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Lastman: la fin de la série culte racontée par ses créateurs

Lastman 12

Lastman 12 - Casterman

Balak, Sanlaville et Vivès commentent la fin (ou plutôt les multiples fins) de leur série Lastman, dont le dernier tome est sorti le 20 novembre. Attention spoilers.

Lastman, la série de Balak, Sanlaville et Vivès qui "est au manga ce que les brochettes bœuf-fromage sont à la cuisine japonaise", est arrivée à son terme. Attendu de pied ferme, le douzième tome conclut ce qui s’est imposé en quelques années comme une des meilleures séries françaises, piochant à la fois dans le manga, le comics et les films d’action des années 1980 et 1990. Vendue à plus 450.000 exemplaires, elle a également été adaptée en série TV et en jeu vidéo.

Difficilement résumable en quelques lignes, Lastman commence dans la Vallée des Rois, une région reculée et magique où se déroule un tournoi de combattants. Là vivent paisiblement Marianne et son fils Adrian. Leur vie est bouleversée lorsqu’un aventurier, Richard Aldana, débarque avec la ferme intention de remporter le tournoi. 

Rapidement, Lastman quitte La Vallée des Rois pour explorer Paxtown, cité du crime où pullulent porte-flingues mystérieux, femmes fatales et flics monstrueux. S’en suit une série d’intrigues qui font évoluer la série d’un hommage à Dragon Ball à une déconstruction de la pop culture. 

Lastman 12
Lastman 12 © Casterman

"Il y a quelque chose de jouissif à redessiner un personnage mort"

En librairie depuis le 20 novembre, le douzième tome offre aux fans l’occasion de dire adieu à des personnages devenus des amis et de comprendre enfin la signification du titre pour le moins mystérieux de la série. Pour cela, il faudra attendre la toute dernière page, génial pied de nez aux propres principes instaurés par les auteurs depuis leurs débuts. Eux qui assuraient à BFMTV en 2017 détester "les comics qui tuent puis ressuscitent les personnages et rendent la mort inconséquente" n’ont pas hésité à se débarrasser dans cet ultime tome de Richard Aldana, puis à le faire revivre, seul, dans une Vallée des Rois désormais désertée et détruite. 

La parole est aux accusés: "Ouais, ouais, on a changé d’avis", s’amuse Balak. Et Bastien Vivès d’ajouter, potache, en riant: "On a le droit de changer d’avis, on fait ce qu’on veut." "Tu viens de vivre l’aventure éditoriale de Lastman: vérité absolue un jour, pêché mortel une semaine plus tard." Pourquoi ont-ils changé d’avis? "Les gens qui ont des principes et qui s’y tiennent depuis qu’ils ont l’âge de cinq ans sont des gens dangereux", assure Bastien Vivès: "Je comprends pourquoi les personnages ressuscitent. Il y a quelque chose de jouissif à redessiner un personnage mort - et pas uniquement dans des flashbacks."

"Le côté un peu sadique de l’auteur"

Cette fin, avec Richard seul au monde, était prévue depuis le début. Mais elle est sûrement moins tragique que ce que le trio avait imaginé il y a plusieurs années. Pour eux, Lastman devait se conclure avec la séparation irrémédiable entre le monde réel de Paxtown et celui, magique, de la Vallée des Rois. "Richard reste seul sur son plateau de cinéma, pendant que les autres en sont sortis", analyse Michaël Sanlaville. "C’est le côté un peu sadique de l’auteur", complète Bastien Vivès. C’est cependant une fausse fin ouverte. Il n’y aura pas de suite à Lastman:

"Bien sûr que non", répond Bastien Vivès. "L’idée, c'est de dire: 'Regardez comment la fin était belle et comment il est facile de la bouleverser'. Je pense que ça peut conduire à une réflexion sur la pop culture. Marianne et les autres sont des personnages qui existent vraiment. Richard, c’est un personnage qui n’existe plus, c’est un mec des années 1980-1990. Cet homme n’existe pas aujourd’hui. C’est une manière de montrer qu’il est bloqué dans son monde."
Richard Aldana dans Lastman 12
Richard Aldana dans Lastman 12 © Lastman 12

Balak y voit aussi une réminiscence d’un de ses livres de chevet, Je suis une légende de Richard Matheson: "On avait prévenu que le titre prendrait son sens à la fin: Richard devient un personnage de fiction dans un univers de fiction, tout seul. C’est-à-dire à peu près rien. Il devient le titre de l’album, une fiction, alors qu’avant il était le héros."

Déjouer les attentes des lecteurs

Le trio s’est amusé depuis 2013 a déjouer les attentes des lecteurs. Archétype du jeune héros de shônen (manga pour garçons), Adrian aurait dû devenir un guerrier, comme Richard, mais a refusé son destin. Bouleversé par la mort de sa mère au tome 6, Adrian est devenu à la moitié de la série un personnage assez détestable, en retrait. Et il a perdu les faveurs des fans. 

L’enjeu, Balak, Sanlaville et Vivès l’ont assez répété ces dernières années, a été toujours de rétablir l'amour des lecteurs pour Adrian. S’ils n’ont jamais pu dessiner le tome où Adrian se révèle, ils sont assez contents du résultat: "C’est le personnage qu’on n’a pas pu maîtriser une seule seconde", résume Bastien Vivès. "Il voulait être tranquille. Lors du combat final, il a encore un rôle à jouer, mais il attend encore que ça se passe. À la fin, quand ils boivent des coups, on voit enfin qu’il est épanoui." 

"Ce n’était pas son rôle. C’est ce qu’on comprend dans le tome 12. Ça ne le fait pas marrer, ces histoires de vengeance. C’est le personnage le plus réaliste de la série", ajoute encore Michaël Sanlaville. Si Balak le voit, en référence à Dragon Ball, "comme un Yamcha" ("il ne sert un peu à rien"), Bastien Vivès est assez optimiste sur la postérité du personnage: "Avec le temps, on se rendra compte qu’Adrian est le personnage le plus intéressant de tous."
Adrian dans Lastman 12
Adrian dans Lastman 12 © Casterman

"C’est peut-être l’album qu’on a le plus refait"

Comme Adrian, la série a beaucoup évolué en six ans. Surtout en matière de dessin: "J’ai beaucoup de tendresse [pour les premiers tomes]. Je vois les défauts, mais je trouve ça bien", dit Michaël Sanlaville. Depuis 2013, le trait est plus construit, plus précis. Il y a désormais plus de lumière, plus de volume.

Le trio, qui a dessiné plus de 24.000 pages en six ans, a beaucoup appris, tout en faisant plusieurs burnouts: "On a vraiment cramé nos dernières cartouches au moment des tomes 8 et 9. C’est pour ça qu’il y a principalement des flashbacks dans le 10", précise Balak. "Avec le 10, il fallait qu’on respire", précise Bastien Vivès. Les difficultés se sont pourtant poursuivies pendant le tome 12, raconte Bastien Vivès:

"C’était vraiment dur, avec Michael qui est reparti vivre à Lyon et Balak qui est parti vivre à BobbyPills Studios [le studio où il crée des séries animées pour adultes, une de ses autres activités, NDLR]. J’étais tout seul à l’atelier. Il fallait qu’on se concentre pour bien finir le bouquin. Tous les signaux étaient là pour que ce soit un énorme bordel et ça l’a été, mais on s’en est bien tiré. Au vu des premières lectures, ça marche bien, les gens sont contents." 

"C’est peut-être l’album qu’on a le plus refait", complète Balak. "On a réécrit les pages. Un coup, un personnage mourait, un coup non. La fin a beaucoup changé." Et des "erreurs de débutant" ont été commises, souligne Bastien Vivès: "On s’est trompé de numérotation de pages, on a dû décaler des scènes!" Ces difficultés sont évoquées en filigrane dans le dernier album, dominé par des visions d’horreur, avec des zombies, des personnages recouverts de pustules ou en décomposition… Un atmosphère nécrophile qui semble tout droit tirée du court-métrage Magnetic Rose, chef d’œuvre de l’animation japonaise.

Lastman 12
Lastman 12 © Casterman

La suite en série et en livre

Le trio se dit soulagé d’en avoir enfin terminé. Michaël Sanlaville: "On a retrouvé du plaisir. Les dernières fois que j’ai dessiné Richard, j’en ai pris conscience. C’était même un peu émouvant. La fin a été assez rude mais, pour l’instant, de toute ma carrière de dessinateur, c’est le plus chouette moment."

Mais Lastman ne s’arrête pas vraiment. Il y a une exposition à la galerie Manjari & Partners à Paris (11e) jusqu'au 30 novembre. Une deuxième saison de la série, qui a rencontré un grand succès sur France 4, puis Netflix, arrivera en 2021. Prévue en six épisodes de 52 minutes, elle se déroulera entre la saison 1 et le manga. Un making-of conçu par le journaliste et éditeur Sullivan Rouaud est en préparation, tout comme un art book. La série Lastman Stories, inaugurée l’année dernière, devrait continuer, avec plusieurs tomes qui exploreront les recoins de l’univers.

Puis chacun ira de son côté. Balak a des projets en animation. Bastien Vivès prépare un nouvel album pour mars. Michaël Sanlaville poursuit ses adaptations en BD de San Antonio. Et, qui sait, le trio reviendra-t-il peut être sur sa promesse en imaginant une suite à la fin de Lastman

Jérôme Lachasse