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Gravelines: comment des méduses ont-elles pu forcer l'arrêt complet d'une centrale nucléaire?

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Les quatre réacteurs actuellement en marche de la centrale nucléaire de Gravelines, dans le Nord, se sont arrêtés dans la nuit de dimanche à lundi 11 août. Des méduses se sont retrouvées dans les stations de pompage de l'eau servant au refroidissement du système.

Le rédacteur numéro 6 du site de Gravelines a redémarré mercredi 13 août au matin. Les autres restent totalement éteints. La production de la plus grande centrale nucléaire d'Europe occidentale était totalement paralysée depuis la nuit de dimanche à lundi matin.

En cause: la "présence massive" et "non-prévisible" de méduses dans les tambours filtrants des stations de pompage de l'eau de mer servant au refroidissement de ses réacteurs. "Les équipes sont en cours d'intervention sur ces composants", assure une porte-parole d'EDF. Le redémarrage de trois autres rédacteurs est prévu "dans les prochains jours".

"Pas de chance"

La centrale de Gravelines est située au bord de la mer du Nord, entre Dunkerque et Calais. Toutes les centrales françaises sont implantées au bord d'un cours d'eau ou de la mer. Cette proximité est indispensable pour avoir assez d'eau à disposition. "Le refroidissement des réacteurs est un problème de sûreté majeur", explique sur RMC Francis Roy, consultant en sûreté nucléaire. "Si on ne refroidissait pas le réacteur, on pourrait avoir une fusion du cœur, une fusion des assemblages combustibles".

L'eau est ainsi prélevée avant d’être filtrée puis acheminée vers le réacteur. C'est dans cette partie "non-nucléaire" de la centrale que des méduses ont causé du remous ce lundi matin.

Les tambours filtrants sont d'immenses roues grillagées qui permettent de protéger le circuit en empêchant tout débris de passer dans les pompes. La présence de méduses dans ces derniers "a déclenché l’arrêt automatique des unités actives", explique EDF, qui précise qu'il s'agit "d'un dispositif de sûreté qui est prévu pour tous les réacteurs nucléaires".

Mais comment des méduses se sont-elles retrouvées là? Pour Elvire Antajan, chercheuse à l'Ifremer, c'est une question de "pas de chance". Des milliers de Rhizostoma octopus, "une espèce de méduses commune dans la Manche et la mer du Nord à cette période de l'année", selon elle, sont entrées dans le port de Dunkerque, où la centrale pompe ses eaux de refroidissement.

Les méduses "ont vocation à rester en mer" mais "elle n'ont pas capacité de changer de direction et sont transportées par les courants et le vent". "Elles se trouvaient au large de la centrale au moment où des conditions de courant allaient dans le sens de la côte", explique Elvire Antajan.

"Et quand elles s'échouent, elles s'échouent en masse car elles vivent en cohorte", ajoute-t-elle.

"Le vent était non-prévisible ce jour-là", abonde de son côté EDF. Ainsi, les plages autour de la centrale de Gravelines ont également été envahies de méduses échouées.

Les méduses sur la plage proche de la centrale nucléaire de Gravelines, le 12 août 2025
Les méduses sur la plage proche de la centrale nucléaire de Gravelines, le 12 août 2025 © Sameer AL-DOUMY © 2019 AFP

Des cas similaires

La situation est rare mais pas inédite. "Les tambours filtrants sont là pour ça", souligne EDF. "Ça fait partie des désagréments quand on pompe directement de l'eau de mer", ajoute Elvire Antajan, qui explique qu'un colmatage des systèmes de pompage peut également survenir à cause d'algues ou encore "de larves de poissons, comme ça a pu être le cas dans des centrales normandes".

Le site de Gravelines n'est d'ailleurs pas étranger au phénomène. Dans les années 90, des "groseilles de mer", des petits animaux gélatineux qui peuvent être confondus avec des méduses, avaient colmaté les systèmes de pompage. "En 2009, il y avait eu un cas similaire mais les méduses étaient moins nombreuses donc ça n'avait entraîné qu'une baisse de l'activité de la centrale", se souvient Elvire Antajan, qui rappelle que cela arrive également dans d'autres pays: États-Unis, Écosse, Japon...

"Un problème similaire peut être posé aux usines de désalinisation de l'eau de mer, par exemple en Israël où il y en a beaucoup", ajoute la spécialiste.

D'autant qu'au large de Gravelines, la présence de méduses est fréquente, notamment durant l'été. "EDF a un partenariat avec SNSM (sauveteurs en mer, NDLR) pour la surveillance des abords des sources d'eau, pour les méduses mais pas uniquement", explique ainsi l'organisme.

Une prolifération des méduses?

Si cet événement est particulièrement impressionnant, avec la mise à l'arrêt de quatre réacteurs, pour Elvire Antajan, "il n'y a pas de raison de s'alarmer". "Ce n'est pas le signe d'un événement climatique particulier, ce sont juste des organismes qui ne décident pas d'où ils vont", détaille-t-elle.

"EDF a toujours pris en compte le réchauffement climatique mais là, il n'y a pas de lien avéré pour cet épisode", explique le fournisseur d'électricité français, qui assure que si d'autres épisodes étaient amenés à se reproduire, il prendrait des mesures additionnelles pour y faire face.

La centrale nucléaire de Gravelines, le 11 août 2025, dans le Nord
La centrale nucléaire de Gravelines, le 11 août 2025, dans le Nord © Sameer Al-DOUMY © 2019 AFP

Dans un contexte de dérèglement climatique, la question de la prolifération des méduses se pose. Selon la Fondation de la mer, "l'homme offre aux méduses un océan propice à leur prolifération".

À titre d'illustration, une eau plus chaude contient davantage de planctons, dont se nourrissent principalement les méduses. "On sait aussi que certaines espèces de méduses sont favorisées à certaines températures pour se reproduire", ajoute Elvire Antajan, qui précise que ce n'est pas forcément le cas pour les Rhizostoma octopus à l'origine du blocage de la centrale de Gravelines.

En outre, la pollution, est très nocive pour la majorité des espèces marines, mais ne dérange pas vraiment les méduses puisque qu'elle augmente la présence de plancton et d'algues. Aussi, "leurs larves adorent le plastique", indique la Fondation de la mer, car il leur permet de s'y fixer et servent de radeaux pour s'y développer.

Dans certaines régions du monde, comme près des côtes du Japon ou encore de la Namibie, on observe que la surpêche profite aux méduses puisqu'elle entraîne une diminution de leurs prédateurs directs et donc, parallèlement de la concurrence pour la nourriture.

"L'effet du réchauffement climatique dépend des lieux et des espèces", résume Elvire Antajan. La spécialiste de l'Ifremer déplore toutefois l'absence de "suivi précis des méduses sur le littoral Manche et mer du Nord" pour en savoir davantage.

Des systèmes de surveillance et d'alerte

Les Rhizostoma octopus sont donc présentes en grande quantité au large des côtes du nord du pays en été et un hasard de courant et de vent les a emmenées près de la centrale de Gravelines. Si une telle configuration est exceptionnelle, les professionnels réfléchissent néanmoins à de nouvelles solutions.

L'arrêt des réacteurs de la centrale n'a pas de conséquence "sur la sûreté des installations, la sécurité du personnel ou sur l'environnement", assure EDF. De la même manière, cela ne cause pas de risque de pénurie, d'autres centrales ayant pris le relais car "le réseau électrique est national, voire européen", explique sur RMC Emmanuelle Galichet, chercheuse en physique nucléaire.

En revanche, "une journée d'un réacteur nucléaire qui ne fonctionne pas c'est million d'euros de perte pour EDF", souligne-t-elle.

"S'il y a de plus en plus de méduses ou d'algues, EDF devra mettre en place des protections sur les sites en bord de mer", ajoute-t-elle ainsi.

Par exemple, pour éviter des désagréments liés aux groseilles de mer, présentes surtout entre mai et juin, "la centrale a un système de surveillance avec un pêcheur qui peut alerter car on connaît bien le risque et l'espèce", raconte Elvire Antajan. Selon elle, "avec un suivi clair dans la Manche et la mer du Nord, on pourrait prédire le risque pour les méduses et prendre des mesures supplémentaires". Elle cite, par exemple, l'idée de se servir des signalements citoyens sur les applications de méduses comme "une sorte de pré-alerte".

Comme l'explique Le Monde, dans son centre de recherche situé dans les Yvelines, EDF dispose d'une unité spécialisée en biologie marine qui étudie cette question. C'est notamment à l'issue d'une invasion de méduses en 1993 à la centrale de Gravelines que les tambours filtrants avaient été repensés.

Salomé Robles