Nucléaire iranien: un accord, et après?

Le ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, et son homologue français Laurent Fabius, dimanche 24 novembre, à Genève, après la signature de l'accord sur le nucléaire. - -
Un accord et des questions. Dimanche, les cinq membres du Conseil de sécurité de l'ONU et l'Allemagne ont annoncé avoir trouvé un accord avec l'Iran sur la question du nucléaire, après cinq jours d'intenses négociations. Un accord donnant-donnant, dans lequel Téhéran s'est engagé, entre autres, à suspendre l'enrichissement d'uranium au-delà de 5% et à diluer son stock d'uranium enrichi à 20%, en échange d'un allègement des sanctions occidentales à son encontre.
S'il marque un coup d'arrêt à dix ans de dialogue impossible, cet accord est limité à six mois. A-t-il des chances de réussir? Débouchera-t-il sur un véritable traité? Eléments de réponse avec Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique.
> Un accord pour six mois
Rappelons-le, l'accord signé dans la nuit de samedi à dimanche par l'Iran et les grandes puissances mondiales n'a rien de définitif et n'engage les parties en présence que pour une durée de six mois. Un accord intérimaire, qui permet surtout de préparer le terrain pour de futures négociations. "Même si le fait que l'on ait signé quelque chose pour la première fois depuis dix ans est significatif, ce n'est pas un accord qui résout la crise iranienne", rappelle ainsi Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, interrogé par BFMTV.com. "Cet accord est censé rétablir la confiance et permettre aux signataires de négocier entre eux, c'est donc le début d'un processus et non pas l'aboutissement des choses", poursuit-il.
Pour l'heure, les Iraniens ont donc accepté un certain nombre de contraintes, parmi lesquelles la dilution des stocks d'uranium enrichi à 20% et le gel du nombre de centrifugeuses, et ce pour une durée de six mois. Un accord aux effets immédiats, qui serait donc violé si l'Iran venait à poursuivre ses activités d'enrichissement. "A l'issue de ces six mois, l'accord pourrait être reconduit pour une nouvelle période déterminée ou gravé dans le marbre. C'est ce que les puissances du 5+1 (Etats-Unis, Russie, France, Grande-Bretagne, Chine et Allemagne, NDLR) vont chercher à obtenir des Iraniens", précise Camille Grand. Sur le dossier du nucléaire iranien, un accord intérimaire prévoyant un gel temporaire avait déjà été signé en 2003, avant d'être rompu par l'Iran.
> Un accord flou?
Sitôt signé, sitôt discuté. Dimanche, quelques heures après l'annonce de l'accord, les signataires sont apparus divisés sur certains termes et principes du texte, Washington et Téhéran en tête. L'Iran s'est en effet félicité que le texte reconnaisse son "droit à l'enrichissement". Une affirmation qu'a aussitôt réfutée la diplomatie américaine.
"Ce droit n'a pas été reconnu, d'abord parce que ça n'existe pas en droit international. En revanche les Iraniens ont effectivement obtenu qu'un texte reconnaisse pour la première fois l'existence d'activités d'enrichissement sur leur sol, alors que les résolutions précédentes de l'ONU demandaient purement et simplement la fin de ces enrichissements. Les Iraniens l'interprètent comme la reconnaissance de ces activités et le droit à l'enrichissement", analyse Camille Grand, qui souligne que "chacune des parties se devait de repartir avec quelques victoires, pour son opinion publique".
Ce flou inhérent au texte, qui peut laisser planer le doute quant à l'interprétation de certains points, est un grand classique des accords internationaux. "Il est très fréquent qu'il y ait ce que l'on appelle des 'ambiguïtés constructives', c'est très banal, ça fait partie du jeu", explique Camille Grand. "Les lectures différentes sur certains points laissent penser que les négociations s'annoncent difficiles et ces ambiguïtés sont donc un facteur de complication pour la suite", ajoute cependant l'expert.
> Un accord qui menace la stabilité régionale?
Un certain nombre de pays voisins n'ont pas caché leur nervosité et leur mécontentement à l'annonce de la signature de l'accord. A commencer par Israël, qui a dénoncé une "erreur historique", et l'Arabie saoudite. L'enjeu des puissances occidentales va donc être de parvenir à rassurer ces pays, pour éviter tout torpillage de l'accord, via des campagnes anti-Obama ou des actions clandestines par exemple. Lundi, Israël a d'ailleurs annoncé l'envoi de son conseiller à la sécurité nationale aux Etats-Unis, afin de discuter de l'accord.
"Le torpillage pourrait effectivement venir des pays qui ne sont pas rassurés pour la stabilité de la région, mais aussi des forces les plus dures à l'intérieur même de l'Iran. Si les conservateurs estiment que cet accord va trop loin, ils pourraient tout à fait préparer des attentats ou en tout cas céder à la provocation verbale", estime Camille Grand.
Quant à savoir si une éventuelle attaque préventive pourrait être menée par Israël contre l'Iran, le directeur de la Fondation pour la recherche stratégique est formel. "Les Israéliens, dans l'état actuel des choses, sont obligés de laisser passer la période de six mois", juge ainsi Camille Grand. "D'une certaine manière, cet accord, tel qu'il a été conçu, donne un peu de temps aux Israéliens, car il repousse le seuil d'immunité iranien, c’est-à-dire le moment où la capacité nucléaire est atteinte et où l'on ne peut plus revenir en arrière. Reste à savoir si la signature de cet accord dissimule un mouvement tactique de la part de Téhéran ou s'il s'agit d'une vraie volonté d'aller au bout de la logique de fin de crise", conclut l'expert.