Ukraine: comment la vague de froid qui touche le pays peut influencer le conflit

Kiev, la capitale ukrainienne aujourd'hui vidée de la moitié de ses habitants, s'apprête à passer une nuit glaciale. Dans la nuit de jeudi à vendredi, le mercure doit afficher -10 degrés, avec un ressenti pouvant aller jusqu'à -20 du fait du vent froid. Des températures inhabituellement basses pour la saison, 10 degrés en dessous des normales, et ceci alors que l'hiver avait été marqué par une relative douceur.
Craintes pour les civils
Cette vague de froid, qui doit toucher la moitié du pays d'ici à vendredi, est causée par un anticyclone actuellement situé à l'Est de l'Europe, accompagné d'un air très sec et froid venu d'Arctique. Après avoir frappé la Russie, où des températures avoisinant les -35 degrés ont été enregistré en début de semaine, il se déplace actuellement vers l'Ouest, donc vers l'Ukraine.
Une situation d'autant plus inquiétante que de nombreux Ukrainiens sont aujourd'hui privés d'électricité et de chauffage, au quinzième jour de l'invasion russe sur le pays. Dans un dernier bilan publié lundi par les Nations unies, le ministre ukrainien de l'Énergie avançait le chiffre de 650.000 personnes privées d'électricité sur le territoire national, s'ajoutant aux 130.000 privés de gaz naturel.
"La situation sécuritaire qui se détériore rapidement les empêche de rétablir les services critiques, y compris l'électricité, le gaz et l'eau", écrivait lundi dans un rapport sur l'impact humanitaire de la guerre l'ONU.
Cette situation fait craindre de nouvelles victimes civiles, tuées par le froid. D'autant que de nombreux Ukrainiens sont actuellement sur les routes, tentant de fuir leur pays en guerre ou empruntant les couloirs humanitaires qui ont été ouverts.
Des tanks transformés en congélateurs d'acier
Malgré ce constat peu engageant pour les populations civiles, les températures des prochains jours pourraient se transformer en avantage pour les Ukrainiens, du moins sur le champ de bataille.
"-20 degrés, ça va venir compliquer la tâche des troupes russes, cela ne fait aucun doute. Certes, cela va venir améliorer la mobilité de leur char, car il y a moins de boue, mais les Russes ne sont pas prêts pour des conditions polaires", analyse pour le Times Kevin Prince, un ancien militaire britannique.
D'importants convois de blindés russes sont en effet stationnés en dehors de la capitale Kiev, dans l'attente d'un éventuel assaut. Le plus important d'entre eux est d'ailleurs bloqué au nord de la capitale depuis plusieurs jours, du fait de problèmes d'approvisionnement et de logistique.
"Un assaut urbain sans les vêtements adéquats va être incroyablement dur. Et le fait que les soldats russes sont en maque de fuel signifie qu'ils ne vont pas pouvoir faire tourner leurs tanks pour garder la chaleur. Imaginez rester assis dans un congélateur de 40 tonnes en acier toute une nuit?", continue Kevin Price.
Face à ce froid, les forces russes risquent donc d'abandonner leurs véhicules afin d'éviter de mourir de froid à l'intérieur. De plus, les températures négatives risquent d'endommager le matériel, si l'armée de Vladimir Poutine ne possède pas les produits d'entretien adéquats.
"Ça va affecter ceux dans les convois automobiles. Cela veut dire que les troupes russes vont rester le long des routes et vont souffrir", confie au Times une source militaire ukrainienne.
Une "raspoutista" limitée?
Ce froid va néanmoins venir ralentir le phénomène de "raspoutitsa", pointée du doigt comme un atout majeur pour les Ukrainiens. Au printemps, les terrains dans cette région de l'Europe, face au dégel des sols, se transforment en véritable océan de boue, ralentissant l'avancée des tanks souhaitant s'y aventurer. Des images de blindés russes embourbés ont déjà été transmises par les forces ukrainiennes.
Mais les températures négatives des prochains jours devraient rendre les sols plus praticables. D'autant que la "raspoutitsa" de cette année ne devrait pas être importante, bien qu'elle ait été précoce, comme le rapporte La Chaîne Météo. Du fait d'un hiver particulièrement doux, les sols n'ont pas pu être gelés en profondeur, et les précipitations ainsi que les chutes de neige ont été limitées. La vague de froid des prochains jours ne devrait pas permettre d'entraîner une "raspoutitsa" d'ampleur.
"Il a fait inhabituellement chaud en Ukraine. Ils ont eu une période en février avec plusieurs jours d'affilé où la température atteignait les 5 degrés. C'est inhabituel car c'est normalement en dessous de 0 à cette époque", analyse pour le Washington Post Daniel Müller, spécialiste des zones rurales à l'Institut de développement agraire de Leibniz.
Une situation qui fait dire à Ben Barry, interviewé par le Times et rattaché à l'Institut international des études stratégiques à Londres: "ça va ralentir les choses. Mais ça va ralentir les choses des deux côtés", met-il en garde.