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Entre espoir et reniement, la fin de l'ère Tsipras en Grèce

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Vaincu dimanche à l'occasion de législatives anticipées, Alexis Tsipras quitte la tête d'un gouvernement dont il avait la charge depuis janvier 2015. Pour de nombreux Grecs, il est l'homme qui a tourné le dos au référendum sur la dette qu'il avait lui-même organisé. Une spécialiste de la Grèce nous éclaire sur le bilan d'Alexis Tsipras et le profil de celui qui le remplace dès ce lundi.

L'ère Alexis Tsipras se referme donc en Grèce. Lors des élections législatives anticipées de dimanche, son parti Syriza n'a récolté que 31,5% des suffrages exprimés, ne conservant que 86 sièges au Parlement grec, loin des 39,8% moissonnés par Nouvelle Démocratie, le parti de droite libérale conduit par le nouveau chef du gouvernement Kyriakos Mitsotakis, qui enlève du même coup 158 sièges sur les 300 disponibles. C'est ainsi que se termine un mandat inauguré en janvier 2015 au milieu de la douloureuse exaltation née du bras-de-fer opposant la Grèce à ses créanciers, marqué par le référendum rejetant, à l'été suivant, les mesures réclamées par ces derniers, et assombri par l'enterrement de la volonté populaire par Alexis Tsipras une poignées de jours plus tard.

Nanti d'un mandat explicite du peuple grec de refuser la rigueur européenne, le Premier ministre s'était finalement mué en apôtre de l'austérité. C'est ce revirement, qualifié de "trahison" par de nombreux électeurs, qu'il a payé dans les urnes dimanche. 

Pas vraiment le choix 

Pourtant, dans cette perspective, l'identité de son successeur ne laisse pas d'étonner. Kyriakos Mitsotakis est en effet le chef de file, et ce depuis janvier 2016, d'une formation historiquement pro-européenne, libérale, proche des milieux d'affaires. Pas franchement de nature à tenter de tordre le bras de Bruxelles. Vu de loin, il semble difficile d'expliquer le comportement de l'électorat grec. Autant s'en remettre alors à un observateur le connaissant de près. Joëlle Dalègre est historienne, a écrit entre autres La Grèce depuis 1940, et connaît bien la classe politique actuelle. Elle nous aide à y voir plus clair sur le choix héllène. Pour elle, plusieurs facteurs viennent nourrir la défaite d'Alexis Tsipras et l'arrivée au pouvoir de Kyriakos Mitsotakis.

"L'électeur n'est pas forcément un être logique. Et une partie des électeurs s'étaient tournés vers Tsipras pour des raisons sentimentales. La trahison a donc été ressentie plus durement encore par eux. Tandis que Mitsotakis n'a rien trahi au moins...", commence-t-elle avant d'évoquer la sinistrose qui anime la scène publique locale: "Les électeurs n'avaient pas tellement le choix". Entre des partis d'extrême gauche ne pouvant guère espérer s'envoler dans les grands pourcentages et une extrême droite discréditée, "pour dégommer Tsipras, il n'y avait plus qu'à voter Nouvelle Démocratie", continue Joëlle Dalègre. 

L'alchimiste 

Kyriakos Mitsotakis, partisan des privatisations à tout crin, est tout de même parvenu à insuffler un minimum d'élan à sa campagne en faisant miroiter une curieuse alchimie économico-politique, analyse Joëlle Dalègre: "Les Grecs sont des gens fondamentalement désespérés. Mitsotakis a su leur rendre une toute petite étincelle en leur disant qu'avec un gouvernement libéral, ils seraient bien vus en Europe, donc qu'ils obtiendraient des choses, donc qu'il y aurait des investissements, donc qu'il y aurait de l'argent et donc que lui pourrait baisser les impôts". Douce musique aux oreilles éprouvées d'une classe moyenne accablée par la fiscalité. 

En d'autres termes, si quatre ans en arrière, les citoyens grecs espéraient d'Alexis Tsipras qu'il desserre l'étau autour d'eux en assumant le duel face à l'Union européenne et aux institutions financières, ils renouvellent cette fois ce pari en tablant sur un "traitement de faveur" européen, d'après l'expression de notre interlocutrice, pour son remplaçant.

Kyriakos Mitsotakis partait toutefois de loin. Analyste financier de profession, ancien consultant auprès de McKinsey and Company, il est aussi le rejeton d'une longue dynastie politique. Son père, Konstantinos, a été Premier ministre entre 1990 et 1993, sa sœur, Dora, a été maire d'Athènes, ville sur laquelle règne désormais... Kostas Bakoyannis, le fils de Dora. Un type de CV que les Grecs repoussaient massivement en 2015, au plus fort de la crise. Mais il est parvenu à nuancer son image: "Mitsotakis a fait des promesses qui dépassent celles de Tsipras! Et il a toujours dit que son tournant libéral et d'innombrables privatisations les financeraient", note Joëlle Dalègre. 

Amer souvenir 

Alexis Tsipras n'a plus qu'à s'effacer. Il est encore trop tôt pour savoir ce que la postérité retiendra de son action dans la péninsule. Mais elle s'annonce impitoyable. L'image de l'homme venu combattre les plans d'austérité et finissant par les appliquer sans renâcler pèse déjà lourd. Joëlle Dalègre tient cependant à préciser que quand une légère embellie allégeait le ciel budgétaire, Alexis Tsipras a fait voter quelques mesures sociales dont l'augmentation du salaire minimum, ou encore le treizième mois pour les retraités: "Mais ces sommes restent bien inférieures à ce qu'elles étaient auparavant". 

Que retenir alors du passage au pouvoir du leader de Syriza? "A l'origine, je pense qu'il était sincère dans sa démarche de s'opposer à l'austérité mais il avait peut-être sous-estimé l'opposition qu'il allait devoir affronter", estime Joëlle Dalègre, qui retient une dernière chose: "Il y a les difficultés que peut voir se dresser face à lui quelqu'un qui ne fait pas partie de l'establishment. A l'échelle de l'Union européenne, il y a la question de ce que peuvent les petits partis et les petits pays, le fait que l'Union européenne se fiche de ce que pensent ces petits pays. Et apparemment, on est vite un petit pays". 

Robin Verner