Pourquoi Stephen King est-il l'auteur le plus censuré dans les écoles américaines?

L'écrivain américain Stephen King, le 6 septembre 2024 à l'avant-première de "Chucky" à Toronto. - OLIVIA WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
Dans de nombreuses bibliothèques scolaires aux Etats-Unis, un grand nom de la littérature américaine a disparu des étagères: Stephen King. Les ouvrages de l'auteur de 78 ans, qui abordent le surnaturel, la violence, la sexualité avec un langage cru, cristallisent les crispations de l'administration Trump et de ses partisans. À tel point que le maître de l'horreur est l'écrivain le plus censuré des écoles américaines selon le dernier rapport The Normalization of Book Banning, Banned in the USA de PEN America.
Dans son étude publiée en octobre 2025, l'association, qui défend la liberté d'expression aux Etats-Unis, alerte sur la "normalisation inquiétante" des interdictions de livres aux Etats-Unis et montre comment les lois en vigueur dans certains Etats américains, permettent le retrait de livres considérés comme "inadéquats" dans les établissements scolaires.
Si Stephen King fait la course en tête parmi les auteurs dont les ouvrages ont été le plus bannis, cela s'explique par des raisons mécaniques. Ses (nombreux) livres sont présents dans des milliers de bibliothèques scolaires, ce qui multiplie le nombre d'ouvrages censurés. Ainsi, 87 de ses titres ont été interdits pour un total de 206 fois à travers le pays.
À ses côtés, la romancière pour jeunes adultes Ellen Hopkins, l'autrice de "romantic fantasy" Sarah J. Maas, la romancière Jodi Picoult ou encore le mangaka japonais Yūsei Matsui ont particulièrement été ciblés par ces interdictions. Un phénomène symptomatique des tensions idéologiques qui déchirent le système éducatif américain sur les questions raciales, d'identités LGBTQ+ ou encore sur la répresentation du genre et de la sexualité.
Les parents, les enseignants ou les étudiants eux-mêmes peuvent être à l'origine de ces interdictions. En règle générale, le processus implique une discussion entre toutes les parties afin qu'un enseignant, une école ou un district scolaire prenne la décision de retirer l'ouvrage.
Néanmoins, PEN America relate que la plupart des interdictions n'ont pas suivi ce circuit. Soit parce que les organisations militantes ou d'élus ont fait pression sur la décision. Soit parce que les écoles ont préféré retirer l'ouvrage, de crainte de ne pas être en conformité avec la loi - même quand celle-ci a été suspendue, pas encore été adoptée ou n'exige pas le retrait direct de livre.
"Une culture de censure"
Rarement autant de livres ont été systématiquement retirés des étagères dans l'histoire du pays, selon le rapport. Et, comme le prévient Sabrina Baêta, responsable principale du programme Liberté de lire de PEN America, "aucune bibliothèque ne sera épargnée si les interdictions de livres locales et étatiques continuent de nuire à la liberté de lire dans les écoles publiques".
"Avec l'administration Trump qui prône désormais une culture de censure manifeste, nos principes fondamentaux de liberté d'expression, de libre recherche et d'accès à des livres diversifiés et inclusifs sont gravement menacés. Les interdictions de livres font obstacle à un monde plus juste, plus informé et plus équitable", déclare-t-elle.
Pour l'année scolaire 2024-2025, PEN America a recensé 6.870 nouvelles interdictions, affectant les œuvres de près de 2.600 artistes, dont 2.308 auteurs, 243 illustrateurs et 38 traducteurs. Cette censure serait devenue si habituelle que les bibliothécaires et éducateurs s'attendent désormais à recevoir des listes de titres "inappropriés" comme une fatalité.
C'est d'autant plus vrai en Floride, État le plus touché par le retrait des ouvrages, qui recense 2.304 cas d'interdictions pour l'année scolaire 2024-2025. Le Texas et le Tennessee - bastions conservateurs - complètent le trio de tête avec des mécanismes législatifs facilitant le retrait massif de livres des bibliothèques scolaires.
Ce phénomène risque de devenir plus prégnant encore depuis que l'administration Trump a émis plusieurs décrets exécutifs réaffirmant les "droits parentaux" des familles sur l'éducation de leurs enfants. Bien qu'aucun de ces décrets ne vise directement les livres, ces derniers ont servi de justification au retrait de près de 600 ouvrages des écoles du Department of Defense Education Activity en juillet 2025. Ces établissements à destination des familles de militaires américains sont présentes dans le monde entier.
Les représentations LGBTQ+ bannies
Depuis l'explosion des contestations en 2021, les livres représentant des identités LGBTQ+ sont particulièrement dans le viseur des autorités, systématiquement assimilés à du contenu "sexuel".
Dès lors, des pans entiers de la littérature ont été retirés sous prétexte d'éliminer des livres "inappropriés" ou "obscènes". Les livres illustrés, à destination des plus jeunes, n'ont pas été épargnés: And Tango Makes Three, Everywhere Babies ou The Family Book, qui incluaient des représentations LGBTQ+, ont été qualifiés de "sexuellement explicites" et retirés.
Le récent arrêt de la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Mahmoud v. Taylor pourrait accentuer cette censure à l'échelle du pays en ce qu'il impose aux écoles d'offrir une option de retrait aux parents qui s'opposent aux livres illustrés LGBTQ+ pour des motifs religieux.
Une résistance s'organise
Plus inquiétant encore, les censeurs ne se limitent plus aux bibliothèques scolaires, mais s'attaquent désormais aux foires du livre, aux dons de livres et même aux bourses d'études visant à soutenir l'éducation publique. En Virginie, l'école de Lynchburg City a demandé aux familles de retourner des exemplaires du Free Speech Handbook (Manuel de la liberté d'expression) donné aux élèves du primaire, au motif qu'il contiendrait de la "satire pour adultes".
Les manuels scolaires et programmes d'études sont également contestés. Dans le Colorado, un conseil scolaire a rejeté un manuel d'histoire pour ses mentions du mouvement Black Lives Matter. En Floride, un manuel de biologie a été formellement contesté pour ses sections sur le changement climatique, l'évolution, la COVID-19 et le port du masque.
Si la censure devient routinière, l'association souligne que la perception de ces interdictions reste inchangée pour l'opinion publique. La plupart des Américains s'opposent aux restrictions d'accès aux livres dans les écoles publiques et plus largement à l'entrave à la liberté de lire. Ainsi, une résistance civile s'organise, tant du point de vue national, qu'étatique ou local pour lutter contre cette censure.