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"Le plus gros scandale de l'histoire": pourquoi Donald Trump affirme que Joe Biden a été remplacé par une "machine à signer"

Joe Biden signe un décret présidentiel à la Maison Blanche, à Washington le 9 juillet 2021

Joe Biden signe un décret présidentiel à la Maison Blanche, à Washington le 9 juillet 2021 - Brendan Smialowski / AFP

Le président américain affirme que Joe Biden était trop âgé et malade pour prendre des décisions durant son premier mandat. Il accuse - sans preuve - son équipe d'avoir utilisé une machine pour signer les documents à sa place. L'ancien président démocrate, qui a récemment annoncé être atteint d'un cancer, a fermement démenti.

Donald Trump fait feu de tout bois contre Joe Biden. Six mois après son retour au pouvoir, le président américain continue d'accabler de reproches son prédécesseur, qu'il rend autant responsable de la guerre en Ukraine que de l'inflation ou de la crise migratoire.

L'annonce par le démocrate de 82 ans de son cancer de la prostate ne l'a pas poussé à modérer ses attaques. Bien au contraire. S'il s'est dit "attristé" par cette nouvelle, Donald Trump s'est aussitôt "étonné" que le "public n'ait pas été informé" plus tôt, soupçonnant l'ancien président d'avoir caché sa maladie. Il y a aussi vu la confirmation de sa croyance selon laquelle l'état de santé de Joe Biden ne lui permettait pas de prendre lui-même ses décisions.

Ce mercredi 4 juin, le président américain a ainsi annoncé le lancement d'une enquête contre l'entourage de Joe Biden, qu'il soupçonne d'avoir "comploté" pour masquer le déclin de l'ancien président mais aussi usurper son pouvoir.

"Le plus gros scandale politique de l'histoire américaine"

Selon le mémorandum publié par la Maison Blanche, le président confie à son conseiller juridique, en consultation avec la ministre de la Justice, la mission "d'enquêter, dans les limites prévues par la loi, pour déterminer si certains individus ont comploté afin de mentir au public à propos de l'état mental de Biden et exercer de manière inconstitutionnelle les prérogatives et responsabilités du président."

Au cœur de ces soupçons: la prétendue utilisation massive par l'équipe de Joe Biden d'une "machine à signer" (autopen) pour "usurper le pouvoir de la signature présidentielle".

L'administration Trump reprend ainsi à son compte des thèses développées par la très conservatrice Heritage Foundation, un cercle de réflexion dont le "Projet 2025" est vu par les adversaires du milliardaire républicain comme une feuille de route de son gouvernement.

"À l'exception de l'élection présidentielle truquée de 2020, l'autopen est le plus gros scandale politique de l'histoire américaine", répète le président américain sur ses réseaux sociaux et face aux journalistes.

En mars dernier, Donald avait déjà considéré que les grâces préventives accordées par Joe Biden à certains ennemis des républicains avant son départ de la Maison Blanche le 20 janvier étaient invalides car signées, selon lui, par une machine.

Une machine utilisée par les présidents depuis 1803

Appareil méconnu du grand public, le stylo automatique ou machine à signer est un automate équipé d'un stylo qui permet de reproduire la signature d'un individu, préalablement enregistrée. Cet appareil est utilisé par le gouvernement américain mais aussi par des entreprises pour signer des documents en grand nombre.

Selon la Shapell Manuscript Foundation, le premier président américain à y avoir eu recours est Thomas Jefferson en 1803. Bien plus tard, le président Lyndon Johnson est le premier à s'afficher avec un autopen dans les pages du tabloïd National Enquirer, qui titrait son article: "Le robot qui remplace le président".

Si l'autopen était principalement utilisé pour les correspondances présidentielles, en 2011, le New York Times rapporte que Barack Obama devient le premier président américain à signer une loi avec un stylo automatique alors qu'il était en déplacement en Europe.

Juridiquement, rien n'oblige le président américain à signer lui-même un texte de loi. Le chef de l'État peut demander "à un subordonné d'y apposer la signature du président, par exemple avec un stylo automatique", avait tranché un mémo du ministère de la Justice en 2005.

Le document précise qu'il existe des "raisons pratiques" pour lesquelles un président pourrait vouloir utiliser un stylo automatique, lorsqu'il n'est pas à la Maison Blanche ou lorsqu'il souhaite qu'une loi entre en vigueur immédiatement, par exemple pour éviter un shutdown.

Des accusations sans preuve

Donald Trump, qui reconnaît utiliser l'autopen pour répondre "aux milliers de courriers envoyés par de jeunes gens" à la Maison Blanche, accuse Joe Biden d'avoir "signé presque tout" avec cette machine.

Qu'en est-il vraiment? Comme le souligne la BBC, aucune preuve ne vient confirmer ces allégations. De nombreuses photos et vidéos diffusées par la Maison Blanche au cours de son mandat montrent au contraire Joe Biden signer de sa main des grâces ou d'autres documents officiels comme des décrets.

Les partisans de la théorie de l’autopen s’appuient en fait sur le site du Federal Register, le journal officiel du gouvernement fédéral, en relevant le fait que chaque décret pris par Joe Biden comporte une signature identique.

Mais les Archives nationales, qui gèrent le Federal Register, ont fourni une explication au site de fact-checking Snopes: "au début de chaque administration, la Maison Blanche envoie un échantillon de la signature du président (...) pour créer l'image graphique de tous les documents présidentiels publiés dans le Federal Register".

C’est donc aussi le cas pour la nouvelle présidence Trump. La chaîne conservatrice Fox News souligne d’ailleurs elle-même que les signatures des décrets de Donald Trump publiés sur le Federal Register sont "les mêmes". En clair, même un décret signé à la main et en public par le président figurera en ligne avec cette signature "numérique".

En outre, concernant les grâces présidentielles, les documents mis en ligne par le ministère de la Justice montrent bien une signature manuelle de Joe Biden, différente pour chaque document.

L'usage de l'autopen, une "rareté" sous Biden

Si aucune base de donnée officielle n'existe sur le sujet, Joe Biden ne semble donc pas avoir utilisé l'autopen plus qu'un autre président. L'usage du stylo automatique a même été une "rareté" durant son mandat, indiquait CNN dans un article daté de mai 2024, et relatant la signature par autopen d'une prolongation des programmes fédéraux d'aviation en marge d'un déplacement du président démocrate à San Francisco.

"La Maison Blanche s'est parfois donné beaucoup de mal pour faire parvenir par avion des lois à Joe Biden lors de ses déplacements à l'étranger, notamment un programme d'aide à l'Ukraine de 40 milliards de dollars que le président a signé lors de son séjour en Corée du Sud en 2022 et une loi de 2022 visant à éviter le shutdown, alors que le président était en vacances à Sainte-Croix (Caraïbes)", écrivait à l'époque la chaîne d'information.

Interrogé sur le sujet à La Maison Blanche ce jeudi, Donald Trump a lui-même reconnu ne pas avoir "découvert" de nouvelles informations. "Non, mais j'ai découvert son esprit humain. J'ai débattu avec lui", a-t-il esquivé, en faisant allusion au débat catastrophique qui avait poussé Joe Biden à se retirer de la campagne présidentielle l'été dernier.

Dans un rare communiqué, Joe Biden a fermement démenti ces accusations ce mercredi:

"Soyons clairs: c'est moi qui prenais les décisions pendant ma présidence. Je prenais les décisions concernant les grâces, les décrets, les lois et les proclamations. Il est ridicule et faux de suggérer que ce n'était pas moi qui le faisais", a-t-il déclaré.

L'enquête lancée par Donald Trump lui permet d'alimenter l'idée qu'un "État de l'ombre" au sein du gouvernement aurait pris les rênes du pouvoir à la place de Joe Biden. Habitué à diffuser de fausses informations, le président américain a aussi relayé la semaine dernière sur son réseau Truth Social une théorie complotiste farfelue selon laquelle Joe Biden aurait été "exécuté en 2020" et remplacé par des clones robotiques.

La polémique intervient aussi à un moment où la presse américaine multiplie les révélations sur le déclin cognitif de Joe Biden à la fin de son mandat, et sur la manière dont la Maison Blanche a tenté de le cacher aux Américains.

François Blanchard