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Egypte : "Morsi a bousculé le pays et surpris l'opposition"

Des manifestations se sont tenues devant le palais présidentiel au Caire

Des manifestations se sont tenues devant le palais présidentiel au Caire - -

Le vice-président égyptien Mahmoud Mekki a annoncé mercredi que l'organisation d'un référendum contesté sur un projet de Constitution serait maintenu malgré les manifestations de protestation. Sophie Pommier, spécialiste du pays, analyse la situation pour BFMTV.com.

Enseignante à Sciences-Po, auteure de Egypte : l'envers du décor, Sophie Pommier est spécialiste de l'Egypte. Elle décrypte pour BFMTV.com la situation du pays où les manifestations hostiles au président Mohamed Morsi se succèdent à dix jours du referendum sur la Constitution et à deux mois des élections législatives.

>> Egypte : affrontements entre pro et anti Morsi

Au Caire, devant le palais présidentiel, les Frères musulmans pro-Morsi ont délogé l’opposition ce mercredi au lendemain d’une manifestation importante. Quel est le rapport de force aujourd’hui en Egypte ?

Le rapport de force est difficile à évaluer. Car ce qui se passe au Caire n’est pas le reflet de l'ensemble du pays. Si 200.000 personnes occupent l'espace place Tarhir, cela reste faible à l’échelle d’un pays.

Néanmois, il est clair que le décret présidentiel du 22 novembre qui octroie des pouvoirs élargis au président Mohamed Morsi a attiré l’hostilité de la population.

Mohamed Morsi jouit-il toujours de la légitimité des urnes ?

Il a été élu et se targue de cette légitimité des urnes. Il appelle au vote pour faire passer le projet de Constitution. Sa stratégie c’est de bousculer l’Egypte en prenant de court l’opposition. Le projet de Constitution circulait depuis le mois d’octobre mais l’opposition était persuadée que la Haute Cour Constitutionnelle le retoquerait. Or, depuis le décret du 22 novembre cela est impossible. En bousculant le programme, Mohamed Morsi a pris la main. Il s’agit pour lui d’imposer la démocratie par le nombre.

Reste qu'aujourd’hui beaucoup sont mécontents, le crédit des Frères musulmans est érodé. Il n’y a pas d’amélioration notable sur le terrain, pour la population et le discours des 100 jours a irrité nombre d’Egyptiens. Pour rappel, Mohamed Morsi s’y était attribué des succès que le peuple n’a pas forcément ressenti dans son quotidien.

Comment analysez-vous le fait que la police se soit, a priori, effacée devant les opposants mercredi soir ?

C’est justement assez logique. Il est important pour le pouvoir d’éviter la confrontation avant de faire avaliser son texte et éviter que l’opinion se retourne complétement. Les opposants en sortiront groggys puisqu’il sera alors impossible de contester la légitimité du vote. Et puis au-delà de Morsi, les Frères musulmans doivent éviter les dérapages en vue des élections législatives qui se tiennent dans deux mois. Is ne doivent pas être vus comme des fauteurs de troubles et donner l’impression qu’il y a deux Egypte.

L’opposition est assez unie pour scinder le pays en deux ?

Non, on y trouve d’anciens cadres du régime Moubarak ainsi que des opposants viscéraux aux Frères musulmans. Les qualifier de libéraux est aussi délicat, disons plutôt qu’ils sont favorables à une séparation de l’Etat et de la religion.

Si les troubles se poursuivent, le vote du 15 décembre prochain est-il compromis ?

Je ne le crois pas. Il ne faut pas croire par exemple que toute la magistrature est vent debout contre le projet de Constitution portée par les Frères musulmans. Bien qu'elle soit toujours puissante comme sous le règne d'Hosni Moubarak, il existe plusieurs franges comme par exemple le Club des juges qui est dissident.

De plus, il faut rappeler que désormais les pouvoirs élargis de Mohamed Morsi l’autorisent, si nécessaire, à prendre toutes les mesures face à une situation grave. Mais il a surtout tout intérêt à ce que le vote ne soit entaché d’aucun doute. Toujours dans la même optique de gagner en légitimité.

Peut-on parler de démarche dictatoriale ?

Le projet de Constitution est inquiétant, et pas que par rapport à la charia. Des projets de lois, notamment portés par le ministère de l’Intérieur, tendent à restreindre arbitrairement les droits de l’opposition. Bien entendu c’est plus pernicieux que cela, mais il y a, par exemple, un projet qui vise à casser dans l’œuf la création de syndicats indépendants.