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Snipers en Ukraine: que s’est-il passé à Kiev le 20 février?

L'un de ces mystérieux tireurs embusqués qui ont abattu à la fois manifestants et forces de l'ordre, le 20 février en Ukraine..

L'un de ces mystérieux tireurs embusqués qui ont abattu à la fois manifestants et forces de l'ordre, le 20 février en Ukraine.. - -

La Cour pénale internationale vient d'ouvrir une enquête préliminaire à propos des violences qui ont éclaté en Ukraine. L'épisode des snipers, qui ont fait des dizaines de victimes à Kiev le 20 février, reste encore particulièrement trouble.

La procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a ouvert une enquête préliminaire sur les crimes commis avant et pendant la chute de l'ex-président ukrainien Viktor Ianoukovitch. Un épisode en particulier soulève de nombreuses interrogations: la montée de violence du 20 février qui a fait une centaine de morts. C’est ce jour-là que des snipers ont été aperçus, abattant leurs victimes par dizaines.

Le carnage a choqué le monde entier. Au plus fort des affrontements, le bruit a couru que des tireurs embusqués prenaient pour cible les opposants de Viktor Ianoukovitch. Très vite, des vidéos sont venues corroborer les rumeurs. Les rapports médicaux ont achevé d’apporter la preuve que des armes de guerre avaient été utilisées contre les manifestants.

>> Attention, ces images peuvent choquer

Douze policiers arrêtés

Une enquête a été ouverte par le nouveau pouvoir ukrainien dès que la destitution de Viktor Ianoukovitch a été actée, sous la direction d’Oleg Machnitzki, procureur général et cadre du parti d’extrême droite Svoboda.

Il a rendu ses conclusions le 4 avril, accusant directement Ianoukovitch et ses collaborateurs d’avoir ordonné à la police, Berkout et SBU, d’abattre des manifestants à l’aide de fusils à lunette. Le rapport affirme aussi que la Russie serait impliquée: des représentants des services de sécurité fédéraux du Kremlin auraient été aperçus au siège de la police ukrainienne. Douze membres des Berkout considérés comme suspects ont été emprisonnés.

Des snipers parmi les opposants?

Ce rapport est pourtant contesté. Par Russia Today, d’abord, qui a publié le 5 mars un enregistrement compromettant. Il s’agit d’une discussion entre Catherine Ashton, chef de la diplomatie de l'Union européenne, et Urmas Paet, le ministre estonien des Affaires étrangères.

>> La communication téléphonique dans son intégralité:

On y découvre une conviction du ministre estonien: derrière les snipers se cacherait non pas Ianoukovitch, mais "quelqu’un de la nouvelle coalition". Il mentionne des tirs contre les deux camps opérés par les mêmes personnes, et l’apparente volonté du procureur ukrainien de ne pas s’intéresser à cette piste.

Des snipers tirant depuis le QG des opposants?

Une édifiante enquête de la télévision allemande ARD vient préciser cette thèse. On y apprend qu’il n’y aurait pas eu une, mais deux équipes de snipers face à face, dont une… installée dans le QG des opposants, l’hôtel Ukraina. Les témoignages recueillis parmi les témoins présents le 20 février sur la place Maïdan, à Kiev, sont formels: les manifestants étaient pris entre deux feux, d’autres snipers les abbattaient par derrière. Certaines vidéos montrées dans le reportage l’attestent.

Les tests au laser pointent vers l'hôtel Ukraina.
Les tests au laser pointent vers l'hôtel Ukraina. © -

Les tests au laser, pour reconstituer la trajectoire des balles qui ont traversé les arbres, pointent également les fenêtres de l’hôtel Ukraina, pourtant investi et sévèrement gardé ce jour-là par les manifestants.

Les journalistes allemands présentent aussi les enregistrements d’un radio-amateur présent sur les lieux, qui aurait capté les transmissions des Berkout. On comprend clairement à leur surprise qu’il y a une deuxième équipe en face, et qu’ils ne la connaissent pas: "Les gars, il y a un sniper qui me vise". "Qui a tiré? Nos gens ne tirent pas sur les gens désarmés!"; "Il y a d’autres snipers, mais qui sont-ils?"

Pour enfoncer le clou, la chaîne ARD valide les images de Russia Today montrant des hommes armés de fusils à lunette dans les chambres de l’Ukraina, et interroge un médecin qui a soigné les blessés des deux camps. Il témoigne: les blessures des victimes ont été causées par des armes du même type.

On peut dès lors se demander pourquoi la police ukrainienne abattrait ses propres hommes: le 20 février, on a dénombré des victimes aussi bien du côté des policiers que du côté des manifestants.

>> Le site Les Crises a publié l'intégralité de ce reportage sur Dailymotion, sous-titré en anglais:

L'enquête officielle contestée

De plus, l’enquête menée par le gouvernement ukrainien actuel est contestée, parfois par les enquêteurs eux-mêmes. Ceux que les journalistes de l’ARD ont rencontrés estiment que le rapport n’est pas fidèle à leurs conclusions. Les représentants des victimes, eux, estiment que le procureur "couvre les siens". La Cour pénale internationale (CPI) sera-t-elle plus à même de mener une enquête objective?

Dans les jours qui viennent, la procureure de la CPI examinera cette question des snipers, parmi les autres accusations de torture et de meurtre qui ont émaillé cette période. "Si elle trouve qu'il y a une base suffisante pour justifier une enquête, c'est elle qui en fera la demande aux juges de la Cour", a précisé le porte-parole de la CPI, Fadi El Abdallah. Jusque là, la CPI n’a ouvert que huit enquêtes, toutes concernant des pays africains.

Olivier Laffargue