Mariées au Christ, religieuses hors les murs, qui sont les vierges consacrées?

Vitrail de Notre-Dame-de-Paris. - Ludovic MARIN / AFP
"Comme je le dis toujours, je ne serai jamais veuve". Claire Vigneron, 48 ans, ancre cette certitude dans le béton, car c'est au Christ qu'elle est mariée. Si cette union peut surprendre de prime abord, il ne s'agit pas d'un délire mystique. Claire Vigneron, que nous avons rencontrée, est "vierge consacrée", un mode d'existence vieux comme le christianisme et que l'Eglise catholique a remis à flot il y a quelques décennies dans la foulée de Vatican II, après une période où le principe était tombé en désuétude avant même d'être un temps supprimé.
Le Vatican vient d'ailleurs, le 4 juillet dernier, de publier pour la première fois un document portant exclusivement sur les vierges consacrées, semblant ouvrir un débat sur la nature de cette virginité. Il y est notamment dit, comme l'a relevé La Croix, que la virginité physique n'était "pas un prérequis déterminant" à cette consécration.
Les vierges consacrées sont en quelque sorte des religieuses hors les murs, c'est-à-dire qu'elles font le choix de rester chastes, comme leur nom l'indique, et de vivre une vie ponctuée par les prières sans toutefois entrer dans un couvent.
Au contraire, officiellement consacrées par l'Eglise au cours d'une cérémonie qui balance entre le rite d'ordination et le sacrement du mariage, elles épousent symboliquement Jésus-Christ mais connaissent pour l'essentiel un quotidien classique. Elles mènent leur carrière, peuvent être salariées et occupent un logement dont elles acquittent le loyer comme le commun des mortels.
Le témoignage et la danse
En France, elles forment actuellement un peloton fort de plus de 500 éléments dont une centaine à Paris où on compte, au moins, une consécration par an. Qui cherche derrière ces destins une trajectoire-type sera déçu. Avant d'embrasser cette vie religieuse particulière, Claire a eu un parcours atypique. Aujourd'hui responsable trésorerie et financement au sein d'une entreprise, elle vient du monde de l'art: "J'ai fait beaucoup de danse classique. J'aurais pu en faire ma profession."
Entre sauts de biche et entrechats, sa vocation a bouillonné. "C'est une consécration par le témoignage... et par la danse. Le Seigneur vient vous chercher par des choses qui vous sont totalement personnelles, qui vous portent" confie-t-elle. Par le "témoignage", car la lecture d'un livre où une autre danseuse émérite retraçait son expérience, un chemin accidenté l'ayant menée de l'Opéra de Paris à la vie consacrée en passant par un couvent du Carmel, a fait beaucoup pour le choix de Claire. Ce livre était l'œuvre de Mireille Nègre.
Cette dernière, 74 ans, le raconte à BFMTV.com: elle devait être nommée étoile à l'Opéra de Paris l'année où elle s'est dit qu'elle allait mettre les voiles. Et même "le" voile, car l'Eglise catholique n'ayant pas encore réinstauré le statut de vierge consacrée, elle a d'abord été bonne sœur. Auparavant, son initiation spirituelle a débuté par sa pratique du yoga et du zen. L’artiste perçoit alors en elle un "espace intérieur plus vaste que l’extérieur". Les lectures de Sainte Thérèse d’Avila et surtout de l’évangéliste Matthieu font le reste et elle décide de laisser là les promesses de sa carrière de danseuse pour embrasser une vie contemplative tournée vers Jésus.
"Un mensonge derrière une robe de bure"
Trois après l'entrée de Mireille dans un couvent dépendant de l’ordre du Carmel, l’Eglise, dans le sillage du concile de Vatican II, légitime à nouveau la consécration des femmes vivant dans le monde. La nouvelle ne parvient à ses oreilles que sept ans plus tard. L’idée a tôt fait de tracer sa route car le malaise n’a cessé de grandir du côté d’une Mireille Nègre qui se morfond plus qu’elle ne s’épanouit dans son cloître. Pour elle, c’est la Providence qui vient à son secours: "C'est la parole de Dieu qui me renvoyait vers la danse. Sinon, j'étais un mensonge derrière une robe de bure."
Avant de quitter la robe de bure en question, elle passe deux ans dans le couvent de La Visitation où elle commence d’ailleurs à enseigner la danse. Enfin, elle abandonne sa vie monacale et, accompagnée par monseigneur Jean-Marie Lustiger alors archevêque de Paris, elle devient, deux années plus tard, l’une des quatre premières vierges consacrées en France. Mireille reprend même pied dans le monde de la danse. En effet, pendant vingt ans, elle se produit sur scène "dans des chorégraphies qui convenaient", précise aujourd’hui celle qui supervise toujours une académie de danse.
Si Mireille Nègre est donc passée par les ordres, Claire Vigneron explique pourquoi elle a pour sa part estimé que sa place ne se trouvait pas dans un monastère. "Je pense que j'aurais été très, très malheureuse dans un couvent. Et au-delà de ça, il y a la dimension de témoignage dans le monde." Claire Vigneron diverge encore sur un autre point de la trajectoire suivie par son inspiratrice: le temps de latence entre décision et consécration.
En effet, on ne devient pas vierge consacrée à n’importe quel âge. Si les diocèses français fixent bien souvent le seuil à 30 ans, celui de Paris, auquel est rattachée Claire Vigneron, le recule jusqu’à 35 ans. Il s’agit de vérifier la capacité de la jeune femme à subvenir à ses besoins, à tenir ses engagements tout en étant exposée dans le monde, peut-être aussi de lui laisser l’occasion de faire des rencontres. Or, pour Claire Vigneron, tout était limpide dès ses 23 ans. Elle a donc dû traverser un long couloir de douze ans. "Ça a été très difficile. L'attente a été très douloureuse", se souvient-elle. Comme toute aspirante à la consécration, elle a toutefois pu compter sur l’appui d’un prêtre accompagnateur pendant cette vaste parenthèse.
Les deux amours
Isabelle Payen de la Garanderie s’est elle aussi nourrie du soutien des ecclésiastiques. Aujourd'hui professeur de lettres dans un collège d’Argenteuil et agrégée de lettres, son parcours découle d'une expérience religieuse forte, ressentie en 2006 lors d’une confession. C'est ce moment privilégié, survenu au cours d’une retraite spirituelle dans une abbaye près d’Orléans, qui l'a menée à sa consécration à Nanterre le 10 décembre 2016, à l’âge de 31 ans.
Elle accepte de se pencher auprès de nous sur le volet le plus intrigant de sa vocation de vierge consacrée pour un public éloigné des affaires religieuses : le célibat et l’abstinence sexuelle. "La chasteté, je ne trouvais pas ça, très, très sympa. Mais, en grandissant avec le Seigneur, ça m'a semblé une question logique à se poser", se souvient-elle.
Peu à peu, son prudent cheminement vers la consécration la tranquillise: "Au fur et à mesure des années, cette expérience m'a apaisé par rapport au célibat, qui me faisait un peu peur. Le célibat, c'est vraiment une question de préférence et d'amour tout simplement."
La réflexion a été d’autant plus ardue qu’ayant déjà été amoureuse, elle savait de quoi elle se détournait: "J'ai été amoureuse avant de me poser cette question, avant 2006 donc." Elle ne regrette pas son choix, et évoque sa "paix" et sa "joie" dont elle veut faire les grands marqueurs de son existence. Pour autant, elle ne se pense pas tirée d’affaires sentimentalement parlant.
"J'ai conscience que je suis dans le monde, qu'on peut très bien rencontrer quelqu'un. Il est très probable que je sois un jour à nouveau amoureuse, en revanche, j'ai fait le choix d'aimer pleinement Dieu et je demande d'y être fidèle car je crois que c'est le chemin de bonheur qu'il a préparé pour moi", confie-t-elle.
L'annonce faite à la famille
Demander la consécration, c’est donc renoncer à fonder une famille et à avoir des enfants, chose qu’il peut être délicat de dire aux siens. "Quand on se marie, on ne demande pas la permission à sa famille !" s'exclame Mireille Nègre. Elle a toutefois son mot à dire sur le sujet bien que dans son cas ce soit plutôt sa sortie des pistes de danse qui ait dérouté.
La scène a été bien différente dans la famille Vigneron, où l’un des membres de la fratrie est quant à lui prêtre. "Dans ma famille, ça a été très bien accueilli. Je suis d'un milieu catholique pratiquant. Mes parents sont très contents et considèrent que c'est un vrai honneur d'avoir deux enfants choisis par Dieu. Mais je vous rassure, j'ai un frère qui est marié et qui a quatre enfants", rit Claire.
La réception a été beaucoup plus délicate pour Isabelle dont la famille est "sociologiquement catholique" mais où on ne pratique pas. Elle découpe en deux tableaux les réactions qu’a suscité son désir de s’en tenir à son mariage avec Jésus auprès de ses parents divorcés. Le côté paternel lui a réservé un bon accueil. "Mon père s'est remarié et j'ai un demi-frère et une demi-sœur. Mon père l'a très bien accepté. Mon demi-frère et ma demi-sœur également", détaille-t-elle.
Elle aborde ensuite le chapitre maternel: "Avec ma mère, ça reste beaucoup plus compliqué. Elle est avec quelqu'un mais elle ne s'est pas remariée et n'a pas eu d'enfant. Je suis donc sa fille unique. Et elle ne croit pas, tandis que mon père croit en Dieu même s’il ne pratique pas."
Cette distance avec la religion, la certitude de ne pas avoir de petits-enfants ont entraîné la mère d’Isabelle vers le refus d’assister à la consécration de sa fille: "Je garde de ma consécration, le souvenir d'une immense fête. C'est clairement le plus beau jour de ma vie, malgré cette douleur", nuance l'enseignante.
"Reconnaissez-vous Jésus-Christ comme votre époux?"
La consécration des vierges se fait toujours dans une cathédrale sous la direction d'un évêque. Mais au-delà des invariants, nos trois interlocutrices ont vécu leur cérémonie de consécration à trois époques différentes et bien sûr chacune à sa manière. Mireille Nègre se remémore en premier lieu des paroles liturgiques qui se sont envolées sous les voûtes de Notre-Dame-de-Paris ce jour-là:
"Le jour de ma consécration, il y a eu la lecture de Sophonie: 'Le Seigneur dansera pour toi avec des cris de joie', et ce n'était pas choisi." Monseigneur Lustiger avait en revanche posé ses conditions à la chorégraphe. "A l'époque, j'étais très médiatisée, alors, monseigneur Lustiger m'a imposée de ne faire venir personne de ma famille, car ma sœur était une photographe très connue à l'époque donc je n'ai eu personne !", déplore-t-elle.
On peut partager la cérémonie en plusieurs temps. Il y a d'abord l'appel lors duquel on lance à la vierge: "Le Seigneur vous appelle à le suivre". "Me voici, Seigneur, puisque tu m'as appelée", répond la jeune femme. S'engage ensuite un rite de questions-réponses entre celle-ci et son évêque. On y trouve notamment cette interrogation essentielle: "Voulez-vous être consacrée au Seigneur Jésus Christ, le fils du Dieu Très-Haut, et le reconnaître comme votre Époux ?" Comme dans un mariage, on entend alors: "Oui, je le veux". Mais ce sont les instants qui ont suivi ces échanges que Claire Vigneron a pour sa part préférés.
"Par exemple, un des éléments que j'ai le plus aimés, c'était la prostration. On s'allonge par terre, les bras en croix et la litanie des saints est récitée ou chantée. C'était le moment le plus fort pour moi parce que là j'ai eu le sentiment de m'insérer dans toute une chaîne de saints et dans l’Église et d'être vraiment dans une famille qui n'est plus une famille selon la chair et le sang", décrit-elle.
"L'événement de ma vie"
Les vierges en cours de consécration reçoivent quatre insignes: le voile (que certaines choisissent cependant de ne pas se voir remettre), qui symbolise la chasteté, l'anneau, comme pour tout bon mariage, représentant l'union avec le Christ, la liturgie des Heures, c'est-à-dire le livre des prières de l'Eglise, et enfin un cierge allumé, rendant concrète la fidélité à la foi. Isabelle Payen de la Garanderie n'a pas tenu au voile. Il lui restait donc trois insignes et elle a voulu qu'on les lui transmette d'une manière un peu particulière:
"J'avais demandé à trois personnes de m'apporter ces insignes pour qu'ils me soient remis par l'évêque. Pour l'alliance, c'était par un couple d'amis mariés pour lesquels j'ai été témoin de mariage, qui se sont rencontrés chez moi. Pour la liturgie des Heures c'est un prêtre avec lequel j'ai tendance à prier les Vêpres. Et le cierge allumé, c'était une religieuse présente dans le diocèse."
Le jour J, elle a eu la chance d’être plus entourée que Mireille. Un tiers de ses collègues du collège, sans oublier de nombreuses personnes rencontrées dans ses engagements et missions liées à sa foi, sont venus remplir la nef. Isabelle a ainsi donné une touche universelle au rite : "J'ai proposé à toute l'équipe de lettres de mon collège de venir, dont une collègue qui est musulmane avec qui on a de très beaux échanges, qui était présente. J'en garde de très beaux souvenirs. Les collègues qui étaient là m'ont dit que je leur faisais partager l'événement de ma vie."
Un mariage avec Jésus-Christ, il faut le dire, ça a de quoi frapper les esprits.