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Candidature "inconsciente" de Joe Biden, choix du colistier... Dans "107 jours", Kamala Harris livre les coulisses de sa campagne éclair contre Donald Trump

prononce un discours lors du gala du 20e anniversaire d'Emerge, au Palace Hotel, le 30 avril 2025 à San Francisco, en Californie

prononce un discours lors du gala du 20e anniversaire d'Emerge, au Palace Hotel, le 30 avril 2025 à San Francisco, en Californie - Justin Sullivan / Getty images / AFP

Dans son livre publié ce mardi 23 septembre et intitulé "107 jours", Kamala Harris revient sur la campagne express qu'elle a mené après le retrait en catastrophe de Joe Biden. L'occasion de revenir sur sa relation avec l'ancien président et de régler ses comptes avec l'entourage de ce dernier, créant des remous au sein du parti démocrate.

107 jours comme la durée de sa campagne éclair menée après le retrait surprise de Joe Biden de l'élection présidentielle américaine. Dans son livre publié ce mardi 23 septembre, Kamala Harris se remémore son entrée en catastrophe sur le ring face à Donald Trump le 21 juillet dernier.

Sur le point de dévorer des pancakes avec ses petites-nièces devant une émission de cuisine, selon des propos rapportés par le quotidien Los Angeles Times, l'ancienne vice-présidente reçoit un appel du président sortant et candidat à sa réélection. "J'ai décidé de me retirer", lui dit Joe Biden d'une voix rauque. "Je vais l'annoncer dans quelques minutes". "Vraiment?" pense-t-elle alors en son for intérieur. "Donne-moi encore un peu de temps. Le monde entier est sur le point de changer. Je suis là en jogging".

Si elle décrit sa surprise, l'ancienne sénatrice estime avec du recul dans son livre qu'elle était alors "la candidate la mieux placée pour gagner", "la plus qualifiée et la mieux préparée". Tout en se questionnant: "pendant tous ces mois de panique grandissante, aurais-je dû dire à Joe d'envisager de ne pas se présenter?". "Peut-être" consent-elle tout en se dédouanant d'une telle décision.

La candidature "inconsciente" de Joe Biden

"De tous les membres de la Maison Blanche, j'étais la plus mal placée pour argumenter en faveur d'un retrait", juge la démocrate. "Je savais que cela apparaîtrait comme incroyablement opportuniste de lui demander de ne pas se présenter. Il l'aurait vu comme de l'ambition sans fard, peut-être comme une trahison perfide", confie-t-elle. Le poste de vice-président est en effet souvent considéré aux États-Unis comme un tremplin naturel vers la présidence.

Si elle assure que le démocrate, 82 ans aujourd'hui, a toujours été en mesure d'exercer ses fonctions, elle écrit néanmoins qu'il "fatiguait", ce qui le rendait sujet à des gaffes et des chutes.

[Allô Washington] - L'analyse du discours de Joe Biden
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"Joe Biden était un homme intelligent, doté d'une longue expérience et d'une conviction profonde, capable d'assumer pleinement ses fonctions présidentielles. Dans ses pires jours, il était plus instruit, plus capable de discernement et bien plus compatissant que Donald Trump dans ses meilleurs jours", assure-t-elle dans son ouvrage, dont le magazine américain The Atlantic a publié des extraits.

Pour Kamala Harris, le "fiasco du débat" de Joe Biden face à Donald Trump qui a sonné le glas de sa candidature était en partie dû à un surmenage. "Je ne pense pas que ce soit surprenant (...) juste après deux voyages consécutifs en Europe et un vol pour la côte Ouest pour une collecte de fonds à Hollywood", détaille-t-elle. Avant d'ajouter: "Je ne crois pas qu'il s'agisse d'incapacité. Si j'y avais cru, je l'aurais dit. Aussi loyal que je suis envers le président Biden, je le suis encore plus envers mon pays".

"L'inconscience" d'une telle candidature est à chercher selon elle du côté de l'entourage proche de Joe Biden. Ils "auraient dû se rendre compte que toute campagne était un pas de trop". Mais, "il semblait que plus la situation empirait, plus ils le poussaient", dénonce-t-elle.

Kamala Harris règle ses comptes avec l'entourage de l'ex-président

Ce livre est l'occasion pour l'ancienne procureure générale de Californie de régler ses comptes avec l'entourage de l'ex-président. Selon elle, les proches de Joe Biden ne lui ont jamais fait confiance, voire l'ont dénigrée.

"Il était quasiment impossible d'obtenir que (la Maison Blanche) dise quelque chose de positif sur mon travail ou qu'elle me défende ", déplore-t-elle.

"Pire encore, j'ai souvent appris que le personnel du président alimentait les récits négatifs qui circulaient à mon sujet. L'une des rumeurs qui a persisté était que mon bureau était 'chaotique' et que le taux de rotation du personnel était anormalement élevé pendant ma première année....", dénonce encore la Californienne.

Kamala Harris affirme que la hausse de sa popularité dans les sondages n'ont fait qu'empirer la situation avec l'équipe de Joe Biden. "Leur raisonnement était un jeu à somme nulle: si elle brille, il est affaibli. Aucun d’eux n’avait compris que si je réussissais, il réussirait aussi", écrit-elle. "Ma réussite était importante pour lui (...) Son équipe n'a pas compris."

Si la première femme vice-présidente des États-Unis martèle sa loyauté envers Joe Biden - "l'homme le plus constamment sous-estimé de Washington" - elle n'est pas sans lui faire quelques reproches. Elle écrit que ses sentiments pour le président "étaient fondés sur la chaleur et la loyauté" mais qu'ils étaient devenus "plus complexes avec le temps".

Sur le fond, elle lui reproche par exemple son manque de combativité sur certains dossiers majeurs, comme l’avortement devenu sa "boussole" de campagne. "Joe a eu du mal à parler des droits reproductifs d’une manière qui soit à la hauteur de la gravité du moment", souligne-t-elle tout en défendant dans son livre leur bilan commun à la Maison Blanche. C'est en effet surtout sur la forme que la sexagénaire grince des dents.

Kamala Harris déplore par exemple le peu de place que lui a accordé Joe Biden lors de l'annonce de son retrait aux Américains le 24 juillet 2024. "Il a fallu attendre près de neuf minutes pour qu'il mentionne ma présence sur les onze minutes de son discours", remarque-t-elle. La candidate démocrate malheureuse a également toujours en travers de la gorge l'étrange appel du président quelques instants avant son débat en septembre face à Donald Trump, lorsqu'elle avait repris le flambeau. Joe Biden, irrité, l'a accusée de le critiquer auprès de "personnalités influentes" à Philadelphie.

"Je devais avoir les idées claires. Je devais être complètement concentrée sur le débat", se rappelle-t-elle. "Je ne comprenais tout simplement pas pourquoi il m'appelait à ce moment-là pour tout ramener à lui".

"Joe s’est lancé dans une tirade sur ses propres performances lors des débats précédents: ‘Je l’ai battu l’autre fois; je ne me sentais pas bien lors du dernier débat’. Il insistait sur le fait que cela ne lui avait pas vraiment coûté auprès de l’électorat. Je l’écoutais à peine", confie-t-elle se disant "en colère et déçue" par cet appel.

"S'il y a une stratégie politique ici, elle est mauvaise"

Dans son livre, Kamala Harris fait aussi part de ses hésitations concernant le choix de son colistier. En haut de sa liste se tenait l'ancien secrétaire américain aux Transports Pete Buttigieg. Mais pour la candidate démocrate, malgré "le partenaire idéal" qu'il représentait à ses yeux", "le risque était trop grand". Car il n'était pas "un homme blanc hétérosexuel". "Nous en demandions déjà beaucoup à l'Amérique: accepter une femme, une femme noire, une femme noire mariée à un homme juif", poursuit-elle. Pete Buttigieg a qualifié il y a quelques jours auprès de Politico ces propos de "surprenants".

Le gouverneur de Pennsylvanie Josh Shapiro figurait également parmi les finalistes. C'est son ambition qui lui a été défavorable face au gouverneur du Minnesota, Tim Walz. Kamala Harris "craignait constamment qu'il ne puisse se contenter d'un rôle de numéro deux et que cela ne nuise à (leur) partenariat" tout en dépeignant un homme "posé, raffiné et sympathique".

"Il est tout simplement ridicule de suggérer que le gouverneur Shapiro se concentrait sur autre chose que la défaite de Donald Trump et la protection de la Pennsylvanie contre le chaos que nous vivons actuellement", a réagi un de ses porte-parole auprès de Politico.

107 jours a créé du remous au sein du Parti démocrate, qui traverse une grave crise de confiance auprès des Américains.

"S'il y a une stratégie politique ici, elle est mauvaise. Il y a énormément de griefs et de reproches qui ne servent pas vraiment un agenda politique", estime David Axelrod, conseiller principal de longue date de l'ancien président Barack Obama, dans les colonnes de Politico.

Quand Pete Giangreco, consultant démocrate chevronné basé dans le Midwest souligne le caractère "intentionnel" d'un tel ouvrage.

"Est-ce qu'elle règle ses comptes parce qu'elle ne se représente pas, ou est-ce sa catharsis de rejeter la faute sur quelqu'un d'autre pour pouvoir dire: 'Donnez-moi une autre chance'?", se questionne le consultant.

L'ex-candidate démocrate qui s'est fait très discrète depuis sa sèche défaite face à Donald Trump le 5 novembre dernier ne cache pas son intention de continuer à oeuvrer pour les États-Unis. Sans se prononcer sur ses intentions pour la prochaine élection présidentielle en 2028, Kamala Harris affirme ne plus vouloir rester "à Washington". "Je serai aux côtés des citoyens, dans les villes et les communautés, où je pourrai écouter leurs idées sur la manière de reconstruire la confiance, l'empathie et un gouvernement digne des idéaux de ce pays", garantit-elle.

Juliette Brossault