"Retournez en Ukraine": des réfugiés de guerre déplorent des attitudes xénophobes en hausse en Pologne

"C'est effrayant de vivre ici maintenant." En Pologne, de nombreux réfugiés ukrainiens installés sur place depuis le début de l'invasion de leur pays par la Russie en février 2022, déplorent la montée d'un sentiment xénophobe à leur encontre. Certains d'entre eux témoignent de cette situation qui va en se dégradant auprès de la BBC.
"Au travail, beaucoup de gens disent que les Ukrainiens viennent ici et se comportent mal. Mes amis ukrainiens disent eux qu'ils veulent rentrer parce que les Polonais ne nous acceptent pas", raconte une mère de famille anonyme au média britannique. Sa fille dit subir du harcèlement à l'école.
Un autre enfant lui a par exemple intimé: "Retourne en Ukraine" selon ses dires. Ensuite, "les filles de la classe au-dessus ont commencé à se plaindre qu'elle parlait ukrainien. Puis elles ont fait semblant de tomber par terre en criant: 'Missile, à terre!' et en riant", raconte la maman, qui l'a vu rentrer "en pleurs".
Un cas loin d'être isolé, alors que des Ukrainiens sont régulièrement victimes d'attitudes hostiles dans les transports ou de remarques racistes en ligne.
"Certains enfants polonais refusent de jouer avec eux. Ils les repoussent et les insultent, dressant une sorte de barrière psychologique", confirmait Lukasz Jakubowski il y a deux mois à la Deutsche Welle.
Et ce, alors que les jeunes Ukrainiens font des efforts d'intégration notamment au niveau de la langue selon ce coach anti-discrimination de l'association polonaise "Plus Jamais".
"Récemment, nous avons de plus en plus de situations de ce genre: des abus xénophobes envers des personnes travaillant dans des magasins ou des hôtels simplement parce qu'elles parlent avec un accent ukrainien", déplore la militante Natalia Panchenko, directrice de l'ONG "Stand with Ukraine" auprès de la BBC.
Seulement un Polonais sur deux pour l'accueil des Ukrainiens
Ce ressentiment a commencé à se faire sentir dès 2023. En mars 2024, une croix gammée avait été taguée sur la façade du siège de la fondation 'La Maison ukrainienne' de Varsovie, rapporte la DW. Un acte de vandalisme intervenant à l'époque dans un contexte de tensions entre Kiev et la Pologne contre l'ouverture du marché européen aux céréales ukrainiennes.
Des manifestations massives sur le sujet ont eu lieu en Pologne, contribuant déjà à faire monter un sentiment anti-ukrainien.
Si près d'un million d'Ukrainiens sont officiellement réfugiés, au moins 2,5 millions de ressortissants vivent actuellement en Pologne. Soit près de 7% de la population totale du pays selon les statistiques du gouvernement de Varsovie.
Selon un sondage réalisé en mars 2025 par le Centre polonais de recherche sur l'opinion publique (CBOS), seulement 50% des Polonais sont désormais favorables à l'accueil des réfugiés ukrainiens. Il y a deux ans, ce chiffre était de 81%, rappelle la BBC.
Une enquête menée fin 2024 par le groupe de réflexion Centre Mieroszewski montrait déjà que la sympathie pour les Ukrainiens était en chute libre en Pologne. Seuls un quart des personnes interrogées ont exprimé une opinion positive sur les réfugiés du pays envahi, 30 % une opinion négative et 41 % une opinion neutre.
La moitié des personnes interrogées ont déclaré que l'aide apportée aux réfugiés était trop importante. "De nombreuses entreprises craignent que nous ayons d'énormes problèmes si plusieurs centaines de milliers d'Ukrainiens quittaient le pays subitement", explique paradoxalement Ernest Wyciszkiewicz, directeur du Centre Mieroszewski à la DW.
C'est cette importance prise par la population active de l'Ukraine en Pologne qui serait selon lui à l'origine de ce resentiment.
Des élections présidentielles qui exacerbe la xénophobie
Celui-ci s'est par ailleurs exacerbé à l'approche des élections présidentielles, dont le premier tour est prévue ce dimanche 18 mai. Le populiste d'extrême droite Slawomir Mentzen, actuellement troisième dans les sondages, ne cache par exemple pas ses positions anti-ukrainiennes.
En deuxième position, on retrouve le conservateur Karol Nawrocki, qui s'oppose lui à l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne et à l'OTAN ainsi qu'à l'aide financière aux réfugiés, mais soutient l'effort de guerre.
Le candidat le plus pro-ukrainien est Rafal Trzaskowski, favori de la coalition du Premier ministre Donald Tusk, même s'il a promis une réduction des aides sociales pour les Ukrainiens. Mais il n'a pas spécialement affiché son positionnemenent sur le sujet afin d'attirer le vote centriste.
"Il répond à l'évolution de l'opinion publique. L'enthousiasme initial pour le soutien aux victimes de guerre s'estompe, les sentiments négatifs prennent le dessus et ce sujet ne lui convient pas vraiment", souligne l'analyste politique Marcin Zaborowski à la BBC.
Beaucoup plus loin dans les sondages, un autre candidat d'extrême droite, Grzegorz Braun, dénonce de son côté une "ukrainisation de la Pologne". Il fait même l'objet d'une enquête policière: un drapeau ukrainien a été arraché de la façade d'un hôtel de ville lors de l'un de ses rassemblements électoraux fin avril.
Quid de la propagande russe?
La semaine dernière, le gouvernement polonais a enfin mis en garde contre une "tentative sans précédent" d'ingérence de la Russie dans les élections polonaises, en diffusant de "fausses informations en ligne auprès des citoyens polonais". Ce que Moscou nie.
"Les principaux récits sont que les Ukrainiens volent l'argent du budget polonais, qu'ils ne nous respectent pas, qu'ils veulent nous voler et nous tuer et qu'ils sont responsables de la guerre", explique à la BBC Michal Marek, qui dirige une ONG chargée de surveiller la désinformation et la propagande en Pologne.
"Ces informations commencent sur des canaux Telegram russophones, puis nous voyons les mêmes photos et le même texte simplement traduits par Google Translate", détaille-t-il.
Une fois le scrutin terminé le 1er juin prochain, reste à voir si ce sentiment anti-ukrainien perdurera ou non.