"On a plus fait la fête qu'à mon mariage": à leurs fêtes de divorce, ils ont voulu faire d'un "échec" un "moment cool"

Un divorce cake (photo d'illustration) - frankieleon/CC/Flickr
"On a plus fait la fête qu'à mon mariage." Élodie Chabrol, 42 ans, a célébré deux fois son divorce. Le soir même à sa sortie du tribunal à Paris avec famille, amis et témoins de son mariage (quatre ans plus tôt); et le vendredi suivant à Londres, où elle vivait et vit toujours, avec collègues et amis d'expatriation.
"On peut dire que j'ai réussi mon divorce", s'en amuse-t-elle pour BFMTV.com.
C'est une tendance qui émerge depuis peu en France: fêter son divorce. Les organisateurs de mariage, EVJF, EVG, "gender reveal party" et autres événements proposent ainsi de plus en plus ce type de prestation -même s'il faut reconnaître que la fête de divorce n'est pas encore complètement entrée dans les mœurs.
"Dans les grandes villes, c'est assez accepté. Mais en province, ce n'est pas toujours le cas", pointe pour BFMTV.com Cécile Romain, organisatrice d'événements dans le Loiret qui en a pour sa part organisé sept. Dont la sienne, cinq jours après que son divorce a été prononcé.
Une quinzaine d'invités au total, amies proches, frères et belles-sœurs. "On a déchiré ma robe de mariée et on l'a brûlée au barbecue. Déchirer l'icône du mariage, c'était un symbole fort", confie Cécile Romain, convaincue de la dimension cathartique de ce genre de fête.
"Ça a été libératoire, un grand soulagement."
Un mariage sur deux finit en divorce
La tendance vient des États-Unis où la "divorce party" et toute sa panoplie d'accessoires sont davantage consensuels. De la pinata "Just divorced", au gâteau avec figurines séparées de mariés et faux sang dégoulinant -ou sa variante avec une chaîne de boulet brisée. En passant par la banderole "end of an error" ("fin d'une erreur" en français), l'écharpe "just divorced" ou les ballons "I'm free" ("je suis libre").
"C'est bien plus commun dans les pays anglo-saxons de marquer les passages de la vie par une fête", note pour BFMTV.com le sociologue Ronan Chastellier, président de Tendanço. "Comme souvent, le phénomène arrive en France à retardement."
Mais surtout, selon lui, le divorce est longtemps resté stigmatisant. "Jusque dans les années 1980, c'était même mal vu d'inviter une personne divorcée à sa table." Mais avec le temps, le divorce s'est "normalisé", constate Ronan Chastellier. Voire banalisé.
Aujourd'hui, en moyenne, un mariage sur deux finit en divorce. En 2023, quelque 242.000 mariages ont été célébrés, selon les données de l'Insee. Par comparaison, en 2020, ce sont 130.700 demandes de rupture d'union (divorce ou séparation de corps) et divorces par consentement mutuel qui ont été traitées par la justice ou enregistrés auprès d'un notaire (ce qui est possible depuis 2017, sauf si un enfant demande à être auditionné).
"On est passé d'un événement extrêmement mal vu à quelque chose de socialement courant", observe le sociologue Ronan Chastellier.
"On a dansé jusqu'à 4 heures du matin"
L'atout principal de la fête de divorce: transformer un événement négatif en positif. C'est ce que confirme Élodie Chabrol, qui témoigne au début de l'article. "Mon divorce a été compliqué. On avait acheté un appartement, j'avais souvent mon ex au téléphone, il ne voulait rien lâcher. J'ai eu l'impression que ça n'en finirait jamais et ça a pris deux ans. Pendant tout ce temps, il était toujours dans ma vie, c'était lourd." La signature de son divorce a été pour elle "une libération totale".
"Et je voulais célébrer cette libération."
Pour le sociologue Ronan Chastellier, c'est bien là le principe de la fête de divorce. "C'est l'idée de passer à autre chose, de tirer un trait, avec la notion d'ouvrir la porte à une nouvelle vie." Ce qu'approuve Élodie Chabrol, qui s'est depuis remariée. Cette free-lance en communication scientifique explique qu'elle ne voulait pas rester seule le jour de la séparation officielle d'avec son ex-conjoint. "Un divorce, ça reste un mariage qui n'a pas marché. Mais je ne voulais pas être triste."
"L'idée de cette fête, c'était de tourner un échec personnel en un moment cool."
La quadragénaire réserve plusieurs tables dans un bar parisien et informe une vingtaine de ses proches qu'ils sont invités à passer boire un verre à partir de 18 heures, "en sortant du boulot". Contre toute attente, le verre entre amis tourne à la "grosse fête". "On a dansé jusqu'à 4 heures du matin. Un mardi, en pleine semaine", s'en étonne encore Élodie Chabrol. "On m'en reparle encore aujourd'hui."
Le sociologue Ronan Chastellier apporte tout de même une nuance et rappelle que nombre de divorces se passent mal. "Pour certains, il peut y avoir quelque chose de traumatisant, avec notamment une perte de revenus, une phase judiciaire qui peut être longue et lourde." Et ajoute que tous les divorces ne se prêtent pas forcément à la fête.
Un jeu de fléchettes avec le visage de l'ex-mari
Mais pour ces divorcés qui voient leur séparation comme une libération, il y a l'envie d'aller de l'avant. Sandrine Aguer, gérante d'Idylle Corse, une société d'événementiel insolite à Porto-Vecchio, vient d'organiser une fête de divorce pour une femme de 39 ans "qui ne voulait pas se morfondre". "Elle voulait passer un bon moment entre copines et surtout fêter la fin de sa vie maritale", décrit-elle pour BFMTV.com.
Parmi les animations de sa fête de divorce, en plus de la balade en bateau avec arrivée sur la plage: un jeu de fléchettes orné du visage de l'ex-mari au centre de la cible. Mais attention à ne pas se méprendre, selon cette organisatrice: il n'est pas question de "saquer" l'ex-conjoint.
"C'est avant tout une fête pour redonner le sourire et marquer ce renouveau de manière positive", insiste Sandrine Aguer. "Mais aussi de remercier les copines qui ont été présentes dans cette étape compliquée."
Elodi, fondatrice d'Elo'rganise, une société d'événementielle dans le Sud-Est, compte trois fêtes de divorce à son actif -chacune entre 20 et 50 invités. Pour l'une d'entre elles, c'est un homme et une femme fraîchement divorcés, parents de deux enfants, qui ont souhaité célébrer leur séparation. "Ils voulaient dire au revoir à leur relation de couple et bonjour à leur amitié naissante", retient-elle pour BFMTV.com.
Mais tous les invités de leur fête n'ont pas apprécié leur démarche et certains membres de leur famille ont été absents. "Pour les plus anciens, un divorce, ce n'est déjà pas toujours bien accepté. Alors en plus de le fêter, c'était contraire à leurs valeurs", poursuit Elodi.
Des lettres géantes pour former le mot "divorce"
C'est également ce qui s'est passé lors de la "desengagement party" d'un couple dont le mariage a été annulé au dernier moment. "La salle, le traiteur, tout était déjà prêt et payé", se souvient pour BFMTV.com Fiona, directrice de l'agence parisienne d'événementiel Super planner et wedding planneuse de cette célébration transformée en fête de "non mariage".
Après un premier effet de surprise, la majorité des invités a globalement bien pris la nouvelle à l'exception des parents des ex-futurs mariés qui, eux, ne sont pas venus.
Quelques modifications ont tout de même été apportées à la noce initialement prévue: la non mariée n'était pas en robe de mariée, un néon lumineux "boire pour oublier" a surplombé la salle et le gâteau a été coupé en deux -chaque moitié arrivant, au moment du dessert, par deux côtés opposés de la salle.
Autre cas de figure: un nouveau couple qui fête ensemble leurs précédents divorces respectifs. "C'est peu commun", concède pour BFMTV.com Lindsay, de l'agence Lynds Event, décoratrice en région Auvergne-Rhône-Alpes. "Mais c'était une forme de libération pour tous les deux", assure-t-elle. Seule fantaisie de la fête: des lettres lumineuses géantes pour former le mot "divorce".
Une cérémonie "à l'envers"
Parfois, c'est toute l'organisation -des invitations au jour J- qui reprend et détourne les codes du mariage. Pour sa fête de divorce, un couple marié depuis cinq ans mais ensemble depuis bien plus longtemps, a envoyé aux invités un message numérique contenant un Gif (une courte animation). Le message laissait penser, à première vue, à une invitation pour un renouvellement de vœux.
Ce n'est pourtant pas un "yes" (oui) qui apparassait, mais "we said no" (on a dit non). Un deuxième message, ne laissant plus de place au doute, s'affichait alors: le couple disait avoir beaucoup de gratitude pour leurs années passées ensemble, mais que c'était fini. "L'objectif de cette fête, c'était de dire à leurs invités qu'ils n'auraient pas à choisir entre elle et lui", détaille Fiona, de l'agence Super planner.
Pour parfaire le second degré le jour de la fête, un bar à cocktails proposait les boissons détestées par chacun des deux divorcés et un atelier photo invitait les convives à se faire photographier avec des ailes et l'inscription "free as a bird" ("libre comme un oiseau"). "Ça a mis tout le monde à l'aise."
Une cérémonie laïque a également été organisée, mais une cérémonie "à l'envers": les enfants du couple ont retiré les alliances des divorcés. Puis les ex-époux ont prononcé leurs vœux. "Ils se sont promis de se respecter et de prendre soin de leurs enfants", continue Fiona. "C'était très émouvant. "
"Ils ont abordé leur divorce comme un nouveau chapitre de leur vie, avec beaucoup de respect. Les noms de table étaient d'ailleurs des moments de leur vie commune. Et c'était aux invités d'imaginer les prochains en les écrivant sur des petits papiers."