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La BD de la semaine: Johan de Moor et Gilles Dal commentent La Vie à deux

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- - © Johan De Moor Gilles Dal / Le Lombard 2016

LA BD DE LA SEMAINE - Ces deux auteurs belges développent dans leur nouvel album une théorie surprenante sur l'Amour.

Après s'être attaqué à la mort dans Cœur glacé (2014), le dessinateur Johan de Moor et le scénariste Gilles Dal abordent dans La Vie à deux l'Amour avec un grand A. Ils ont accepté de répondre aux questions de BFMTV.com et de dévoiler les secrets de fabrication de leurs étonnantes planches où se mêlent dessin et collage.

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- © © Johan De Moor Gilles Dal / Le Lombard 2016

Un agréable foutoir

Johan de Moor: "C’est vrai que ce que l’on voit n’est pas classique. Mais, pour moi, c’est très classique. Je me suis habitué à ce type de composition depuis que je m’intéresse à l’art contemporain. C’est une planche que j’ai dû reprendre plusieurs fois. J’ai même laissé le papier collant jaune qui fixe les vignettes. Normalement, je l’enlève mais un de mes fils m’a dit de le laisser. Il a eu raison. Comme c’est une planche informative, encyclopédique, il fallait garder ce côté brouillon: c’est comme si j’avais lancé des informations tirées de livres d’Histoire." Gilles Dal: "Pour une planche comme celle-là, le scénario est assez sommaire. Ça va beaucoup plus vite de l’écrire que de dessiner. Il y avait peu d’indications, à part: 'Ça inspire les romanciers et les philosophes'." Johan de Moor: "Et à ce moment-là je puise dans mon iconographie tout en prenant en compte ce qui a précédé et ce qui va suivre. J’ajoute des petits personnages secondaires pour infantiliser un peu le propos parce que ce que l’on voit est un peu bébète. C’est toujours pour jouer avec un second, un troisième, un quatrième degré. Mike Brant, c’est une sorte de maître de la chanson d’amour. Cela aurait pu être Claude François, mais c’est plus attendu. Malgré l’agréable foutoir que ça peut faire ressentir, il y a une très grande discipline du chaos. Je suis extrêmement structuré par rapport à cela. Il y a de l’improvisation, mais elle est préparée."

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- © © Johan De Moor Gilles Dal / Le Lombard 2016 -

Tout est parti de la saucisse

Johan de Moor: "Ces deux planches sont reliés structurellement et narrativement par la saucisse (rires). Un jour, je suis rentré dans un Carrefour. Je savais que cette semaine-là la couverture de leur magazine était une photo de chipolatas. J’en ai pris une quarantaine et j’ai été poursuivi par le vigile qui m’a dit 'hep, vous faites quoi?' 'Je suis dessinateur! Je fais des collages'. Il n’a rien compris mais il m’a dit ‘c’est bon’ et je suis sorti. Comme le propos de la planche est le capitalisme, qui s'appuie sur la vente et la plus-value, je me suis dit qu’il fallait partir non de la Bourse de Wall Street mais de la base: des grandes surfaces, qui sont quand même les temples les plus absurdes que les hommes ont pu créer. Au début, il y avait beaucoup plus de collages. Il y en avait partout! Puis, petit à petit, j’ai commencé à trier puisqu’il faut tenir compte du scénario. Si je me souviens bien, c’était réparti sur trois planches au début." Gilles Dal: "Sur une planche comme celle-ci, Johan a une totale liberté. Il y a deux types de planche dans La Vie à deux: les explicatives puis les concrètes, avec les scènes du quotidien et du couple. Celles-ci sont plus dialoguées, plus structurées et plus écrites. Dans les planches plus conceptuelles, Johan donne la pleine mesure à son feu d’artifice pictural et je dois en dire le moins possible. Dans La Vie à deux, il n’y a pas vraiment d’histoire. C’est ce qui est difficile: nous devons donner envie aux lecteurs de tourner les pages sans qu'une aventure leur donne le désir de découvrir le dénouement. On y parvient soit par l’ambiance, soit par le raisonnement."

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- © © Johan De Moor Gilles Dal / Le Lombard 2016 -

Trouver la bonne formule

Gilles Dal: "Ça ne vient pas tout de suite. Pour la quatrième de couverture, on cherchait une phrase qui soit à la fois chouette et triste. On a fait des listes et des listes. Et on a trouvé: 'On s'entend très bien'." Johan de Moor: "Gilles est quelqu’un qui sait capter les banalités du discours des gens. C’est quelque chose sur lequel il travaille beaucoup même dans ses livres et à la radio. Et des phrases aussi banales que 'On s’entend très bien' prennent alors une dimension tout à fait importante. Sur Cœur Glacé [leur précédent livre, qui évoquait la mort, ndlr], il avait mis: 'Globalement, ça va'." Gilles Dal: "La Vie à deux n’est pas un livre contre Cœur Glacé. Mais il y a un lien entre les deux livres dans le sens où Cœur Glacé se terminait très mal: le héros ne ressentait pas l’amour. On s’est dit que c’était un bon thème pour un tome 2. Dans Cœur Glacé, notre héros n’avait pas de nom. Là, on s’est dit que ce serait bien d’avoir aussi des héros sans nom."

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- © © Johan De Moor Gilles Dal / Le Lombard 2016 -

Hommage au Krazy Kat de George Herriman

Johan de Moor: "J’ai utilisé Krazy Kat [de George Herriman, réédité en France aux éditions Les Rêveurs] au début de l’album pour parler de la rupture dans la voiture. Tout d’un coup, cette image est revenue. Mais, dans cette planche, ce n’est plus le personnage, on s’en éloigne. Il devient 'De Mooresque', si je peux me permettre d’être prétentieux. Je l’ai ajouté dans certaines planches, quand ça avait un rapport avec le scénario. J’ai découvert Krazy Kat à l’adolescence. Maintenant je le connais un peu par cœur. C’est éblouissant. On manque de cette ingéniosité, de cette liberté, de cette rêverie visuelle. On est beaucoup plus structuré maintenant. On s’emmerde un peu plus aussi."

La Vie à deux, Johan de Moor & Gilles Dal, éditions du Lombard, 14,99 euros.

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