Climat: une experte du Giec appelle à trouver le "courage politique de changer les choses"
Pour les scientifiques, il n'y a plus de temps à perdre. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) a publié lundi le troisième volet de son nouveau rapport, alertant sur une possible hausse des températures de 3,2°C d'ici 2100 sans un renforcement de nos politiques actuelles. Le monde a encore une chance d'éviter le pire, mais "c'est maintenant ou jamais", résume le président du groupe de travail.
Yamina Saheb, économiste spécialiste des politiques énergétiques et l'une des auteures principales du rapport, nous résume les mesures à mettre en œuvre d'urgence afin de réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici 2030. Et appelle les politiques à se saisir du rapport du Giec, à quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle.
À quelle échelle se trouvent les solutions pour limiter le changement climatique à 1,5°C?
Yamina Saheb: "Longtemps, la littérature scientifique a évoqué l'importance du comportement des individus. Aujourd'hui, elle estime que cette part est faible dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Pour que les individus adoptent des comportements vertueux, il faut que les infrastructures et les politiques publiques le permettent.
Un exemple avec les véhicules électriques. Encourager l'achat de voitures non polluantes, c'est bien, mais sans bornes de recharge disponibles, ça ne sert à rien. Le rapport met ainsi l'accent sur l'importance du politique et sur la notion de sobriété, qui va bien au-delà de la simple sobriété énergétique.
Ce sont dans tous les secteurs - que ce soit au niveau des industries, des infrastructures, de l'urbanisme - qu'il faut moins utiliser les sols, moins consommer d'énergies, de matériaux et d'eau pour décarboner massivement.Le rapport met aussi l'accent sur la demande. On l'a vu avec le Covid, beaucoup de personnes se sont tournées vers le vélo, les pistes cyclables se sont développées. Modifier la demande pourrait faire baisser les émissions de 40% à 70%."
Quelle devrait être la traduction politique du rapport?
"Ce n'est pas aux auteurs du Giec de se prononcer. Nous nous contentons de partager l'état et les connaissances de la science. C'est aux politiques de prendre les décisions.
Mais en tant que citoyenne qui détient une expertise dans le domaine, je regrette que le réchauffement climatique ne soit pas davantage pris en compte.
Les choix d'urbanisme représentent par exemple un levier important. Ces trente dernières années, les politiques d'aménagement du territoire ont conduit à un étalement urbain, avec le développement de maisons individuelles en banlieues, poussant à l'utilisation de la voiture pour accéder aux services, se rendre au travail... Or, le logement a sensiblement augmenté la facture énergétique avec 50% d'émissions de CO2 supplémentaires. Opter pour des villes compactes, c'est bien plus facile que de vouloir capter le CO2 présent dans l'atmosphère, technique qui ne fonctionne pas à grande échelle.
Le rapport est alarmiste mais je ne suis pas alarmée, on a les moyens d'agir. On peut le faire et on sait le faire. D'autant que le coût de l'inaction est plus cher que le coût de l'action.
Mais il faut agir vite et bien. Comme une personne malade qu'il faudrait soigner tout de suite, pas en 2050 quand elle sera morte.
Le changement climatique, ça se passe chez nous, en Europe, et c'est maintenant."
Alors que les Français et les Françaises sont appelées aux urnes ce dimanche pour élire leur prochain(e) président(e) de la République, quel message adresser aux douze candidats?
"On a un rapport et une responsabilité historiques, notamment pour les Occidentaux qui ont produit cette catastrophe.
Or, aujourd'hui, à quelques heures du premier tour, c'est comme si la France était complètement détachée de ce qu'il se passe sur la planète. On ne peut pas avoir une élection de cette importance sans parler du changement climatique.
Avec ce rapport, les politiques se retrouvent dos au mur. Ils ne pourront pas dire qu'ils ne savaient pas, qu'ils n'avaient pas de solution. Les solutions, on les donne: arrêter l'étalement urbain pour régler le problème des émissions dues au bâtiment et au transport, stopper les importations d'énergies fossiles pour augmenter le renouvelable dans le mix énergétique, et arrêter la production et la circulation des voitures thermiques extrêmement polluantes.
Alors certains vont dire que ce n'est pas possible, que ça représente un marché considérable, des emplois. On a eu le même débat il y a quinze ans avec les lampes à incandescence. Mais aujourd'hui, ce n'est plus qu'un mauvais souvenir (l'Union européenne les a interdites progressivement en 2009 pour un abandon total en 2012, NDLR). Ce sera pareil avec la voiture thermique. Rien n'est infaisable. Il faut du courage politique pour changer les choses."