"Des blessures abominables"; un chirurgien français témoigne de l'horreur dans les hôpitaux de Gaza

Un enfant de Gaza hospitalisé dans une clinique de MSF à Rafah le 24 avril 2024 - MOHAMMED ABED / AFP
Un chirurgien français au plus près des Gazaouis. François Jourdel, Français résident à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, rentre d'une mission avec l’ONG Médecins Sans Frontières dans l'enclave palestinienne assiégée par l'armée israélienne. Dans les colonnes du Parisien, ce spécialiste de chirurgie plastique dépeint l'horreur vécue par les civils et le difficile quotidien du personnel soignant dans les hôpitaux de la bande.
"L’hôpital de campagne tourne 24h/24, avec quatre autres chirurgiens palestiniens. On opérait quinze patients par jour en travaillant avec le minimum. Je commençais vers 7h-7h30, je grignotais quelque chose le matin, puis j’opérais jusqu’à 19 heures. Au bout de 12 heures sans manger, on est cuits", raconte François Jourdel.
"Des blessures abominables sur des enfants"
Habitué à travailler bénévolement sur des théâtres de guerre ou de catastrophe, le chirurgien se dit "impressionné" par "la quantité de blessés et le fait de voir autant de blessures abominables sur des enfants". "Les plaies par balle, par explosif, les brûlures graves… D’habitude, on les voit sur des soldats. Pas des enfants".
Face à la gravité des blessures, l'amputation est parfois la seule décision à prendre. "J’ai dû la prendre auprès d’un jeune de 18 ans, à l’aide d’un traducteur. J’ai vu ses yeux s’humidifier, il m’a pris la main et s’est mis à me supplier de ne pas l’amputer", raconte-t-il.
Le médecin est aussi confronté à la famine qui frappe l'enclave en raison des restrictions imposées par l'armée israélienne sur l'aide humanitaire. "J’ai des photos avant/après de mon personnel : ils ont tous perdu au moins 20 kg. Beaucoup de patients sont rachitiques. Or, la cicatrisation des plaies est corrélée à l’état nutritionnel", souligne François Jourdel. "J’avais ramené une vingtaine de plats lyophilisés, mais très vite j’ai eu honte de manger, donc je les ai donnés".
"Avec mes patients, je n’avais pas de longues discussions mais des signes de la main, des "I love you"… Ce sont des gens comme vous et moi, qui ont envie de sourire, de fonder une famille", poursuit-il.
Des images "qu’on ne montre pas en Occident"
Le médecin, qui a opéré principalement dans la ville de Deir Al-Balah, a échappé de peu à la double frappe de l'armée israélienne sur l'hôpital Nasser de Khan Younes, où il a réalisé quelques interventions.
"Je devais y être ce jour-là, mais la veille, deux-trois interventions techniques se sont programmées dans l’hôpital de campagne, donc j’avais décalé ma visite au lendemain", explique-t-il.
"Sur la vidéosurveillance de l’hôpital, j’ai vu le genre d’images qu’on ne montre pas en Occident: des morceaux de corps dispersés autour de l’hôpital, des gens qui rapportent un bras, une jambe, pour enterrer les victimes en entier. J’ai vu un tronc de bébé, le corps et la tête. Au début j’avais l’impression que c’était une statue en pierre", décrit le chirurgien.
François Jourdel s'était déjà rendu à Gaza en novembre 2023. Deux ans après, l'enclave est méconnaissable. "Des zones entières sont réduites à néant, notamment le long de la frontière. On ne distingue plus rien, tout est aplani, il n’y a plus de végétation".