"La Belle et la Bête": ce que l'on trouve dans le livre de Jul décommandé par l'Éducation nationale

La Belle, la bête... et la controverse. L'Éducation nationale, qui avait commandé le tirage à 800.000 exemplaires d'une relecture moderne de ce conte de fées par le dessinateur Jul, a finalement décidé de l'annuler. Elisabeth Borne, la ministre dédiée, évoque ce jeudi 20 mars une version qui n'était "pas adaptée" aux enfants de 10 ans. Le dessinateur, lui, dénonce une "censure" aux relents xénophobes.
BFMTV a pu se procurer l'ouvrage. Il se base sur une version spécifique de La Belle et la bête, celle publiée en 1756 par la Française Jeanne-Marie Leprince de Beaumont. Le livre mêle le texte d'origine et les illustrations de Julien Berjeaut, dit Jul, ancien de Charlie Hebdo, actuel scénariste de Lucky Luke et auteur de la BD Silex and the City.
Chaque année depuis 2018, l'opération "Un livre pour les vacances" fournit un classique français revisité aux élèves de CM2. Choisi pour l'édition 2025, le dessinateur avait pris le parti d'une modernisation du conte, dont le ton est donné dès la couverture: Belle, en baskets et T-shirt rayé, pose pour un selfie aux côtés de la Bête.
Princesse des temps ultra-modernes
Ces illustrations, qui replacent l'intrigue dans un contexte actuel, ponctuent les 67 pages du récit. Belle, typée méditerranéenne, y déguste de la pâte à tartiner El Mordjene, se passionne aussi bien pour le clavecin que pour les livres sur le rappeur Dr. Dre, et troque les robes de princesse contre les joggings.
Son père, un marchand aimant et ruiné, est contrôlé par les autorités lorsqu'il se fait livrer des contrefaçons en provenance d'Algérie, et la police des douanes fait appel à un chien renifleur pour inspecter l'un des colis. Ses méchantes sœurs aînées, quant à elles, affichent un look clinquant, griffé "Chacal numéro 5" ou "Moche & Gabbana".
"Il y a des éléments de vie quotidienne qui ressemblent à la vie des écoliers d'aujourd'hui en CM2", explique Jul à BFMTV. "C'est ça qu'on a envie de faire: leur donner envie d'aller vers ces textes."
Quand, dans le texte de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, Belle observe son père par le biais d'un miroir magique, les illustrations de Jul montrent la jeune fille conversant avec son paternel sur Zoom grâce à une tablette numérique. Quand les méchantes sœurs du texte ne suscitent plus l'intérêt de leurs nombreux prétendants, celles des images se voient bloquées par une multitude de bellâtres sur les réseaux sociaux.
Dans une scène, on voit également le père de Belle aviné, bouteille de vin à la main, chantant Les Lacs du Connemara.
"Des thématiques qui conviendraient à des élèves plus âgés"
Élisabeth Borne a justifié ce jeudi l'annulation de la commande auprès de CNews/Europe 1: "Jul a beaucoup de talent, il manie l'ironie, le second degré. Mais sans accompagnement pédagogique, je pense que ça n'est pas adapté. Mais c'est un très beau livre qui pourra être utilisé dans un autre cadre."
"Peut-être que dans un cadre avec des professeurs, on peut expliquer ce second degré. Mais c'est un livre qui a vocation à être lu en vacances, avec sa famille", a-t-elle ajouté.
"Alcool" et "réseaux sociaux"
La directrice générale de l'enseignement scolaire, Caroline Pascal, avait invoqué des raisons similaires auprès de Jul, dans une lettre datée de lundi 17 mars relayée par l'AFP. Selon elle, le livre "pourrait susciter nombre de questions chez les élèves qui ne trouveraient pas nécessairement de réponse adaptée" pendant qu'ils sont en vacances.
"(Ces illustrations) abordent des thématiques qui conviendraient à des élèves plus âgés, en fin de collège ou en début de lycée, telles que l'alcool, les réseaux sociaux, ou encore des réalités sociales complexes", avait-elle fait valoir.
Dans un projet de préface présenté comme étant signé par la ministre, il est écrit: "Vous découvrirez dans cette version, dessinée pour vous, la touche malicieuse et le regard affûté de Jul, qui insufflent à ce conte une modernité nouvelle". La ministre a précisé jeudi matin "finalement (ne) pas avoir préfacé" cet ouvrage.
"Du délire absolu"
Jul, quant à lui, présente une lecture différente de l'annulation de son livre: "La seule explication semble à chercher dans le dégoût de voir représenté un monde de princes et de princesses qui ressemble un peu plus à celui des écoliers d'aujourd'hui", déplore-t-il, comme le rapporte l'AFP.
"Le 'grand remplacement' des princesses blondes par des jeunes filles méditerranéennes serait-il la limite à ne pas franchir pour l'administration versaillaise du ministère ?", s'interroge-t-il.
Il alerte, aussi, sur un malentendu. Sur le plateau de CNews, la journaliste Sonia Mabrouk a suggéré que cette annulation pourrait, aussi, venir du fait qu'un personnage "de confession musulmane" y est vu en train de boire.
"Cette histoire de musulmans qui boivent, c'est du délire absolu", balaie l'artiste sur BFMTV. "En aucun cas ces personnages ne sont ni arabes ni musulmans ni quoi que ce soit. Ils ont juste la peau un petit peu plus sombre que les contes où les filles sont blondes avec une peau très blanche. La Belle est juste un peu plus méditerranéenne. Elle a une tête d'Italienne, de Grecque, de Libanaise, elle ressemble à la France d'aujourd'hui."