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La BD de la semaine: Aude Picault commente Idéal Standard

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- - © Aude Picault / Dargaud 2017

LA BD DE LA SEMAINE - La dessinatrice raconte les rêves et les déceptions d’une trentenaire qui cherche le grand Amour.

Après avoir raconté dans un précédent album son voyage en Patagonie, Aude Picault revient avec Idéal Standard, récit des rêves et des déceptions d’une trentenaire qui cherche le grand Amour. Pendant huit ans, elle a peaufiné l’écriture de cet album, pour synthétiser l’ensemble de ses interrogations et de ses colères. L’album n’a rien d'une autobiographie. Aude Picault s’est inspirée notamment d’ouvrages féministes piochés dans la bibliothèque de sa tante. Aude Picault s’attaque aussi aux exigences de la société moderne, aux codes que l’on impose aux femmes. Elle les brise tous un à un. Rencontré lors du Festival d’Angoulême en janvier dernier, la dessinatrice commente pour BFMTV.com quatre planches d’Idéal Standard.

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- © © Aude Picault / Dargaud 2017

Le fantasme

"Ces scènes de fantasme sont récurrentes dans l’album. Mon personnage, Claire, est obnubilée par l’idée de couple, de famille. Le moindre moment de vide est occupé par cette obsession, qui n’est pas saine, qui n’est pas bien pour elle. Elle va finir par sombrer dans une forme de dépression. Je décris un contexte qui parle sans arrêt de cela. Comme elle est obsédée par le sujet, elle le voit partout. Ce n’est toujours pas bien perçu lorsqu’une femme seule dépasse un certain âge et qu’elle n’a pas d’enfants. Pourquoi est-ce que j’ai choisi le jaune? Le vert et le bleu sont trop froid. Le rouge est trop agressif. Le orange, je n’aime pas. La couleur qui me semblait la plus agréable, la plus lumineuse, la plus chaleureuse était le jaune. J’utilise deux nuances: une plus foncée sur les détails et une plus pâle pour des aplats et les fonds. La mise en couleur est à l’ordinateur parce que j’étais épuisée par le dessin, qui m’a pris beaucoup de temps. J’ai eu envie de faire quelque chose de très simple et l’ordinateur s’y prêtait bien. Je voulais une bichromie au début, mais j’ai préféré ajouter des touches de couleur: le rose, pour les fantasmes et les objets du quotidien et le bleu pour son cadre de travail."

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- © © Aude Picault / Dargaud 2017

La maternité

"Cette planche est très importante. C’est une scène d’introduction au travail de Claire, qui est infirmière en néonatologie. Elle est en contact avec des enfants prématurés, souvent très fragiles. Ici, un couple découvre pour la première fois son enfant, branché dans la machine. Ils sont traumatisés: la mère est incapable de s’approcher, c’est le père qui parle le premier à sa fille. Cette scène me touche beaucoup. Je n’ai jamais vraiment su travailler avec les cases. Le cadre me semble très réducteur. Quand on veut prendre une photo, on est toujours déçu, parce que le regard humain perçoit beaucoup plus. C’est une façon beaucoup plus spontanée pour moi de travailler. Je cherche toujours à avoir le trait le plus léger possible, à en dire le plus avec le moins de trait possible. Pour cette scène, il était important que le lecteur voit que cet enfant est médicalisé, que je passe du temps à dessiner les matériels pour qu’il ressente ce que vivent les parents."

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- © © Aude Picault / Dargaud 2017

Enceinte?

"Cette scène est censée être drôle. Ce n’est pourtant pas une scène amusante. Le lecteur a compris que sa relation amoureuse ne marcherait pas et elle découvre qu’elle est enceinte. C’est une scène muette sur ses toilettes, ce n’est pas glamour du tout. J’ai redessiné à chaque fois le personnage, sur ma table lumineuse. C’est une page qui, même extraite du livre, fonctionne de manière autonome. J’aime bien cela. C’est peut-être un phénomène d’époque ce besoin de parler de ces genres de situations. Auparavant, les milieux créatifs étaient très masculins, maintenant que les femmes peuvent s’exprimer, elles ont envie de casser les clichés et ces personnages féminins qui ne leur ressemblent pas. C’est une étape nécessaire: les femmes arrivent et ce sont ces sujets dont elles ont besoin de parler."

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- © © Aude Picault / Dargaud 2017

L’avortement

"Il y a un film magnifique, Les Noces Rebelles, avec Leonardo DiCaprio et Kate Winslet, qui aborde frontalement la question de l’avortement. Je n’ai pas vu beaucoup d’œuvres qui en parlent de cette manière. On vit souvent dans le mythe de la maternité heureuse. Ce n’est pas du tout mon histoire. Mon personnage doit choisir. Ce que je trouve intéressant dans cette scène, c’est que, paradoxalement, c’est un choix de vie très positif. Ce n’est pas du militantisme. C’est un choix de vie: elle a besoin de passer par cette étape pour devenir elle-même et renoncer au fantasme."

Idéal Standard, Aude Picault, Dargaud, 152 pages, 17,95 euros.

Jérôme Lachasse