En France, les fans de Trump flirtent avec l’extrême droite

La page Facebook du comité de soutien français à Donald Trump. - Capture d'écran Facebook ; montage BFMTV.com
En France aussi, Donald Trump a ses adeptes. Si le magnat de l’immobilier est parvenu, en quelques mois de campagne, à convaincre les Américains, au point de mettre en échec tous ses rivaux lors des primaires, ses idées semblent également avoir trouvé écho de l’autre côté de l’Atlantique. Au sein de la classe politique française, Jean-Marie Le Pen ou Nicolas Dupont-Aignan n'ont pas caché leur admiration pour l'homme d'affaires devenu homme politique.
Plus confidentiellement, un comité de soutien s’est récemment mis en place à Paris, relayant consciencieusement les dernières actualités du candidat républicain. Ses membres? Des proches des milieux identitaires et d’extrême droite. Enquête.
Un comité de soutien lancé en février
Pour l’heure, le soutien se manifeste par une présence sur les réseaux sociaux. Un compte Twitter, sobrement appelé "La France pour Trump", qui plafonne à un peu plus de 1.600 abonnés, et une page Facebook, "Donald Trump France", qui recense un millier de "J’aime". L’essentiel des publications de ces deux comptes est constitué des actualités de campagne du candidat américain, principalement autour de ses sorties sur l’islam. Mais on y trouve également de nombreux posts critiques à l’égard d’Hillary Clinton, surnommée, comme le fait Trump lui-même, "Crooked Hillary" (en français, "Hillary la corrompue").
Les deux comptes sont gérés par le même comité de soutien, formé en février, et qui s’est structuré au mois de mai en association, dont le siège social se trouve sur les Champs-Elysées. Selon son président, Georges Clément, un proche de la mouvance identitaire que BFMTV.com a pu rencontrer, un site internet est en cours de construction, afin de recueillir des adhésions.
"A terme, l’objectif est de tenir des réunions publiques dès la rentrée, au cours desquelles nous expliquerons la politique de Donald Trump", détaille-t-il. Pour l’heure, au-delà des "fans" virtuels, le cercle du collectif reste très réduit. "Sur Facebook, nous sommes environ un millier, mais la structure concrète du comité reste basée sur des relations interpersonnelles. Nous sommes une trentaine. Nous verrons, c’est récent", reconnaît Georges Clément.
Des proches de la mouvance identitaire
Parmi les abonnements du compte Twitter "Donald Trump France", seuls quelques comptes liés à Trump et à la présidentielle américaine apparaissent, noyés parmi des centaines de profils relayant des idées identitaires ou réactionnaires, et des comptes de figures du Front national, de Gilbert Collard à Marion Maréchal-Le Pen, en passant par David Rachline.
Rien d’étonnant, puisque en remontant la trace des membres du comité sur Internet, les premières occurrences renvoient vers des sites de la nébuleuse identitaire, tel Riposte Laïque, un site sur lequel plusieurs d’entre eux contribuent régulièrement, ou la webtélé TV Libertés, fondée par trois ex-FN dont Martial Bild, et qui s’autodéfinit comme la "première chaîne de réinformation de France". Des interventions régulières sur Radio Courtoisie, dont le président est Henry de Lesquen, ce candidat à la présidentielle de 2017 qui veut, entre autres, "bannir la musique nègre", apparaissent également dans les résultats.
Agé de 72 ans et dirigeant d’une société de consulting, Georges Clément se définit comme un "souverainiste", et se sent proche des idées du magnat de l’immobilier, essentiellement sur le volet migratoire. Il faut dire que ce natif d’Oran, ouvertement nostalgique de l’Algérie française, n’en est pas à ses premiers faits d’armes dans la mouvance identitaire. Ancien militant du mouvement "Révolution bleue", lancé par Claude Reichman après les émeutes de 2005, il a lui-même fondé en 2002 le "Comité de Lépante", pour s’opposer à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
Comme en atteste une interview donnée à l’antenne française de la chaîne Russia Today, il se trouvait à Béziers le 28 mai, lors du fameux "Rendez-vous" lancé par le maire de la ville Robert Ménard, et où se sont retrouvées de nombreuses personnalités liées à l’extrême droite, dont le théoricien du "grand remplacement", Renaud Camus.
Parmi les membres du comité pro-Trump circulent d’autres noms de la sphère identitaire. Notamment celui de Gérard Pince, ami de longue date de Georges Clément, actif dans la blogosphère identitaire, et qui a signé en 2013 le livre Les Français ruinés par l’immigration. Mais aussi celui d’Olivier Pichon, un ancien militant FN, aujourd’hui animateur sur TV Libertés. Sollicités par BFMTV.com, tous se disent intéressés depuis toujours par la vie et la politique américaines.
"Sa position est la nôtre"
Ce petit microcosme, qui se fréquente et partage des idées politiques depuis plusieurs années, se trouve aujourd’hui un nouvel intérêt commun: Donald Trump. Et plus particulièrement ses idées en matière de politique étrangère.
"Donald Trump est un souverainiste, et il a pris position sur trois dossiers: l’immigration, les relations avec la Russie, qu’il veut renforcer, et le Moyen-Orient, qu’il veut débarrasser de Daesh. Sa position est la nôtre. En France, aucun parti, même pas le Front national, n’a ces positions-là sur tous ces dossiers rassemblés", résume ainsi Georges Clément. "On s’est dit que si les Etats-Unis élisaient un président qui légitime la souveraineté de son pays et remet en cause les traités internationaux, comme le Tafta, tout en changeant de ton avec la Russie, cela rendrait tous ces sujets plausibles", justifie-t-il.
"Je soutiens Trump car il a l’intention de raisonner pragmatiquement avec la Russie. Et je suis opposé aux manœuvres d’Obama et Clinton, qui attisent les tensions avec Moscou", renchérit Gérard Pince. "Sa volonté d’éradiquer Daesh et d’avoir une position sévère face à l’islamisme tranche avec la position actuelle de Washington", ajoute-t-il. Quant à l’interdiction aux musulmans d’entrer sur le territoire américain, l’une des propositions phares de Donald Trump, tous l’approuvent. "On ne va pas faire un cinéma autour de cette affaire. C’est déjà arrivé pour les communistes", souligne Olivier Pichon.
Un candidat hors-système
Mais s’ils adhèrent aux idées les plus populistes du milliardaire américain, tous assurent ne pas, ou plus, être liés au Front national, déçus par la ligne prise par le parti. Et désespèrent de voir un jour émerger sur la scène politique française une personnalité comme celle de Trump, qui va selon eux à l’encontre du système et des élites.
"Ce n’est pas un homme politique, il n’a pas besoin de la politique pour vivre, contrairement à nos responsables, qui sont formés pour cela. C’est primordial pour moi", explique Georges Clément, selon qui personne ne lui ressemble, au sein de la classe politique française. "Il y a aux Etats-Unis la même chose qu’en France: une oligarchie basée à Washington, qui va à l’encontre des intérêts du peuple américain. Trump est un entrepreneur et correspond à la définition du self made man", estime quant à lui Olivier Pichon.
Pour l’historien et spécialiste des Etats-Unis Thomas Snégaroff, ce positionnement de personnalités liées à l’extrême droite française vis-à-vis de Donald Trump est à la fois paradoxal et attendu.
"Ces milieux sont souvent considérés comme anti-américains, parce que les Etats-Unis nuisent à la souveraineté de la France, de l’Europe, pervertissent nos valeurs historiques fondamentales. Ce sont des gens qui ont un grand discours critique et qui tout d’un coup se prennent de passion pour un candidat au discours très classique et pro-américain, de défense des Etats-Unis. C’est là que le paradoxe s’arrête. Ce qu’ils trouvent en lui, c’est ce qu’ils aimeraient voir en France: quelqu’un qui tape sur le système, sur l’’establishment’ comme disent les Américains", explique le spécialiste.
"N’oublions pas que Jean-Marie Le Pen a fait son beurre sur la dénonciation du système, des élites, des professionnels de la politique. Trump présente un appareillage idéologique qui est exactement celui qu’ils prétendent défendre en France, notamment sur l’identité nationale", poursuit Thomas Snégaroff.
La défense de l'"homme blanc"
L'historien rappelle que Donald Trump a fait de la stigmatisation de l’étranger, notamment des musulmans, l’un de ses thèmes majeurs de campagne, et qu’il s’appuie sur la théorie du "grand remplacement", abordée dès 2004 par Samuel P. Huntington, dans son livre Who are we?.
"Trump s’appuie beaucoup sur l’idée de l’homme blanc, américain, qui est en train de disparaître face au cosmopolitisme défendu par les élites de l’establishment, qui se jouent des frontières à leur profit", détaille Thomas Snégaroff. "La convergence est donc à rechercher de ce côté. Ces Français se disent: ‘aux Etats-Unis, il y a enfin quelqu’un qui parle pour nous’. ‘Nous’, c’est l’homme blanc, d’un certain âge, qui a peur du reste du monde, qui considère que les frontières protègent, et qui prône un discours identitaire très fort. C’est également valable pour le discours pro-russe, puisque Vladimir Poutine incarne le même type de leader: viril, physique, qui redonne de la fierté à l’homme blanc. On a à faire à des militants qui trouvent en Trump ou en Poutine ce qu’ils ne trouvent plus en France".
Mais pour le politologue et spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus, ces fans français de Trump, dont l’action reste, pour lui, "assez anecdotique", se trompent de cible. "Ce qu’ils oublient, c’est que les milieux conservateurs américains, ceux que l’on retrouve dans la National Review par exemple, ont pris de sévères positions contre Donald Trump, à qui ils reprochent de ne pas être un véritable self made man, mais un héritier, contrairement à Ted Cruz ou Marco Rubio, qui se sont vraiment faits eux-mêmes", rappelle-t-il. Et de souligner que la mouvance identitaire française n’aborde généralement la politique "que sous le prisme de l’islam", ce qui expliquerait le succès des thèses anti-musulmans défendues par le candidat républicain.
A l'extrême droite, les politiques séduits
Si le soutien français à Donald Trump reste pour l'heure assez discret au sein de la société civile française, et que seuls 11% des Français ont une bonne image du candidat républicain selon un sondage publié en février par le Huffington Post, une vaste partie de l'extrême droite française n'a pas caché son admiration pour le magnat de l'immobilier, et son entrée fracassante dans la vie politique.
De Robert Ménard à Marion Maréchal-Le Pen, en passant par Florian Philippot, tous ont salué "l'iconoclaste", "l'homme libre" et ses idées en matière de politique étrangère. Mais le soutien le plus net est venu de Jean-Marie Le Pen. Le 27 février dernier, le fondateur du Front national avait ainsi tweeté: "Si j'étais américain, je voterais Donald Trump".