Egypte: l'action d'un businessman exilé relance la contestation contre le régime

Des manifestants scandent des slogans contre le régime dans le centre du Caire - STR / AFP
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi est sous le coup d'un regain de contestation depuis quelques jours, alors même qu'il se trouve actuellement à New York pour l'Assemblée générale des Nations unies.
Une série de vidéos postées par un homme d'affaires égyptien en exil fustigeant le président Abdel Fattah al-Sissi et l'armée a en effet fait grand bruit en Egypte, contribuant à susciter de rares manifestations antigouvernementales. Mohamed Aly, 45 ans, se met en scène depuis le 2 septembre dans des vidéos, où il accuse sans ménagement le président égyptien et l'armée de corruption.
"Vous dites que nous (les Egyptiens), on devrait se serrer la ceinture (...). Et vous, vous jetez des milliards" par les fenêtres, avait-il dit en s'adressant à Abdel Fattah al-Sissi dans sa première vidéo diffusée le 2 septembre.
Exilé en Espagne
Il affirme que des millions de livres égyptiennes de fonds publics ont été utilisés dans des projets inutiles et des palais présidentiels. Et selon lui, les autorités doivent des millions de livres à sa compagnie de travaux publics Amlaak Group. Exilé en Espagne depuis un an, il n'a fourni aucune preuve vérifiable de ses allégations, mais ses vidéos postées sur Internet presque chaque jour sont regardées par des millions d'Egyptiens.
Celui qui affirme avoir travaillé pour l'armée égyptienne pendant une quinzaine d'années a par ailleurs révélé les emplacements de villas de luxe ou palais, dont le gouvernement aurait passé commande. "Mensonges et calomnies", a lancé mi-septembre Abdel Fattah al-Sissi, niant en bloc les accusations de corruption lancées par Mohamed Aly. Le président a reconnu qu'il faisait bien construire des palais, mais pour l'Egypte pas pour lui-même.
Au delà des accusations, Mohamed Aly a appelé les Egyptiens à l'action: profitant de la tenue d'un match de football au Caire vendredi, il les a invités à descendre dans la rue. Des centaines de personnes ont répondu à l'appel dans plusieurs villes d'Egypte.
"Sissi, dégage"
Malgré l'interdiction de manifester, des centaines de manifestants se sont réunis au Caire et dans d'autres villes du pays pour protester contre le gouvernement du président Abdel Fattah al-Sissi. Selon Middle East Eye, ce seraient les manifestations les plus importantes depuis que l'ancien général a mis la main sur le pays. Dans la capitale, les manifestants se sont rassemblés place Tahrir, le lieu où la contestation s'est concentrée en 2011 avant d'obtenir le départ d'Hosni Moubarak.
"Sissi dégage", ont-ils scandé, un slogan inconcevable il y a peu encore dans l'Egypte ultra-répressive du président Sissi.
Dans une vidéo de Middle East Eye, on peut voir les images des différents rassemblements de vendredi soir, où les manifestants scandent différents slogans contre le régime en place.
Mais les manifestations n'ont pas pu s'attarder. Tous les rassemblements ont été rapidement dispersés par les forces de l'ordre, qui ont fait usage de gaz lacrymogène et procédé à des arrestations. Le lendemain, elles sont aussi intervenues lors d'une manifestation à Suez (est), en tirant avec des balles en caoutchouc, selon une source de sécurité.
Plus de 500 personnes ont été arrêtées depuis le début vendredi des manifestations, a rapporté lundi une ONG égyptienne. Une source sécuritaire avait fait état de 74 personnes arrêtées.
"Selon notre dernier décompte, 516 personnes ont été arrêtées depuis vendredi, au Caire et dans d'autres villes du pays", a indiqué le Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux (ECESR) dans un communiqué publié sur sa page Facebook.
Se félicitant de la tournure des événements, Mohamed Aly a ensuite appelé samedi à une "marche du million" vendredi prochain sur toutes "les grandes places" du pays. "C'est une révolution du peuple", a-t-il martelé.
Lutte pour les droits humains
L'organisation Human Rights Watch a appelé les autorités égyptiennes à respecter le droit de manifester pacifiquement, et le directeur adjoint du bureau Moyen-Orient, Michael Page, a déclaré que "les autorités doivent reconnaître que le monde les regarde, et prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter la répétition d'atrocités du passé", selon Middle-East Eye.
Sarah Leah Whitson, directrice exécutive, a quant à elle souligné sur twitter que le risque qu'ont pris les manifestants montre "à quel point les conditions sont désespérantes dans le pays" et a rajouté "pas de justice, pas de paix".
L'Egypte vit sous état d'urgence depuis une série d'attentats en 2016-2017. Par ailleurs, les manifestations y sont sévèrement restreintes depuis que le président Sissi a renversé son prédécesseur islamiste Mohamed Morsi en 2013. Depuis lors, les autorités ont réprimé sans ménagement les dissidents, emprisonnant des milliers d'islamistes, ainsi que des militants laïcs et des blogueurs populaires.