Les smartphones sont-ils vraiment si nocifs pour notre posture corporelle?

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Il est souvent la première chose que vous touchez le matin. Et la dernière que vous regardez le soir avant de vous endormir. Aujourd’hui, nos smartphones sont devenus tellement importants qu'on en vient presque à les considérer comme un membre supplémentaire de notre corps. Selon l’étude Baromobile de 2018, les Français passeraient en moyenne 1h42 sur leurs écrans de poche, pour 23 consultations par jour. Des chiffres qui grimpent à 2h16 et 33 consultations par jour chez les 15-34 ans. Pour quels effets? Si les impacts sur le sommeil ou la concentration sont souvent évoqués, c’est moins le cas des conséquences sur notre squelette.
Importé des Etats-Unis, le terme "text-neck" a fait son apparition depuis quelques années. En clair, envoyer trop de messages via votre smartphone vous forcerait à baisser la tête beaucoup trop souvent. Ce qui entraînerait des douleurs au cou, et in fine, des déformations de la colonne vertébrale pouvant entraîner une opération chirurgicale. Toujours aux Etats-Unis, des chirurgiens plastiques avançaient même que la posture engendrée par l’abus de smartphone ou de tablette pouvait même développer… les rides de votre cou.
"Ce sont les mêmes maux qu’avaient les tricoteuses à l’époque"
L’usage intensif des smartphones aurait aussi des conséquences directes sur nos mains. Plus particulièrement sur nos pouces. Sur-sollicités lors de la navigation, ils seraient susceptibles de souffrir plus régulièrement de tendinites. Un mal comparable à la ténosynovite De Quervain, dont sont particulièrement victimes les musiciens, les peintres ou les sportifs utilisant leur poignet ou leur pouce. Dans un article du New York Times, en mai dernier, un acupuncteur racontait même que certains de ses patients ne pouvaient même plus utiliser de fourchettes pour manger.
En France, la kinésithérapeute Oriane Rebours a travaillé sur l’impact de ces nouvelles technologies dans un mémoire intitulé "Addiction au smartphone et impact sur le rachis cervical".
"On crée des tensions sur les muscles postérieurs. Les trapèzes par exemple travaillent en permanence quand on penche la tête vers l’avant, qu’on regarde son smartphone ou l’ordinateur. Cela peut entraîner des cervicalgies, des problèmes aux épaules. Et ça peut même provoquer des migraines ou perturber l’appareil mandibulaire. Mais on peut trouver la même chose chez quelqu’un qui reste debout sans bouger. Et ce sont les mêmes maux qu’avaient les tricoteuses à l’époque. Ce n’est pas une pathologie comme la lombalgie. C’est un mot inventé qui n’est pas nouveau."
"Un concept marketing un peu fumeux"
Aux Etats-Unis, certains se sont tout de même spécialisés dans ce domaine très particulier. C'est le cas du docteur Dean Fishman, qui a popularisé le terme il y a une dizaine d’années, après avoir reçu une patiente de 17 ans qui se plaignait d’un mal de cou et de migraines. Aujourd’hui, il n’hésite pas à dénoncer sur son site "une épidémie globale".
"On est tous un peu penchés en avant sur nos portables ou nos tablettes, c’est vrai que c’est une réalité", reconnaît l’ostéopathe Thomas Locher. "Mais pour moi, c’est un concept marketing un peu fumeux inventé par les chiropracteurs américains pour remplir leurs cabinets. Sur certains sites, vous allez voir des vidéos où on apprend à se tenir bien droit, mais aussi des objets en vente pour améliorer la posture. Mais on n’a pas de données qui semblent prouver que l’utilisation d’un smartphone perturbe la posture."
"Passer moins de temps devant le téléphone et bouger"
Si Oriane Rebours reconnaît que "ce n’est pas naturel d’avoir toujours la tête penchée", elle explique qu’elle a surtout mis en évidence la relation entre la douleur et le niveau d’addiction. "En évaluant la pratique d’une activité physique dans la semaine, j’ai aussi remarqué que c’était le niveau de sédentarité qui jouait sur la douleur", indique la kinésithérapeute. "Les personnes qui faisaient moins de sport avaient plus de chances de ressentir des douleurs au niveau du cou. Il suffirait de passer un peu moins de temps devant le téléphone et de bouger. C’est plutôt ça le problème".
S’il ne veut pas "nier le problème en bloc", Thomas Locher assure qu’il ne faut pas non plus se montrer trop inquiet. "Il y a tellement de choses qui peuvent conduire à une cervicalgie qu’accuser le portable, c’est une simplification intellectuelle. Il ne faut pas généraliser en disant qu’en utilisant son portable on aurait forcément un "text-neck". Plutôt que de ne pas faire de sport, fumer 20 clopes par jour et puis essayer absolument de tenir la tête droite en tenant son portable, il vaut mieux dire aux gens d’utiliser leurs portables comme bon leur semble mais les inciter les gens à avoir une activité sportive". Et jouer à Fortnite ou Candy Crush n’en est pas une.