à Marioupol."