Turquie : la contestation prend de l’ampleur

De nouveaux appels à manifester ont été lancés dimanche sur les réseaux sociaux à Istanbul et Ankara. - -
Si le calme semblait revenu ce lundi matin, la colère continue de gronder en Turquie, qui a connu vendredi et samedi ses manifestations les plus importantes depuis l'arrivée au pouvoir du Parti pour la justice et le développement (AKP) en 2002.
Tout a commencé le 27 mai. Une poignée de manifestants se sont opposés contre un projet d’aménagement urbain aux abords de la place Taksim, qui prévoit la construction d’un gigantesque centre commercial ainsi qu’une mosquée en lieu et place du parc public Gezi, promis à la destruction. Les riverains et l'opposition rappellent le caractère symbolique de cette place, épicentre de nombreuses manifestations politiques depuis des décennies, notamment à l'occasion du 1er mai.
« Nous ne partirons pas »
Depuis l'intervention très musclée des forces de l'ordre vendredi, la contestation s'est renforcée et généralisée contre l'autoritarisme du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan ainsi que le durcissement de sa politique de plus en plus islamique, malgré les appels au calme de ce dernier.
Des centaines de manifestants se sont rassemblés pour défier le gouvernement. La vague de contestation a gagné plusieurs villes du pays. « Nous resterons ici jusqu'au bout », a déclaré Akin, qui n'a pas quitté Taksim depuis quatre jours. « Nous ne partirons pas, c'est le seul moyen de faire tomber ce gouvernement. Nous en avons assez de l'oppression, il ne s'agit pas seulement des arbres qu'ils ont abattus », a-t-il ajouté, faisant allusion aux travaux qui ont défiguré le parc Gezi.
Erdogan, vu comme un « dictateur »
« Ce qui se passe n'a plus rien à voir avec l'arrachage de douze arbres. On a affaire à une réaction idéologique », a estimé en écho Recep Tayyip Erdogan, qui n’a pas l’intention de céder un pouce de terrain. Pour mener à bien le projet de la place Taksim, a-t-il souligné, « il est évident que je ne demanderai pas la permission à la direction du CHP ou à quelques pillards ». Pour le Premier ministre, les tensions sont attisées par la principale formation d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, gauche nationaliste), qui lui reproche de se conduire comme un « dictateur ». Une déclaration qui n'a pas manqué de faire réagir Mehmet Akif Hamzacebi, haut dirigeant du CHP : « Les gens qui sont aujourd'hui dans la rue ne sont pas exclusivement des membres du CHP, mais appartiennent à toutes les idéologies et à tous les partis, et d'ajouter : Erdogan essaie de faire porter la responsabilité sur le CHP mais ne tire pas les enseignements nécessaires de ce qu'il s'est passé ».
Samedi soir, le Premier ministre a finalement décidé le retrait des forces de l'ordre, après deux jours de violents affrontements qui ont fait plusieurs centaines de blessés.
De nombreux Turcs se sont dits horrifiés de la violence excessive des forces de l'ordre pour réprimer les manifestations. Lors des heurts de vendredi et samedi, des grenades lacrymogènes ont été lancées à partir d'hélicoptères sur des quartiers résidentiels.
Le ministre de l'Intérieur, Muammer Güler, a annoncé samedi soir que la police avait arrêté 939 personnes au cours de 90 manifestations à travers le pays. De nouveaux appels à manifester ont été lancés dimanche sur les réseaux sociaux à Istanbul et Ankara. Les Etats-Unis et l'Union européenne ont fait part de leur préoccupation.
« On est là, mais notre cœur est place Taksim »
A Paris, des rassemblements ont eu lieu ce week-end au Trocadéro et une manifestation de soutien est prévue mardi à 19h à Paris devant la Fontaine des Innocents. RMC a rencontré des membres de la communauté turque de Paris, qui suivent de près les manifestations.
Dans son restaurant kebab, Suliman a les yeux rivés sur son portable. « Mon frère est blessé. On vient de lui parler. On est là, mais notre cœur est place Taksim ». Ilker, qui travaille dans une boucherie un plus loin, s'oppose lui aussi au gouvernement Erdogan. « Le gouvernement essaie de nous mettre des interdictions sur tout en Turquie : l’alcool, le tourisme, les informations : celles des grandes chaînes turques et les chaînes françaises ne montrent pas la même chose ». La censure des médias, l'islamisation de la société, le revirement autoritaire, c'est tout ce que dénoncent les manifestants. Mais tous ne sont pas de cet avis. Dans le 10e arrondissement de Paris, beaucoup soutiennent le Premier ministre mais ne souhaitaient pas s'exprimer.
La Confédération des syndicats de la fonction publique turque (Kesk) a lancé lundi à un appel à une « grève d'avertissement » de 48 heures à compter de mardi pour protester contre la répression policière des manifestations antigouvernementales de ces derniers jours. « La terreur d'Etat mise en œuvre contre les manifestations massives à travers le pays a démontré une fois de plus l'hostilité du gouvernement AKP à l'égard de la démocratie », dénonce l'organisation syndicale dans un communiqué. La confédération représente onze syndicats et quelque 240 000 adhérents.