"Le dépassement du seuil de 1,5°C est inéluctable": le constat alarmant d'experts du réchauffement climatique

De la terre craquelée, lors d'un épisode de sécheresse en Corse en août 2021 (PHOTO D'ILLUSTATION) - Pascal Pochard-Casabianca - AFP
Nouvelle alerte sur l'évolution du climat. L'objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l'ère préindustrielle, prévu dans l'accord de Paris de 2015, est désormais considéré comme impossible, selon un rapport paru ce jeudi 19 juin dans Earth System Science Data, s'appuyant sur les méthodes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
"Le réchauffement d'origine humaine a augmenté à un rythme sans précédent dans les mesures instrumentales, atteignant 0,27°C par décennie sur 2015-2024", déplore notamment le rapport, écrit par une soixantaine de chercheurs de renom.
Les émissions de gaz à effet de serre, issus notamment de l'utilisation des énergies fossiles, ont en effet atteint un nouveau record en 2024, à 53 milliards de tonnes de CO2 chaque année en moyenne sur la dernière décennie. Les particules polluantes dans l'air, qui ont un effet refroidissant, ont par ailleurs diminué.
1,52°C de réchauffement climatique observé en 2024
Ce constat est le fruit du travail de chercheurs provenant de 17 pays, qui s'appuient sur les méthodes du Giec, le groupe d'experts du climat mandatés par l'ONU, auquel la plupart appartiennent ou ont appartenu.
L'intérêt de l'étude est de fournir des indicateurs mis à jour annuellement à partir du rapport du Giec, sans attendre le prochain dans plusieurs années.
Pour l'année 2024, le réchauffement observé par rapport à l'ère pré-industrielle a atteint 1,52°C, dont 1,36°C attribuable à la seule activité humaine. L'écart témoigne de la variabilité naturelle du climat, à commencer par le phénomène naturel El Niño.
C'est un niveau record mais "attendu" compte tenu du réchauffement d'origine humaine, auquel s'ajoutent ponctuellement ces phénomènes naturels, souligne Christophe Cassou, du CNRS. "Ce n'est pas une année exceptionnelle ou surprenante en tant que telle pour les climatologues", affirme-t-il.
"Tout va dans la mauvaise direction"
Cela ne signifie pas que la planète a déjà franchi le seuil le plus ambitieux de l'accord de Paris (réchauffement limité à 1,5°C), qui s'entend sur une période de plusieurs décennies.
Mais la fenêtre se referme toujours plus. Le budget carbone résiduel - la marge de manœuvre, exprimée en quantité totale de CO2 qui pourrait encore être émise tout en gardant 50% de chance de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C - est en train de fondre.
Ce "budget" n'est plus que de l'ordre de 130 milliards de tonnes au début de 2025, un peu plus de trois ans d'émissions au rythme actuel, contre encore quelque 200 milliards il y a un an. "En réalité, c’est moins que trois ans car le méthane continue d’augmenter", indique au Monde Sophie Szopa, directrice de recherche (CEA) au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement.
"Le dépassement du seuil de 1,5°C est désormais inéluctable", juge l'un des auteurs, Pierre Friedlingstein, du CNRS.
"J'ai tendance à être une personne optimiste", affirme l'auteur principal de l'étude, Piers Forster, de l'université de Leeds. "Mais si on regarde la publication de cette année, tout va dans la mauvaise direction".
Christophe Cassou, directeur de recherche (CNRS) à l’École normale supérieure dit au Monde espérer que ce rapport ne débouchera pas cependant sur du "catastrophisme" et assure que l'accord de Paris "n'est pas mort" pour autant et qu'il reste "le cadre général de l’action et des négociations climatiques".
"Tout changement" reste bénéfique
"Que peut-on faire pour limiter la vitesse et l'ampleur de la montée du niveau de la mer? Réduire les émissions de gaz à effet de serre le plus rapidement possible", souligne la climatologue Valérie Masson-Delmotte.
En France, la baisse de 1,8% des rejets carbonés enregistrées en 2024 "n’est clairement pas assez rapide pour limiter le réchauffement à 1,5 °C et même à 2 °C au niveau global", souligne-t-elle au Monde.
À moins de six mois de la COP30 au Brésil, les politiques en faveur du climat sont pourtant fragilisées par le retrait des États-Unis de Donald Trump de l'accord de Paris.
"Tout changement dans la trajectoire ou en termes de politiques publiques susceptible d'augmenter ou de maintenir des émissions qui auraient autrement été réduites, aura une implication sur le climat et le niveau de réchauffement dans les années à venir", rappelle Aurélien Ribes, du Centre national de recherches météorologiques.