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Chasse aux sans-papiers, arrestations violentes: ICE, la police au service de la politique migratoire de Donald Trump

Une femme arrêtée par la police de l'immigration dans un tribunal de New York le 26 juin 2025

Une femme arrêtée par la police de l'immigration dans un tribunal de New York le 26 juin 2025 - Photo par LOKMAN VURAL ELIBOL / ANADOLU / Anadolu via AFP

Dotée de moyens sans précédent dans son histoire, la police de l'immigration américaine, l'ICE, est devenue le bras armé de la politique d'ultra-fermeté de Donald Trump.

Un homme extirpé de sa voiture au feu rouge, une descente de police sur le parking d'un magasin de bricolage, un père de famille arrêté devant l'école de ses enfants... Ces scènes font désormais partie du quotidien aux États-Unis. Aux quatre coins du pays, la chasse aux sans-papiers lancée par l'administration Trump s'expose au grand jour.

Aux manettes: l'ICE, la police de l'immigration chargée d'appliquer la politique d'ultra-fermeté prônée par le président américain. Une force qui fait régulièrement parler d'elle pour la violence de ses interventions et sème la peur chez les quelque 11 millions d'immigrants illégaux présents sur le territoire américain.

Sur les réseaux sociaux, les vidéos de bavures se multiplient. Dans un tribunal de New York, on voit l'épouse d'un migrant arrêté violemment projetée au sol par un agent, devant ses deux enfants.

Près de Los Angeles, c'est un gérant d'une station de lavage de 79 ans qui est violenté par une patrouille de l'ICE venue contrôler ses employés. Sur les images de vidéosurveillance, on voit l'homme tomber au sol dans son magasin, percuté par un policier.

La scène se poursuit à l'extérieur: l'agent saisit les bras du commerçant, avant qu'un second ne le jette violemment au sol. Le septuagénaire, souffrant de problèmes cardio-vasculaire, se retrouve bientôt face contre terre, un genou sur la tête, avant d'être embarqué puis placé temporairement en détention.

Les côtes fêlées, le coude gonflé, un large hématome sur l'avant-bras droit, cet électeur de Donald Trump poursuit en justice l'ICE, qu'il compare à des "chasseurs de prime".

"Combien de personnes doivent être gravement blessées ou mourir avant que nous changions la façon dont ces agents d'ICE interviennent et utilisent une force excessive avant de poser des questions ?", a fustigé son avocat auprès de l'AFP.

Des moyens inédits

L'ICE serait-elle intouchable? Créé en 2003 dans la foulée des attentats du 11-Septembre, le service de l’immigration et des douanes (Immigration and Customs Enforcement, ICE) bénéficie du soutien inconditionnel de l'administration Trump.

Fer de lance de la campagne d'expulsions massives promise par le président américain, l'agence a vu ses moyens exploser depuis le retour au pouvoir du milliardaire républicain. La grande loi budgétaire votée cet été ("One Big Beautiful Bill") a triplé son budget, consacrant au global une enveloppe record de 170 milliards de dollars à la lutte contre l’immigration illégale et à la sécurisation des frontières. L'agence vient de lancer une vaste campagne pour recruter 10.000 "agents de déportation" qui viendront s'ajouter aux 20.000 déjà mobilisés dans le pays.

La doctrine d'intervention d'ICE s'est aussi transformée pour permettre aux agents des arrestations toujours plus nombreuses. "Jusqu'à présent il était obligatoire avant d'arrêter quelqu'un de remplir un dossier très précis qui devait être validé par des instances supérieures de l'ICE. Aujourd'hui c'est quasiment discrétionnaire. Si vous pensez que telle personne est un immigré illégal, vous pouvez l'arrêter", explique à BFMTV le chercheur Romuald Sciora, chercheur associé à l’IRIS, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis.

Loin de vouloir cacher ses méthodes musclées, l'ICE les met en scène. Homme menotté couché sur un chariot, capture de migrants comparée à une chasse aux Pokémon: les détenus sont filmés dans des positions humiliantes et exposés sur les réseaux sociaux.

Contrôles au faciès

Cet été, une juge fédérale de Los Angeles a voulu limiter ce que les associations de défense des immigrés dénoncent comme des contrôles au faciès en interdisant les arrestations basées sur l'origine ethnique ou le fait de parler espagnol. Mais, saisie en urgence, la Cour suprême a levé début septembre ces restrictions. Si le débat est renvoyé devant les tribunaux pour être tranché sur le fond, la décision de la Cour dominée par les juges conservateurs a été saluée comme une "victoire massive" par l'administration Trump.

Les zones d'intervention d'ICE ont également été étendues. Dès janvier, le ministère de la Sécurité intérieure a annulé une directive qui sanctuarisait les lieux dits "sensibles". Désormais, l'ICE peut intervenir aux abords des hôpitaux, des écoles ou même des églises.

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Lourdement armés et le visage souvent masqué, les policiers de l'immigration font aussi le pied de grue dans les couloirs des tribunaux d'immigration, prêts à arrêter les migrants à la sortie de leur audience devant un juge.

Dans un communiqué, l'Immigrant Legal Resource Center (ILRC), une association d'aide juridique aux étrangers, a dénoncé une stratégie délibérée de "contourner le système judiciaire en intimidant les personnes (sans-papiers, NDLR) afin qu'elles manquent leurs audiences, les exposant ainsi à une procédure d'expulsion". Ces dernières sont ainsi "contraintes de choisir entre se présenter à leur audience et risquer d'être arrêtées ou renoncer à leur droit d'être entendues" par la justice, estime l'ILRC.

Objectif d'un million d'expulsés par an

Les moyens colossaux mis à la disposition de ICE sont censés lui permettre de réaliser l'objectif d'un million d'expulsions par an fixé par Donald Trump. Fin mai, le chef de cabinet adjoint de la Maison-Blanche et architecte de la politique migratoire du président, Stephen Miller, a fixé à l'agence un quota de 3.000 arrestations par jour, contre 650 au cours des cinq premiers mois de 2025.

Pour faire du chiffre, l'ICE ratisse large. Si l'administration Trump prétend débarrasser l'Amérique "des pires des pires criminels" étrangers, les statistiques montrent une tout autre réalité. Au 29 juin dernier, 71,7% des 57.861 personnes alors détenues par l'ICE n'avaient aucun casier judiciaire, rapporte l'agence de presse AP.

"Il y a aux États-Unis de nombreux immigrés dont le statut n'a pas été régularisé mais qui vivent ici depuis plusieurs années, travaillent, sont mariés avec des Américains et des Américaines... Ce sont très souvent ces gens-là qui sont visés car c'est plus facile d'arrêter l'immigré qui vit comme un citoyen américain lambda que de traquer un criminel", souligne le chercheur Romuald Sciora auprès de BFMTV.

Les exemples d'immigrés sans histoire pris dans les filets de l'ICE s'étalent dans la presse américaine. À La Nouvelle-Orléans, une Iranienne arrivée aux États-Unis il y a près de 50 ans pour fuir les persécutions a été arrêtée fin juin alors qu'elle s'occupait de son jardin.

Les autorités américaines ont également expulsé une Indienne de 73 ans qui vivait depuis 30 ans en Californie. Selon son avocat, la septuagénaire a passé 60 à 70 heures en détention sans lit, forcée de dormir par terre malgré ses problèmes de santé. Dans l'État de Washington, ce sont deux pompiers engagés par des sociétés privées qui ont été arrêtés alors qu'ils combattaient un feu de forêt...

"Stratégie de la peur"

"Arrêter quelqu'un sans lui poser de questions, sans lui faire connaître ses droits, le plaquer au sol, etc., pourrait se comprendre si la personne est soupçonnée de préparer un attentat ou d'être un meurtrier. Mais quand votre seul crime est d'être illégal aux États-Unis et de payer des taxes depuis 25 ans, on se demande quand même si ce n'est pas un peu exagéré. Mais effectivement, aujourd'hui, c'est légal", résume Romuald Sciora.

Les demandeurs d'asile font aussi les frais de cette politique d'ultra-fermeté, certains étant arrêtés alors que leur demande est en cours d'étude. À l'inverse, d'autres catégories d'immigrés, comme ceux travaillant dans des secteurs jugés essentiels (agriculture, hôtellerie...) échappent aux rafles.

"Ce qui montre qu'on est quand même essentiellement dans du théâtre", relève le chercheur installé aux États-Unis.

Les opérations musclées de la police de l'immigration ont donné lieu à des mouvements de contestations plus ou moins violents à Los Angeles, Portland ou Chicago. Ces manifestations ont servi de prétexte pour Donald Trump pour envoyer la garde nationale en terre démocrate, une mesure perçue comme un abus de pouvoir du président américain et contestée en justice par les États concernés.

Pour Romuald Sciora, l'usage de la force armée contre les sans-papiers et les villes démocrates "participe d'une même stratégie de la peur". "D’un côté, elle rassure la base électorale trumpienne, convaincue que leur président protège l’Amérique 'authentique' contre le chaos urbain des bastions démocrates. De l’autre, elle tétanise l’opposition, chaque jour un peu plus paralysée face à cette démonstration de force", écrit-il dans une note publiée sur le site de l'Ifri.

Dans l'opinion, la politique migratoire de Donald Trump suscite des réactions mitigées. Si la thématique a porté sa campagne, les derniers sondages "affichent une tendance constante à la baisse", note NBC News. Selon une étude de l'institut Gallup publiée en juillet, 62% des Américain désapprouvent la politique migratoire du président américain.

L'agence ICE en particulier clive la société américaine: 73% des républicains en ont une opinion favorable selon une étude du Pew Research Center, contre seulement 13% des démocrates.

François Blanchard