Crise ukrainienne: jusqu'où veut aller Vladimir Poutine?

En reconnaissant lundi l'indépendance de deux territoires séparatistes pro-russes présents sur le territoire ukrainien, Vladimir Poutine a acté une nouvelle étape dans l'escalade des tensions à l'œuvre dans l'Est de l'Europe. Dans un discours qualifié de "paranoïaque" par l'Élysée, le maître du Kremlin a décrit l'Ukraine comme une "république fantoche", soulignant la "folie" qu'aurait constituée sa "création".
Après ces déclarations, et l'observation dans la foulée de blindés dans la banlieue de la ville de Donetsk, dont l'appartenance à la Russie est "très probable" selon l'agence de presse Reuters, plusieurs questions se posent. Le point de non-retour a-t-il été atteint? Les innombrables contacts diplomatiques entre les dirigeants occidentaux et Vladimir Poutine ont-ils été vains? Se dirige-t-on vers un conflit de haute intensité sur le territoire européen?
"Oui, la guerre peut être évitée"
Une chose est sûre, Vladimir Poutine a décidé de clore brusquement les discussions diplomatiques concernant le Donbass, région ukrainienne où sont situées les deux "républiques populaires" qu'il a déclarées indépendantes lundi soir.
En 2015, François Hollande avait négocié aux côtés d'Angela Merkel les accords de Minsk II, qui avaient acté un cessez-le-feu dans le Donbass. Pour l'ancien président de la République, invité sur BFMTV-RMC ce mardi matin, "oui, la guerre peut être évitée", même s'il concède que le discours du chef d'État russe de lundi soir constitue un "acte extrêmement grave".
Constat partagé par Emmanuel Dupuy, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe.
"Je ne suis pas certain qu'on ait atteint un point de non-retour. Il reste les options diplomatiques", a-t-il avancé ce mardi sur BFMTV.
Même si "toute l'architecture de dialogue avec Poutine, la rencontre prévue jeudi entre le secrétaire d'État américain Blinken et son homologue russe Lavrov, semblent compromises, tout comme la promesse française de faire venir Poutine quelque part en Europe pour qu'il rencontre Biden", continue-t-il.
"Nous restons ouverts à la diplomatie, pour une solution diplomatique", a indiqué un diplomate russe lors de la réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU.
À l'Est de l'Europe, on préfère néanmoins prendre ses précautions. La Lettonie a ainsi décidé de mobiliser, dans la foulée du discours de Poutine, des missiles antichars. Quant à l'Ukraine, "le président ukrainien a déjà massé 40.000 des 200.000 membres des forces de sécurité ukrainiennes", ajoute Emmanuel Dupuy.
Une carte qui laisse présager le pire
Mais selon les observateurs, la possibilité que se déroule une guerre dépend en réalité de la géographie qu'a en tête le président russe. Car les deux "républiques populaires" séparatistes qu'il a déclarées indépendantes ce lundi sont en réalité depuis huit ans soumises à l'influence de Moscou.
La nuance se trouve dans le fait qu'elles ne représentent qu'une partie du territoire des deux oblasts - une subdivision administrative ukrainienne - sur lesquelles elles sont situées.
Si les blindés russes venaient à s'aventurer en dehors des délimitations des "républiques populaires", ceci constituerait un nouveau tournant dans la crise ukrainienne.
"Il y a une question qu'il faut se poser aujourd'hui, dont va dépendre celle de la guerre et de la paix. Est-ce que Vladimir Poutine a reconnu, dans son esprit, l'indépendance des territoires tels qu'ils sont aujourd'hui? Est-ce qu'il a reconnu l'indépendance des territoires administratifs de Donetsk et de Lougansk, qui sont plus grands? Ou est-ce que ce qu'il a en tête, c'est Malorossiya (en français petite Russie, ndlr), c'est-à-dire tout cet espace qui va du Donbass à la mer Noire?", a analysé sur BFMTV Florent Parmentier, spécialiste de la Russie.
Or, pour Patrick Sauce, éditorialiste politique internationale pour BFMTV, la carte présentée lundi soir par le Kremlin afin d'appuyer les propos de Vladimir Poutine laisse présager le pire. "J'ai été sidéré par l'exposé du ministre russe de l'Intérieur, qui a donné une carte, qui n'était pas celle de Lougansk et de Donetsk, mais bien de toute la région, qui allait jusqu'à Marioupol, c'est-à-dire jusqu'à la mer d'Azov", a-t-il déclaré.
"On n'a vraisemblablement pas encore tout vu".
Dans un contexte où les limites des Occidentaux et des Ukrainiens sont sans cesse repoussées par les Russes, le véritable point de non-retour semble donc désormais s'apparenter à une traversée des frontières des deux "républiques populaires" par les blindés russes.
Et comme le souligne le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU, "s'il (Vladimir Poutine, ndlr) franchit ces lignes, il va se retrouver face à une armée ukrainienne préparée, et des citoyens qui ne veulent pas rejoindre la Russie". Laissant envisager la gravité du conflit qui pourrait découler d'une telle manœuvre.