Guerre en Ukraine: où en sont les négociations?

Les délégations ukrainienne et russe en Biélorussie le 28 février 2022. - Sergei Kholodilin / Belta / AFP
Les pourparlers entre la Russie et l'Ukraine seraient-ils en réalité un grand jeu de dupes diplomatiques orchestré par Moscou? Les dernières déclarations du porte-parole de la présidence russe laissent en tout cas planer le doute concernant les intentions réelles de la Russie dans ces discussions.
Mardi, Dmitri Peskov, un proche de Vladimir Poutine, déclarait: "un certain processus (de négociations) a lieu. Mais nous souhaiterions qu'il soit plus énergique, plus substantiel".
Pourtant, c'est bien la Russie qui ignore depuis le début de l'invasion de l'Ukraine les invitations lancées par Volodymyr Zelensky, se disant prêt à rencontrer Vladimir Poutine en personne. Lors d'un entretien accordé au média régional ukrainien Suspilne, dévoilée dans la nuit de lundi à mardi, le chef d'État ukrainien précisait qu'une "rencontre sous quelque forme que ce soit" avec son homologue russe constituait la seule issue pour "arrêter la guerre".
Lors de la même interview, l'ancien acteur devenu chef de guerre s'est même dit prêt à un "compromis" territorial concernant le Donbass, en partie tenu par des séparatistes prorusses, et la Crimée, annexée par Moscou en 2014.
Quatre rounds de négociations
Difficile donc de jauger les attentes de Moscou dans le processus de négociations qui s'est ouvert le 28 février en Biélorussie, seulement cinq jours après le début de l'offensive russe.
Depuis, trois autres rounds de tractations se sont tenus. Un dernier en Biélorussie, avant que les discussions ne basculent en visioconférence.
"La visioconférence permet de décrisper les Ukrainiens et de fluidifier les logistiques car c’était très compliqué pour la délégation ukrainienne de se rendre en Biélorussie en évitant les zones de combats. Cela va permettre aux négociations d’être plus rapides et efficaces", explique à TV5 Monde Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe à Moscou.
La délégation russe est menée par l'ancien ministre de la Culture de Poutine, Vladimir Medinski, un personnage de second plan qui "se voit comme une sorte de chevalier de la Sainte et Grande Russie qui, selon lui, aurait toujours été dénigrée et attaquée par les Occidentaux", analyse auprès de franceinfo l'historienne Emilia Koustova. Du côté ukrainien, c'est le ministre de la Défense Oleksiy Reznikov qui est aux commandes.
Confidentialité du contenu des discussions
Le contenu des pourparlers reste confidentiel. Dmitri Peskov a refusé de communiquer sur la teneur des dernières discussions, qui ont commencé le 16 mars. "Actuellement, rendre (ces sujets) publics ne peut que gêner le processus de négociation qui se déroule déjà de manière lente".
On connaît néanmoins les grandes intentions des deux partis. Dans un entretien accordé à l'émission américaine PBS NewsHour, l'Ukrainien Mykhailo Podoliak, conseiller de Zelensky et membre de la délégation ukrainienne de négociation, a indiqué: "Notre position dans ces négociations est claire. Nous voulons des garanties de sécurité légalement vérifiables, un cessez-le-feu et le retrait des troupes russes".
Dans une interview accordée au quotidien turc Hurriyet, le porte-parole de la présidence turque, Ibrahim Kalin, a révélé que les deux parties négociaient sur six autres sujets: la neutralité de l'Ukraine, le désarmement et les garanties de sécurité, la "dénazification", le retrait des obstacles à l'utilisation de la langue russe en Ukraine, le statut de la région séparatiste du Donbass et le statut de la Crimée annexée par la Russie en 2014.
Mardi, Volodymyr Zelensky, dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, a fait le point sur les discussions. "Les représentants ukrainiens travaillent sur les négociations, qui se poursuivent pratiquement tous les jours. C'est très difficile. Parfois honteux. Mais pas à pas, nous avançons", a-t-il expliqué.
Tout en continuant à pousser pour une rencontre en tête-à-tête avec son homologue russe, quitte à désavouer le travail mené par son équipe de négociateurs.
Sur CNN dimanche, le président ukrainien déclarait: "peu importe les discussions entre nos équipes de négociateurs, je pense que seuls nous deux, moi et Poutine, pouvons parvenir à un accord".
Le rôle de médiateur d'Ankara
L'unique rencontre entre officiels de haut niveau depuis le début de la guerre a eu lieu entre le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov et son homologue ukrainien Dmytro Kouleba, à Antalya, en Turquie le 10 mars.
Depuis le début de l'offensive russe, la Turquie, membre de l'Otan mais n'ayant pas repris l'intégralité des sanctions occidentales, souhaite jouer un rôle de médiateur de premier plan, en parvenant à maintenir des contacts avec les deux belligérants.
La rencontre d'Antalya n'a en revanche débouché sur aucune avancée concrète, au grand regret de Dmytro Kouleba, qui s'était avant tout déplacé pour négocier un cessez-le-feu. Même constat d'échec du côté de la partie russe. À l'issue de la rencontre, Sergueï Lavrov a indiqué que les négociations à l'œuvre en Biélorussie puis en visioconférence était l'unique modèle de discussion viable.
Dimanche 20 mars, la Turquie a néanmoins indiqué que la Russie et l'Ukraine avaient fait des progrès dans leurs échanges.
"Bien sûr, ce n'est pas une chose facile que de parvenir à s'entendre pendant que la guerre continue, que des civils sont tués, mais nous voudrions dire que la dynamique progresse", a déclaré le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu.
La Turquie s'est d'ailleurs dite prête à accueillir une rencontre entre Volodymyr Zelensky et le président russe Vladimir Poutine. "Nous travaillons nuit et jour pour la paix", a assuré Mevlut Cavusoglu dimanche.
La pression internationale s'accentue
Du côté des chancelleries occidentales, on présente la voie de la négociation comme la seule issue au conflit, après des semaines d'escalade militaire, ponctuée par le brandissement de la menace nucléaire par Moscou, l'utilisation de missiles supersoniques et le siège mené sur la ville de Marioupol.
Mardi, l'Élysée a indiqué, à l'issue d'un nouvel entretien téléphonique entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine, qu'"il n'y a pas d'autre issue qu'un cessez-le-feu et des négociations de bonne foi".
Même constat du côté des Nations unies, où le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a appelé la Russie à donner sa chance aux discussions diplomatiques. "Tôt ou tard, il faudra passer du champ de bataille à la table de la paix, c'est inévitable" a-t-il souligné, qualifiant l'offensive russe "d'ingagnable. Mardi, les services de renseignement britanniques ont décrit des troupes russes "au point mort", ne réalisant pas d'avancées significatives.
Reste à savoir si Vladimir Poutine sera sensible aux nouvelles voies de discussions ouvertes par Volodymyr Zelensky, concernant le Donbass et la Crimée. Tout en gardant en tête qu'il est impossible de dire si la prochaine étape voulue par le maître du Kremlin sera le renforcement de l'offensive, ou l'ouverture de négociations en haut lieu. N'est-ce-pas déjà Vladimir Poutine qui avait donné son accord à Emmanuel Macron pour rencontrer Joe Biden le 20 février, avant de lancer son offensive sur l'Ukraine le 24?