Un document de travail de l'Église envisage l'ordination d'hommes mariés en Amazonie

Le Vatican (photo d'illustration) - AFP
60 pages, découpées en trois parties, un peu plus de 150 paragraphes et peut-être une révolution philosophico-liturgique en préparation. Ce lundi, au Vatican, le cardinal Lorenzo Baldisseri a présenté le document de travail du synode sur l'Amazonie prévu du 6 au 27 octobre prochains. Le texte, élaboré par le Réseau ecclésial panamazonien après 260 "temps d'écoute" menés auprès de 22.000 intervenants comme le précise La Croix, porte un regard vif sur la situation écologique terriblement précaire de cette région du monde.
Il s'intéresse aussi aux 110 à 130 communautés indigènes qui vivent dans les profondeurs de la forêt "en isolement volontaire", selon les mots relayés par Vatican News, vis-à-vis d'une civilisation qui a fait beaucoup de mal à leurs traditions, leur mode vie et parfois leurs personnes.
Des pistes très novatrices
Si ce document de travail n'est, par nature, pas une prise de position ferme et définitive, il ouvre des pistes très novatrices et riches d'enjeux. Deux passages retiennent particulièrement l'attention: la proposition de procéder à l'ordination d'hommes mariés, pères de famille, issus du sein de ces communautés, et celle de faire une place officielle aux femmes, actant leur rôle majeur dans la vie de l'Église locale.
Le texte proclame ainsi:
"Tout en affirmant que le célibat est un don pour l’Église, il est demandé, pour les zones les plus reculées de la région, d’étudier la possibilité d’ordinations sacerdotales d’anciens, de préférence indigènes, respectés et acceptés par leurs communautés, pouvant même avoir une famille établie et stable, afin d’assurer les sacrements qui accompagnent et soutiennent la vie chrétienne."
Le cléricalisme dans le viseur
Par ailleurs, le document de travail suggère donc d'"identifier le type de ministère officiel qui peut être conféré aux femmes, tenant compte du rôle central qu’elles remplissent aujourd’hui dans l’Église amazonienne". Comme Le Figaro le relève, il est plus précisément question de "changer les critères de sélection et de préparation des ministres autorisés à célébrer" l'office, éventuellement par l'entremise de "conférences épiscopales" qui "adapteront le rite eucharistique à leur culture".
"L’Église doit s’incarner dans la culture amazonienne qui possède un sens élevé de la communauté, de l’égalité, de la solidarité, et où le cléricalisme n’est pas accepté. Les peuples indigènes possèdent une riche tradition d’organisation sociale où l’autorité est tournante, avec un sens profond du service. Il serait donc opportun, à partir de ces expériences d’organisation, de reconsidérer l’idée que l’exercice de la juridiction - le pouvoir de gouverner - devrait être lié de façon permanente et pour tous les sujets, sacramentaux, juridiques et administratifs, au sacrement de l’ordre", explique encore le texte.
L'Église et la culture amazonienne
On s'aperçoit ici que cette nouvelle approche, qui fait la part belle à des traditions étrangères à l'histoire romaine, rencontre une préoccupation essentielle au pape François: sa volonté de combattre le "cléricalisme", entendre la focalisation excessive de la vie catholique autour de la figure du prêtre, conçue alors à trop grande distance des fidèles.
Les auteurs tentent de surcroît de trousser en une formule les objectifs qu'ils poursuivent: donner à l'Église un "visage amazonien et missionnaire". interrogé par Vatican News dans un entretien diffusé ce mardi, monseigneur Emmanuel Laffont, évêque de Cayenne en Guyane, a livré la dimension concrète du problème à résoudre: "Si je prends le cas de la Guyane, nous sommes trop peu présents à l’intérieur et cela malheureusement, parce que vu que le nombre d’Amérindiens est petit, il est très difficile pour moi d’envoyer un prêtre vivre parmi eux, d’apprendre la langue en pensant qu’il ne va pas y passer 25 ans, ce qui n’est pas du tout la façon dont les nouveaux missionnaires voient leur mission". Et pour lui, il est bien question pour l'institution catholique de se mêler à un univers dont il faut préserver la cohérence et l'équilibre:
"De prime abord, la présence de l’Église n’est pas suffisante et on ne prend pas le temps d’apprendre leur langue, c’est-à-dire leur culture en réalité, leur manière de voir le monde, leur cosmologie, leur anthropologie, et donc le défi posé devant l’Église est de voir les germes d’Evangile qui sont déjà présents pour les mettre en valeur et leur donner un sens et une expérience du salut que le Christ peut apporter sans détruire ce que nous sommes et mettre en valeur ce qui est bon".
Dans le sillage de Laudato si
Car ce document de travail s'inscrit bien dans la filiation de Laudato si, une encyclique du pape qui promeut une écologie dite "intégrale" et qui peut aussi s'accompagner de l'épithète "humaine". Ainsi, le texte fustige notamment des "grands intérêts économiques, avides de pétrole, gaz, bois, monocultures agro-industrielles".
Le 27 octobre, les 200 évêques invités au Vatican pour le synode auront donc à se prononcer sur cet ensemble. Pour être voté, rappelle Le Figaro, le texte devra convaincre les trois quarts de ces participants.