La magistrature française se mobilise pour un "plan d'urgence"

Slogans épinglés sur la robe d'un magistrat à Nantes, lors du mouvement de grève de février. Le monde judiciaire a entamé lundi un nouveau mouvement national de protestation pour demander un plan d'urgence afin de remettre à flot le système, parmi les plu - -
par Thierry Lévêque
PARIS (Reuters) - Le monde judiciaire français a entamé lundi un mouvement national de protestation de deux jours pour demander un plan d'urgence afin de remettre à flot le système, un des plus pauvres d'Europe.
L'action culminera avec une manifestation nationale mardi à Paris, à l'appel d'une vingtaine d'organisations de magistrats, greffiers, avocats, agents de probation, fonctionnaires et gardiens de prison, du palais de justice à l'Assemblée nationale.
Après une "grève" des audiences inédite en février, ce mouvement met sous pression le gouvernement qui prépare pour l'été une réforme voulue par Nicolas Sarkozy et très critiquée, l'introduction de jurés populaires en correctionnelle.
Ce contentieux est la conséquence d'une mise en cause publique de magistrats nantais par Nicolas Sarkozy en janvier, le chef de l'Etat ayant parlé de "fautes" dans le suivi de Tony Meilhon, repris de justice et principal suspect du meurtre d'une jeune fille mi-janvier, Laëtitia Perrais.
Cette accusation avait ulcéré le monde judiciaire. Les services de probation et les juges d'application des peines nantais sont en effet noyés sous les dossiers et contraints d'en délaisser une partie, avec l'accord de leur hiérarchie.
Dans chaque tribunal lundi, les syndicats ont présenté un "état des lieux" des problèmes. Partout ou presque, disent-ils, les retards de traitement s'allongent, les effectifs font défaut et les locaux sont parfois menacés de ruine.
UN DÉBAT À LA PRÉSIDENTIELLE ?
Le ministère de la Justice a répliqué en diffusant des données nationales faisant état d'un effort budgétaire important depuis 2002. "Le ministère de la Justice et des Libertés est le seul où les effectifs progressent de manière continue depuis 2007", lit-on dans un dossier remis à la presse. Le budget de la justice et des prisons a augmenté de 60% depuis 2002, de 4,5 milliards d'euros à 7,1 milliards (2,5% du budget de l'Etat).
Les syndicats disent que ces chiffres restent dérisoires et soulignent que les hausses ne suffisent pas à compenser l'afflux de dossiers, l'activité ayant augmenté depuis 2002 de 67 % en matière civile, et les affaires pénales correctionnelles jugées de 55%.
Un classement établi en 2010 par le Conseil de l'Europe classe la France au 37e rang continental pour le pourcentage du produit intérieur brut (PIB) par habitant consacré à la justice. Il y a deux fois moins de juges en France par habitant qu'en Allemagne, dit ce classement. La France compte moins de fonctionnaires de justice par habitant que l'Arménie.
"Nous exigeons un plan d'urgence pour la justice passant par le recrutement d'agents titulaires, par l'allocation d'un budget à la hauteur de celui des autres démocraties européennes et par l'augmentation significative des moyens accordés à l'accès au droit", dit une proclamation de l'intersyndicale publiée lundi.
Le syndicat estime que le budget annuel de la justice et des prisons devrait être augmenté de deux milliards par an.
Le ministre de la Justice, Michel Mercier, pourrait intervenir cette semaine concernant la mise en oeuvre de ses promesses de février, le recrutement de 400 vacataires pour les greffes et l'exécution des peines, et l'appel à la "réserve judiciaire", composée de magistrats et de fonctionnaires en retraite.
Le sujet des moyens n'est cependant pas encore entré dans le débat politique droite-gauche, centré depuis une trentaine d'années sur des réformes de procédure pénale.
Après l'abandon de facto du projet de supprimer les juges d'instruction, Michel Mercier a été ainsi chargé de faire voter cette année l'introduction de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels, pour juger certains délits.
Ce projet est vivement contesté par l'opposition et la magistrature, qui mettent en cause sa pertinence mais aussi sa faisabilité, car il n'est pas prévu de moyens nouveaux pour indemniser les nouveaux jurés.
Édité par Patrick Vignal