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Manga, police scientifique, breakdance: la diversification sans fin des colonies de vacances

Des enfants et leur moniteur sur la plage de Bray-Dunes (Nord) en juillet 2013 (photo d'illustration)

Des enfants et leur moniteur sur la plage de Bray-Dunes (Nord) en juillet 2013 (photo d'illustration) - PHILIPPE HUGUEN / AFP

Au lieu d'une colo à la mer, un séjour "surf van trip". Plutôt qu'une semaine à la campagne, une colo "opération survie". En matière de colonie de vacances, la tendance est au séjour hyperspécialisé. Et l'addition pour les parents peut monter très vite.

Un séjour sur le thème du karting, des chevaliers de la table ronde, du street art, des cascades au cinéma, de la police scientifique, des vikings, de la magie, de l'e-sport, des mangas, de la conduite accompagnée, de Minecraft ou du breakdance? Bienvenue dans l'univers hyper spécialisé des colonies de vacances.

"La grande majorité des colonies sont des séjours à thématique", assure à BFMTV.com Bruno Colin, vice-président de l'Union nationale des associations de tourisme et de plein air (Unat). Qu'il s'agisse d'une activité unique - comme l'équitation - ou plusieurs - par exemple voile et kayak.

"Les colonies traditionnelles et généralistes sont de moins en moins nombreuses", schématise le vice-président.

Aujourd'hui, une colonie de vacances à la mer est intitulée "surf van trip" sur la côte Atlantique avec couchage dans un van aménagé. Plutôt qu'une semaine à la campagne, ce sera un séjour "esprit indien" avec hébergement en tipis, ou bien une "opération survie" avec deux nuits en bivouac sans tente.

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"On 'markette' les séjours mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de contenus", argumente pour BFMTV.com Benoît Fontaine, le directeur de Vacances pour tous, un organisateur de colonies de vacances qui propose cet été 600 séjours et emmène chaque année 50.000 enfants en colonies de vacances.

À l'exemple de son séjour intitulé "les experts du Rouergue", dans l'Aveyron, à destination des 11-15 ans. Le principe: Les enfants se mettent dans la peau d'un détective. "Relevé d'empreintes, récolte d'indices, analyse de traces, tu seras au cœur de l'action pour tenter de résoudre le mystère", annonce la fiche de présentation. Avec amplificateur de sons, jumelles, lunettes vidéo, micros espions et cartes IGN.

"Pour attirer les familles, il faut proposer autre chose", argumente Benoît Fontaine.

Les colos "classiques" en perte de vitesse

Difficile d'avoir une idée précise de leur nombre, les colonies à thème ne sont pas comptabilisées séparément. "Elles sont déclarées administrativement comme des accueils collectifs de mineurs, qu'elles soient généralistes ou avec un support particulier", explique Bruno Colin, de l'Unat.

En revanche, ce qui est clairement chiffré, c'est la perte de vitesse des colonies de vacances "classiques" depuis plusieurs décennies. Seul un tiers des jeunes âgés de 5 à 19 ans a déjà connu au moins un départ en séjour collectif, selon l'Observatoire des vacances et des loisirs des enfants (Ovlej). Ce qui représente, pour l'été dernier, quelque 990.000 enfants.

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À titre de comparaison, au début des années 1960, ce sont 4 millions d'enfants qui partaient en colonies de vacances selon Magalie Bacou, sociologue et chercheuse du CNRS. En 1995, ils n'étaient plus que 1,6 million. Et dans les années 2000, c'était 500.000 enfants de moins.

Pourtant, les colonies de vacances ont plutôt bonne réputation. Les trois quarts de la population française ont une opinion positive des départs en séjours collectifs, note une étude du Crédoc pour l'Ovlej publiée l'année dernière. En particulier chez les professions intermédiaires et les classes moyennes supérieures.

Mais l'un des premiers freins, c'est le coût. Compter 550 euros pour le prix moyen. Ce qui peut aller de 300 euros la semaine pour les colonies les moins chères à plus de 4000 euros pour des voyages de deux à trois semaines hors métropole, selon que l'organisateur du séjour soit une collectivité/association ou un opérateur privé.

"Les enfants de familles modestes partent avec les premières, aidés par la Caisse d'allocations familiales (Caf), ceux des familles aisées avec les seconds", écrit la revue Lien social dans un article consacré aux colonies de vacances.

Conséquence: les enfants des milieux les plus modestes partent moins. Quand 27% des enfants de cadres découvrent les colonies de vacances, cela ne concerne que 10% des enfants d'ouvriers ou d'employés, selon un rapport de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire.

"On est très loin de l'éducation populaire"

Ce qui explique aussi la hausse des prix, c'est la vente de centres de vacances détenus par les collectivités. Ces dernières ne pouvant plus assumer les frais d'entretien des bâtiments, de mise aux normes et d'encadrement des séjours.

Une aubaine pour les opérateurs privés. Ce sont d'ailleurs eux qui ont soutenu et developpé les colonies thématiques à partir des années 1980-1990 avec, pour certaines, des activités haut de gamme. Des séjours devenus "marchands", déplore pour BFMTV.com Saskia Cousin, professeure de sociologie à l'Université Paris Nanterre.

"Ces séjours ciblent les familles avec des revenus plus élevés", poursuit cette anthropologue. "On est très loin de l'idée de l'éducation populaire."

Au printemps dernier, un millier de structures associatives étaient menacées de fermeture faute de financement.

"Cela explique le désamour", considérait pour BFMTV.com Cyril Dheilly, docteur en sciences de l'éducation et spécialiste du sujet. "Ces colonies devenues onéreuses finissent par segmenter les publics. Au détriment des enfants des classes les plus populaires. Aujourd'hui, elles tirent plus vers le tourisme que le loisir."

"Le fond n'a pas changé"

Aujourd'hui, certains de ces séjours à thème font intervenir de véritables professionnels du secteur. C'est notamment le cas pour la colonie "e-sport and sport" encadrée par un joueur professionnel, ou encore le séjour pétanque animé par un joueur star de ce sport. Ce qui ne serait pas un gage de qualité, met en garde l'anthropologue Saskia Cousin.

"Ce dont les enfants ont besoin, c'est avant tout d'animateurs formés avec lesquels ils se sentent en sécurité pour s'autonomiser."

"Ce n'est pas parce qu'il y aura une star de la pétanque que la colo sera réussie."

Mais pour Benoît Fontaine, de Vacances pour tous, l'un n'empêche pas l'autre. "Je ne trouve pas complètement aberrant de faire découvrir aux enfants des activités qu'ils ne connaissent pas." Car selon lui, les activités s'inscrivent dans un vrai projet. "L'idée, ce n'est pas de les empiler mais d'en organiser quelques-unes autour d'une thématique phare et de valeurs comme le vivre-ensemble."

C'est d'ailleurs le premier argument qui séduit les familles. "Les activités font partie des raisons qui font partir les enfants en colonie de vacances", observe Bruno Colin, le vice-président de l'Unat. Dans un sondage Ifop publié en 2021 pour La Jeunesse au plein air, les activités comme critère de décision étaient citées dans un tiers des cas.

Et pour Benoît Fontaine, si la forme de certaines de ces colonies est plus en phase avec les aspirations actuelles, "le fond n'a pas changé".

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV