Un faux migrant raconte son périple vers l’Europe sur Instagram

Abdou, le faux clandestin, sur un bateau. - Capture d'écran Instagarm - montage BFMTV
Il disait "vouloir aider sa mère trop vieille pour travailler". Il y a une semaine à peine, Abdou Diouf, un Sénégalais de Dakar, créait son profil Instagram dans l'intention de rapporter au jour le jour son voyage clandestin vers l'Europe. Un périple qu'il s'est efforcé de retracer en images et en moments forts: Abdou et son dernier repas en famille, Abdou épuisé dans le désert, Abdou en train de courir pour éviter la police à la frontière marocaine ou encore Abdou en couverture de survie sur un bateau dans une lumière rasante.
En seulement 15 publications (en anglais), ce sont près de 9.700 personnes qui ont suivi et encouragé les aventures d'Abdou. Seulement, c'était sans savoir que tout ce reportage-photo n'était qu'une mise en scène. Récit et explications.
"Très peur"
Après avoir posté sur le réseau social les images de ses préparatifs, le jeune homme pose tout sourire avec derrière lui un scooter chargé à bloc prêt, comme il l'indique en légende, à rejoindre Nouadhibou, en Mauritanie. Première étape du périple.
Deux jours de marche plus tard, le "V" de la victoire et le grand sourire ont laissé place à un Abdou éreinté et dégoulinant de sueur. "On ne peut pas s’arrêter sinon on perdra les 2.000 euros que j'ai payés pour le bateau", écrit-il.
"Finalement pas d’argent pas de gros bateau. Le seul moyen pour traverser, un bateau gonflable. Très peur", commente laconiquement le migrant depuis son embarcation de fortune.
Doutes et incohérences
Les dernières photos datent d’il y a cinq jours. On voit le protagoniste se prendre en photo sur une plage avec en arrière-plan ses camarades de galère visiblement soulagés du dénouement: "Enfin la terre des opportunités. Nous sommes fatigués mais heureux", commente-t-il. Puis le ton s'assombrit dans la photo suivante. A contre-jour, Abdou prend son dernier selfie enveloppé dans une couverture thermique: il dit se rendre dans un centre et que ce n’est guère une bonne place où rester. Puis clap de fin.
Intrigués par son périple mais aussi par certaines incohérences (la maîtrise parfaite de la langue anglaise alors que le Sénégal est un pays francophone, la connexion internet à tout moment), plusieurs médias ont tenté de joindre Abdou pour en savoir davantage.
Contacté par Rue89, via Instagram, le jeune homme a répondu ceci:
"hi renee, je travaillais pour militaire dans les champs , je ne l’ai pas étudié . je voulais rester en espagne , cette semaine, ils nous renvoient à la frontière de marroco . je suis venu en espagne pour travailler , ma mère a sauvé l’argent toute sa vie . je suis wolof et fulani moitié. ce voyage coûte environ 2 000 euros. Je parle anglais et français , mais le journaliste parle tout anglais à moi. je ne veux pas retourner en afrique, je dois rester".
Mais ce sera son dernier message, il ne donnera plus suite aux sollicitations de l'Obs.
Un projet artistique
De son côté El Pais met la supercherie à jour dès ce lundi. Le quotidien explique dans un article qu'il s'agit en fait d'un projet artistique. Un docu-fiction tourné en Espagne par des acteurs non-professionnels, dont Abdou. Le film sera présenté au mois de septembre lors de Getxophoto, un festival espagnol de photographie.
"L’idée est de donner à réfléchir sur les images que nous construisons et partageons des migrants dans les médias et sur les réseaux sociaux", détaille le communiqué de presse de l'agence de création et de production Volga. Ces photos sont d'ailleurs accompagnées d'une vidéo qui pointe du doigt la "frivolité occidentale" du selfie et des hashtags comme entend dénoncer le producteur du film, Oriol Caba.
Autre détail cynique du projet, révélé par HuffPost UK, toutes les photos ont été prises avec le smartphone de l'un des directeurs artistiques dans et autour de Barcelone en une seule journée.