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Non, les régimes n'ont pas disparus des magazines féminins

(Photo d'illustration)

(Photo d'illustration) - Frank Perry-AFP

À l'approche de l'été, la presse féminine dégaine ses articles pour être "sublime à la plage", "galber ses fesses" ou "cuisiner sans gras". Si les numéros spéciaux consacrés aux régimes semblent moins présents, les injonctions à la minceur et à certains canons de beauté sont toujours là.

Si les régimes et éditions spéciales minceur semblent à première vue un peu moins omniprésents cet été dans les kiosques à journaux et en Unes de la presse féminine, les injonctions liées à l'apparence physique des femmes restent toujours aussi nombreuses.

"Il y a des poncifs que l'on retrouve d'année en année, remarque pour BFMTV la sémiologue Élodie Mielczareck. La beauté et la minceur sont toujours mises sur le même plan, ce sont presque des synonymes que l'on peut remplacer."

"On fait toujours la chasse au gras"

En témoignent les Unes de ces dernières semaines. "Un corps d'été, vite! 3 programmes minceur approuvés par la rédaction", ou encore "fesses galbées, ventre tonique, faut-il passer à l'électrostimulation?", titrait l'hebdomadaire Elle au début de ce mois de juin. Pareil en mai et en avril: "Belle tout l'été, tout ce qu'il faut faire dès maintenant", "Les astuces des filles minces et musclées". Et au mois de mars: "Ventre, cuisses, fesses et bras, les techniques qui changent notre silhouette".

Cécile Pineau, professeure de sémiologie des médias à l'Efap, estime pour BFMTV que ces derniers numéros sont frappants. "À l'approche de l'été, il n'y en a pas un sans un article avec une injonction à la minceur." 

"On n'a plus vraiment de numéros consacrés aux régimes mais des 'spécial beauté'. Sachant que beauté signifie minceur. C'est comme si certains termes étaient devenus des gros mots à bannir. Mais en réalité, c'est bien plus insidieux et dangereux. Avoir de belles jambes, cela signifie des jambes minces, galbées, sans cellulite. En fait, on fait toujours la chasse au gras."

"Le corps des femmes prisonnier de ses représentations"

Le vocabulaire employé chez la concurrence est similaire. Le mensuel Marie-Claire propose en ce mois de juin de "reprofiler son corps" avec "yoga fusion, microchirurgie, baumes". Le numéro du mois de mai de Grazia conseillait quant à lui "tout pour un corps sublime" à la mer. Dans le dernier numéro de Version Femina, le "spécial beauté" -annoncé de manière lapidaire en couverture- précise dans le sommaire qu'un "petit rétroplanning s'impose" pour "arriver impec à la plage".

Globalement, le champ lexical associé au "régime" est souvent remplacé par "détox" ou "mieux manger" et "maigrir" par "se raffermir" ou encore "changer de silhouette".

"C'est exagéré de dire que les régimes ont disparu mais on observe un glissement sémantique, ajoute la sémiologue Élodie Mielczareck. L'alimentation est davantage associée à la santé, à l'énergie ou à la bonne humeur. Les références à la cellulite ou à la peau d'orange ont été remplacées par les notions de raffermissement ou de muscles. Mais malgré cette évolution, le corps des femmes reste un objet et le féminin prisonnier de ses représentations."

"On fait peser un objectif sur les femmes"

Une analyse que partage pour BFMTV Raphaëlle Remy-Leleu, porte-parole de l'association Osez le féminisme. "On arrivera à voir dans un an ou deux l'évolution de la presse féminine vis-à-vis des injonctions. Mais des dossiers 'minceur' ou 'préparer son corps pour l'été' et pour 'l'épreuve du maillot de bain', il y en a encore trop."

Le vocabulaire est dorénavant associé au combat, au fait d'agir sur son corps. "On quitte l'objectif unique de l'apparence pour aller vers celui de la force. Mais c'est toujours un objectif qu'on fait peser sur les femmes", poursuit la militante féministe.

Sans doute parce qu'en ces temps de "body positivisme" et d'"empowerment" féminin, certains mots sont devenus tabous. En juin 2017, Elle s'était attiré les foudres de certains internautes pour une couverture mettant en scène une mannequine filiforme avec le titre "- 3 kilos avant le maillot (et même après) nos solutions pour celles qui ne croient plus aux régimes".

Perdre "juste 3 kilos"

L'une des directrices du magazine s'était défendue de toute injonction au régime, arguant que la rédaction avait fait "simple" et qu'il s'agissait dans ce numéro de faire perdre "juste 3 kilos". Une défense jugée maladroite sur les réseaux sociaux.

Selon les internautes, le problème n'était pas de demander aux femmes de ne perdre que trois kilos mais tout simplement de leur imposer systématiquement de changer d'apparence physique pour se mettre en maillot de bain. "Merci Elle de ne jamais manquer une occasion de ramener les femmes à leur corps et leur poids", s'était indignée l'une d'entre elles. "Avec une nana qui fait du 34 en couverture", s'était agacée une autre.

"Foutez-nous la paix avec vos régimes et mannequin anorexique", s'était iritée une autre.

"Vous auriez pu faire encore plus simple... en arrêtant de parler de régime tout court", avait regretté une utilisatrice du réseau social, détournant l'argumentaire du magazine.

Une internaute avait également dénoncé l'idée selon laquelle les femmes ne pouvaient être belles que lorsqu'elles correspondaient aux stéréotypes et canons de beauté imposés par la presse féminine.

82% des Françaises "font attention à leur ligne" 

C'est également ce que dénonce Raphaëlle Remy-Leleu. "La conception même d'une presse féminine centrée sur l'apparence, la cuisine, la beauté, ça montre bien une conception des femmes très réductrice, que ce soit du point de vue de la diversité comme des centres d'intérêt."

La presse féminine s'obstine-t-elle parce que les lectrices sont demandeuses de sujets minceur? Ou bien les lectrices sont-elles obstinées par la minceur à cause de l'omniprésence de ces injonctions? Selon un sondage Ipsos, une femme sur deux se dit sensible au regard des autres sur sa silhouette, un chiffre qui atteint six sur dix chez les 18-24 ans. La question du poids est même leur seconde préoccupation, juste après les soucis financiers. Au total, 82% des Françaises "font attention à leur ligne" et un tiers d'entre elles sont au régime.

Des injonctions à la minceur que les jeunes filles intègrent de plus en plus tôt. Selon une étude publiée en juin 2017 dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire, en une dizaine d'années, le nombre de cas de maigreur chez les filles âgées de 11 à 14 ans est passé de 4,3% à 19,6%. Comme le rapporte Le Figaro, en 2015, la rédactrice en chef de Femme actuelle confiait sur France 2 que "les thèmes minceur font 5 à 10% de ventes en plus". Accompagnées de promotions à la télévision, "elles grimpent de 25 à 30%".

"Le corps féminin n'est pas montrable au naturel"

Pour Aurelie Lambillon, rédactrice en chef beauté de Grazia, si son hebdomadaire "parle toujours de minceur avant l'été", c'est fait "de façon beaucoup plus subtile", assure-t-elle à BFMTV. Et selon elle, les féminins ont de plus en plus tendance à "respecter la diversité des corps".

"On a tendance à beaucoup moins parler de régime, on est beaucoup moins dans l'injonction, le diktat (...) Il n'y a plus un critère de beauté, il y en a plusieurs. On est dans une société qui accepte beaucoup plus les différents corps féminins (...) Ce qu'on aime mettre en avant, c'est une bonne santé physique, une bonne santé mentale, la forme au sens large. Le bien-être est la clé de la beauté."

La sémiologue Cécile Pineau n'est pas d'accord. "Lorsque l'on vous fait comprendre qu'il faut arriver 'impec à la plage', cela sous-entend que le corps féminin n'est pas montrable au naturel, qu'il faut le retravailler. Cela impose aux femmes un idéal de perfection inatteignable, avec en plus une certaine culpabilisation. Car les magazines donnent toutes les 'astuces' et 'techniques', on convoque des grands chefs pour vous apprendre à cuisiner sans gras, donc si vous n'y arrivez pas, c'est de votre faute."

Les stéréotypes des images

Concernant celles qui font la couverture de ces magazines, s'il ne s'agit pas de célébrités, ce sont très souvent des jeunes femmes filiformes, blanches et lisses. C'est ce que dénonce Cécile Pineau.

"Le glissement sémantique des mots n'existe pas encore visuellement. Toute l'imagerie de ces magazines ré-encrent les stéréotypes. Tant qu'il n'y aura pas un renouvellement de l'iconographie, ce sera peine perdue."

Céline Hussonnois-Alaya