Immigration, IVG... Qu'a fait Kamala Harris de ses quatre années de vice-présidence?

De numéro 2 à numéro 1? En acceptant cet été l'investiture du Parti démocrate, Kamala Harris est sortie de l’ombre de Joe Biden dont elle a été la vice-présidente pendant tout son mandat. Devenue en 2020 la première femme et la première personne noire à occuper le poste, Kamala Harris a fidèlement secondé le chef d’Etat américain pendant quatre ans.
Si bien que pour le camp républicain, elle est devenue comptable du bilan de Joe Biden, qu'elle va devoir défendre dans la nuit du mardi 10 au mercredi 11 septembre à l'occasion d'un grand débat face à Donald Trump organisé par ABC - et retransmis en direct sur BFMTV. D’après le colistier du milliardaire républicain, J.D. Vance, c’est d’ailleurs elle qui "commandait" à la Maison Blanche ces dernières années.
"La tsarine de la frontière"?
Sur le papier, la Constitution américaine ne prévoit aucun autre rôle pour le vice-président que de présider le Sénat et de remplacer le chef de l’État en cas d'empêchement.
Le reste de ses attributions "dépend entièrement du bon vouloir du président et de l'habileté du vice-président à trouver des ouvertures pour se rendre utile sans se mettre à dos le patron", résume le New York Times.
Très vite, Kamala Harris a vu arriver sur son bureau le dossier de l’immigration. Joe Biden lui a demandé de s’emparer de ce sujet brûlant en mars 2021, alors que son administration était confrontée à un afflux massif de migrants à la frontière avec le Mexique.
"C'est loin d'être un cadeau", estime Olivier Richomme, professeur de civilisation américaine à l’université Lumière Lyon-2, interrogé par BFMTV.com. "L’immigration est un serpent de mer de la politique américaine. Personne n'a vraiment de solution, et c’est le fonds de commerce de Donald Trump depuis 2016."
Les premiers faux pas de Kamala Harris sur le sujet n’ont pas manqué d'alimenter les critiques des républicains. En déplacement au Guatemala en juin 2021, elle s'est retrouvée acculée par un journaliste de NBC lui demandant pourquoi elle ne s'était jamais rendue en personne à la frontière. "Et je ne suis pas allée non plus en Europe. Où voulez-vous en venir?", avait-elle tenté d'esquiver, avant que la séquence ne fasse les choux gras de la presse conservatrice.
Le même jour, elle avait tenté de dissuader les populations d’Amérique centrale de se lancer dans un "dangereux voyage à la frontière entre les États-Unis et le Mexique". "Ne venez pas, ne venez pas", leur avait-elle lancé fermement, s'attirant cette fois les foudres de l'aile gauche du parti démocrate.
À cette période, le nombre des arrivées mensuelles à la frontière dépasse régulièrement les 200.000 migrants, un chiffre qui n’avait plus été atteint depuis 2000. Les républicains, Donald Trump en tête, commencent à surnommer Kamala Harris la "tsarine de la frontière", manière de la rendre responsable de la crise.
Un partenariat pour l'Amérique centrale
En réalité, Kamala Harris n'était pas réellement chargée de la gestion de la frontière, une tâche qui incombe davantage au secrétaire à la Sécurité intérieure, Alejandro Mayorkas – lui aussi cible des républicains.
"Le rôle de Kamala Harris était davantage diplomatique", note Olivier Richomme. "Elle s’est efforcée d'améliorer le niveau de vie des pays de départ pour que les gens n'aient plus de raisons d'émigrer aux États-Unis."
"Plutôt que de signer des chèques en blanc à des régimes minés par la corruption, Kamala Harris a parié sur le privé pour développer les emplois dans la région", poursuit le chercheur.
Une cinquantaine d’entreprises, réunies au sein d’un Partenariat pour l'Amérique centrale, ont ainsi investi quelque 5 milliards de dollars, permettant - selon la Maison Blanche - la création de 70.000 emplois au Guatemala, au Honduras et au Salvador.
"C’est une bonne idée mais ça ne portera ses fruits que sur du très long terme", nuance Olivier Richomme. En attendant, les migrants se pressent toujours à la frontière et Joe Biden a pris des mesures pour tenter de les stopper. Une réforme de l’immigration est bien dans les cartons, mais elle est bloquée au Congrès par les républicains, sous pression de Donald Trump.
Le vote décisif au Sénat
Outre ses déplacements sur le thème de l’immigration, Kamala Harris a réalisé de nombreux voyages à l’étranger pour représenter le président américain. Elle n’a toutefois pas mené de négociations majeures, que ce soit pour l’Ukraine ou le Moyen-Orient. Au contraire de Joe Biden, très mobilisé sur la scène internationale durant sa vice-présidence sous Barack Obama.
Davantage active sur le sol américain, l’ancienne procureure s’est intéressée à tout une batterie de sujets sociaux, allant de la petite enfance à la santé, en passant par l’accès au vote des minorités. Sur ce dernier sujet, les textes de loi qu’elle a soutenus se sont cependant heurtés à l’opposition des sénateurs républicains et n’ont jamais été adoptés.
Alors que les fusillades continuent d’endeuiller l’Amérique, Joe Biden l’a également nommée en 2023 à la tête du Bureau de la Maison Blanche pour la prévention de la violence armée, chargé de faire respecter la législation sur les armes à feu. Selon son directeur adjoint au New York Times, plus de 400 armureries ont été fermées pour violation des règles.
En tant que présidente du Sénat, Kamala Harris a par ailleurs eu un rôle politique déterminant. Dans une chambre divisée à 50/50 entre démocrates et républicain, sa voix a permis de faire pencher la balance en faveur du camp présidentiel. Selon un décompte du New York Times, la vice-présidente a utilisé son vote décisif (tie-breaking vote) à 33 reprises, un record dans toute l’histoire américaine.
Si la plupart des scrutins visaient à confirmer des nominations, elle a également permis de faire adopter l’Inflation reduction Act, gigantesque plan de réformes écologiques et sociales – et texte phare du mandat de Joe Biden.
Le droit à l'IVG, "un tournant dans sa vice-présidence"
Malgré ces nombreuses attributions, Kamala Harris est restée discrète dans la première partie de son mandat, largement éclipsée par Joe Biden. Rien d’étonnant, selon Olivier Richomme.
"À part Dick Cheney sous George W. Bush, tous les vice-présidents sont restés dans l’ombre de leur président. C’est un travail ingrat", resitue le spécialiste des États-Unis.
En juin 2022, la révocation par la Cour suprême du droit fédéral à l’avortement redonne à Kamala Harris un nouveau souffle. "C’est un tournant dans sa vice-présidence. C’est là qu’elle a vraiment trouvé sa voie", juge Olivier Richomme.
La démocrate s’insurge contre une décision qui met en danger la vie de nombreuses femmes, dont elle devient la porte-voix. "C'est la première fois dans l'histoire de notre nation qu'un droit constitutionnel est retiré au peuple américain", dénonce-t-elle dans un discours remarqué le jour même de la révocation de l’arrêt Roe v. Wade.
Son combat pour les droits des femmes ne date pas d’hier. Membre du parquet général de Californie, elle avait combattu les pratiques trompeuses de certains militants anti-avortement. Et en tant que sénatrice, elle s'était montrée très critique du juge conservateur Brett Kavanaugh, le mitraillant de questions lors d’une audition de confirmation avant sa nomination à la Cour suprême.
De quoi se démarquer de Joe Biden, qui s'est toujours montré prudent sur le sujet. Lors de son entrée au Sénat, en 1973, il avait même estimé que la Cour suprême était "allée trop loin" en statuant en faveur d'une protection fédérale du droit à l'avortement.
"Kamala Harris est mieux placée pour parler d’avortement qu’un catholique de 80 ans", concède Olivier Richomme.
L’engagement de Kamala Harris semble avoir été suivi par les électeurs. Depuis l'arrêt de la Cour suprême, les conservateurs ont perdu quasiment chaque référendum ou scrutin qui évoquait la question de l'avortement, même dans des États qui leur sont d'habitude largement acquis, comme l'Ohio, l'Alabama ou le Kansas.
Le droit à l’IVG est désormais au cœur de la campagne de Kamala Harris. Face à Donald Trump, la vice-présidente en fait un argument massue pour grappiller de précieuses voix chez les femmes et chez les jeunes. Suffisant pour passer de l’Observatoire naval, résidence des veep, au Bureau ovale? La trajectoire est tout cas loin d’être inédite: un tiers des présidents américains ont été vice-présidents avant d’accéder à la magistrature suprême.