Le Nagorno-Karabakh, enjeu de tensions dans le Caucase

Poste armé à la frontière du Nagorno-Karabakh. - -
Éclipsée par les conflits en Ukraine et en Irak, une guerre des nerfs se joue sur les quelques 250 km de frontière entre la République du Nagorno-Karabakh et l'Azerbaïdjan. Le premier est un État reconnu uniquement par la République d'Arménie, et pour cause: les deux républiques sont soeurs ethniques.
Mercredi 11 juin, deux jeunes conscrits de l'armée du Nagorno-Karabakh succombent à des tirs de snipers azéris à un poste avancé dans le nord. Je me trouve alors au même moment à un poste plus a sud, calme, tenu en permanence par une quinzaine de soldats (le chiffre officiel n'est jamais dévoilé). Avec ses tranchées fortifiées d'abris anti-aériens, et malgré ses quelques appareils électroniques, le tout fait très rétro. Les morts sur la frontière nous rappellent à la réalité.
Avec ses 11.000 km2, soit l'équivalent du Liban, le Nagorno Karabakh est entièrement enclavé dans les terres de l'Azerbaïdjan et de l'Iran. Avec sa faible population de 150.000 âmes et 500 églises et monastères chrétiens, l'armée sous-équipée, dépourvue d'aviation, doit surveiller 180 km de frontière (l'Iran étant neutre). Si l'armée azérie tire, c'est parce que le gouvernement d'Azerbaïdjan revendique la totalité du Nagorno Karabakh, territoire perdu suite à une guerre de 1991 à 1994.
Le Nagorno Karabakh, territoire fabriqué par l'URSS
Cela nous ramène à la chute de l'URSS et aux troubles provoquées par des frontières ethniques bâclées dans une mosaïque d'enclaves autonomes. Pensons au désastre de la Tchétchénie: une forte ambiance balkanique se dégage dans le Caucase, jamais identique d'une zone à l'autre mais toujours torturée.
Un peu d'histoire: dans les années 20, l'éphémère République d'Arménie entre dans l'URSS, mais sa nouvelle protectrice lui exige le transfert du Nagorno-Karabakh à la République soviétique d'Azerbaïjan. Ce territoire est ensuite raboté d'un tiers pour ne former qu'une île séparée de la mère patrie arménienne. Les Soviétiques divisaient les peuples de l'Empire pour régner; les Azéris eux, très proches des turcs, turquifiaient le petit Karabakh. Le désastre devait arriver.
Guerre de David contre Goliath
À partir de 1988, l'URSS est à l'agonie, et les habitants du Nagorno Karabagh demandent le rattachement à la République soviétique d'Arménie. S'ensuit le réfus azéri, les tensions, la chute de l'URSS et la guerre dès 1991, parsemée de massacres initiaux d'Arméniens en Azerbaïdjan proprement dite. L'armée azérie entre dans le Nagorno-Karabagh mais — surprise — une armée de volontaires karabakhiens lui tient tête seule, sans l'Arménie qui ne peut ni ne veut déclarer la guerre!
Des volontaires de la Diaspora arménienne accourent au NK, les citoyens montent au front avec du matériel de récupération, une route vitale est ouverte vers la République d'Arménie. En 1994 c'est l'armistice, parrainé par des généraux russes. Des centaines de milliers de déplacés dans les deux camps, le Nagorno-Karabagh récupère les territoires rabotés. Il ne reste plus un Arménien en Azerbaïdjan ni un Azéri au Nagorno Karabakh. Trente mille personnes ont péri.
Un problème pour la communauté internationale
Nous sommes en 2014, qui marque les vingt ans de la République du Nagorno-Karabakh. Elle n'ose se rattacher à l'Arménie, ce qui relancerait sûrement une nouvelle guerre.
François Hollande a fait le saut dans le Caucase du Sud à la mi-mai, et a prononcé des phrases passe-partout sur la nécessité de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie de résoudre le problème du Nagorno-Karabakh. Rien ne bouge, et chaque État regarde l'Ukraine et se demande quelles sont les nouvelles règles du jeu: l'annexion, l'agression, l'immobilisme? Avec ou sans la Russie? Vue du Nagorno-Karabakh, plutôt russophile, mépriser le Kremlin n'est pas une option.