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"Monsieur, c'est la 3e guerre mondiale?": comment parler du conflit en Ukraine aux enfants

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Guerre totale, invasion militaire, menace nucléaire... Il y a quelques jours, la guerre s'est invitée aux portes de l'Europe avec l'invasion russe de l'Ukraine. Face à une situation aussi anxiogène, BFMTV.com a demandé à des enseignants et à des pédo-psychiatres comment évoquer le sujet avec les plus jeunes, sans pour autant les alarmer.

Dans les salles de classe, les questions fusent depuis le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. "Ce matin d'emblée, un élève m'a demandé 'Monsieur, 'est-ce que c'est la 3e guerre mondiale'?", confie à BFMTV.com Yann Latour, professeur des écoles à l'école Jean Macé de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).

Bombardements de civils, progression des troupes, menaces de guerre totale ou de guerre nucléaire: si certains d'entre eux parviennent à maintenir ce sujet à distance, ce contexte de tensions peut générer des inquiètudes voire de véritables angoisses chez d'autres. Yann Latour s'était préparé à y répondre, ayant l'habitude d'évoquer les questions d'actualité avec sa classe de 9-10 ans.

"Devant leurs inquiétudes, j'ai essayé de dédramatiser la situation tout en étant relativement neutre dans mes propos, sans pour autant minimiser la situation parce qu'ils doivent être conscients qu'il y a effectivement quelque chose qui se passe", explique ce professeur des écoles d'Auvergne.

"Le sujet est quasiment inévitable", confirme Cindy Simonin, institutrice d'une classe de CM2 à l'école Notre-Dame du Bon Conseil d'Amiens (Somme) Du haut de leurs 10-11 ans, ses élèves avaient "pas mal de questions" en arrivant à l'école. "On sent qu'il y a un réel besoin d'en parler, même s'ils réagisent tous différemment.Certains sont sincèrement inquiets quand d'autres prennent ça pour un jeu."

Leur demander ce qu'ils ont compris de la situation

"D'un côté, on a ceux qui ont des difficultés à faire la différence entre la fiction et la réalité, à qui il faut rappeler qu'il s'agit de vraies images, de vraies personnes comme eux", poursuit-elle. "Le fait que les images proviennent de la télévision fait qu'ils ont du mal à faire la différence avec le film qu'ils regardaient un quart d'heure plus tôt, et à s'imaginer que ça puisse être la réalité."

"Et il y en a d'autres, plus angoissés, qui se projettent, qui s'interrogent sur les répercussions que cela pouvait avoir sur leur quotidien. Et si c'était moi? Est-ce qu'on va devoir aller faire la guerre? Est-ce que nos pères, nos grands frères vont devoir aller en Ukraine? À partir de quel âge?"

"Le climat est extrêmement anxiogène parce qu'il touche la France de près", juge Caroline Tual, interne en pédopsychiatrie à l'Etablissement public de santé mentale (EPSM) de la Somme. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire, selon elle, "de s'assurer que les enfants aient bien les bonnes informations".

Dans sa classe, Cindy Simonin a par exemple pu contater que "ses élèves avaient des niveaux d'information très différents à la maison": "Certains parents avaient fait le choix de tout leur montrer, d'autres avaient entendu des choses à la télé sans vraiment comprendre, et d'autres en avaient à peine entendu parler..."

La meilleure chose à faire dans ce genre de cas, selon Caroline Tual, "c'est de laisser les questions des enfants venir d'elles-mêmes", et de "ne pas hésiter à leur demander ce qu'eux ont compris de la situation pour pouvoir rebondir".

"Parfois, on se rend compte qu'il y a un monde entre ce qu'ils ont compris et la réalité. Ça peut mener à des situations où un élève répète une information erronnée ou exagérée à un camarade, et ça créé un vent de panique dans les cours de récréation." Et "s'ils ont mal compris", il faut "éviter de leur foncer dessus mais essayer d'expliquer avec des mots simples, à leur portée, en quoi ce qu'ils disent est faux ou ne tient pas la route".

Rassurer, sans minimiser

C'est précisément ce qu'a choisi de faire Émilie Martin, professeure des écoles d'une classe de CM1 dans un établissement primaire amiénois. "Quand on a évoqué la question ce lundi, j'ai essayé d'être nuancée, de les rassurer mais ce n'était pas évident."

"On a une carte d'Europe dans la classe et une poignée d'entre eux a commencé à imaginer une 3e guerre mondiale, puis à compter le nombre de pays qui séparaient la France de la Russie", raconte-t-elle. "Là, j'ai coupé court et j'ai essayé de les rassurer, de leur dire qu'on en était pas là"

"Le sujet est délicat car on fait face à un événement d'une ampleur particulière. Nous, en Europe, n'avions jamais connu un tel niveau de tension politique ces dernières décennies", souligne le Dr Sophie Laub, psychiatre pour enfants à Bron (Rhône). C'est pourquoi il faut veiller à "rassurer les enfants, à relativiser les dangers" en leur rappelant par exemple "l'éloignement géographique" avec la zone en guerre.

En somme, résume-t-elle, l'adulte doit "avoir une tonalité rassurante mais surtout authentique. Il est important que le parent, ou du moins l'adulte, soit lui-même convaincu soi-même de ce qu'il avance, qu'il soit dans une certaine honnêteté face à l'enfant".

S'il faut garder les enfants à distance des spéculations les plus farfelues et bien sûr leur épargner les scénarios catastrophistes, Caroline Tual insiste: "On peut avoir tendance à penser qu'il faudrait étouffer les informations difficiles pour les épargner, mais c'est en fait une mauvaise idée". "Si nécessaire, on peut amener le sujet par le biais d'une médiation comme un jeu, un livre, une BD, un dessin et appuyer la discussion sur leurs ressentis, les pousser à essayer de mettre des mots leurs émotions."

Adapter ses mots à l'âge de l'enfant

Une idée partagée par le Dr Thierry Delcourt, pédopsychiatre à Reims. Une des erreurs, selon lui, serait de ne pas répondre à leurs interrogations, de leur cacher des choses ou de leur répondre que "ça n'est pas de leur âge". Il conseille aux parents ou enseignants "d'adapter leur discours à l'âge de l'enfant qu'ils ont en face d'eux". Selon lui, "on peut commencer à aborder la question à partir de 'l'âge de raison', soit environ 7 ans". De toute façon, rappelle-t-il, "les enfants de cette génération sortent tout juste d'une pandémie, ils sont rodés aux mauvaises nouvelles".

Enfin, mettre entre les mains des enfants des clés de compréhension qui soient à leur hauteur peut être un moyen intelligent de "désamorcer leurs angoisses", selon les mots de Pauline Leroy, rédactrice en chef adjointe du Petit Quotidien. Le journal publie ce mardi un dossier spécial de quatre pages sur la guerre en Ukraine.

"Nos lecteurs ont entre 6 et 10 ans", explique à BFMTV.com Pauline Leroy. "Ils n'ont donc pas le bagage historique et géographique suffisant pour savoir ce qui se passe, donc en écrivant ce numéro, nous avons essayé de mettre à disposition des outils simples et visuels pour leur permettre de comprendre les grandes lignes de ce conflit."

Dans ce numéro spécial, la rédactrice en chef adjointe indique avoir mis à disposition "une rubrique dictionnaire pour expliquer les mots et concepts clés du conflit, comme l'OTAN, l'indépendance d'un pays, la mobilisation générale". "Et on a aussi beaucoup misé sur les cartes pour qu'ils visualisent où se situent l'Ukraine et la Russie par rapport à la France, à l'Europe et au monde", poursuit-elle.

"On s'est mis à hauteur d'enfant" sans pour autant "peindre l'actualité en rose", conclut la journaliste, qui reconnaît que ce numéro est "plus dense et plus dur que d'habitude". Elle recommande donc aux parents "d'accompagner leurs enfants dans la lecture", "pour adapter le discours en fonction de la personnalité de l'enfant".

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV