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"Je ne m'expose plus au soleil": le bronzage est-il en train de passer de mode?

Une femme bronze sur la "Grande plage" de Biarritz, le 18 octobre 2022.

Une femme bronze sur la "Grande plage" de Biarritz, le 18 octobre 2022. - GAIZKA IROZ / AFP

Écran total, tee-shirt anti-UV, parasol... Certains et certaines ne s'exposent plus au soleil à la plage. Est-ce la fin du bronzage?

"Plus jeune, j'étais obsédée par l'idée de bronzer." Pendant des années Claire, une chargée de communication de 40 ans, n'a quasiment pas utilisé de crème solaire à la plage, pas même en plein soleil. "Je mettais du monoï pour bronzer encore plus vite", confie-t-elle à BFMTV.com, non sans remords.

"J'en ai eu, des coups de soleil."

Mais aujourd'hui, ce n'est plus le cas. "Même si je m'expose encore au soleil, je me protège beaucoup. Je n'utilise que de la crème solaire avec une protection maximale (SPF 50+, NDLR) et je mets un chapeau. Je ne fais plus du tout la même chose qu'il y a vingt ans."

"C'était le critère de réussite des vacances", se souvient pour sa part Maryse, une enseignante à la retraite de 78 ans. "Il fallait rentrer bronzé, il fallait que ça se voie." "Sans aucune trace de bretelle", précise cette Seine-et-Marnaise. Elle se remémore ainsi des coups de soleil qui la brûlaient tellement qu'ils l'empêchaient de dormir.

"Je me rappelle avoir été entièrement rouge, sauf à l'emplacement du maillot. 0n cramait littéralement."

Aujourd'hui, Maryse n'a plus du tout le même point de vue sur les choses, elle qui ne s'expose plus au soleil. "C'était complètement idiot: à la rentrée, on vérifiait le bronzage des autres du coin de l'œil. Celui ou celle qui n'était pas bronzé, on le plaignait, on savait qu'il n'était pas parti."

"Les vacances, c'était le soleil."

Alors, finies les heures passées au soleil pour obtenir un hâle cuivré? "La tendance de la peau très bronzée, voire brûlée au soleil que l'on voyait beaucoup dans les années 1970 et jusqu'aux années 1990 n'est plus dans l'air du temps", observe Vincent Grégoire, directeur de la prospective au sein de l'agence de conseil Nelly Rodi.

"Notre rapport au soleil a changé"

À l'origine de ce changement de paradigme, la prise de conscience des méfaits du soleil. Pour rappel, chaque année, entre 140.000 et 240.000 nouveaux cas de cancers de la peau sont diagnostiqués, selon Santé publique France. Et chaque année, quelque 1800 décès sont liés à un mélanome.

"Les campagnes de prévention ont fait leur chemin, la population a intégré l'idée qu'il fallait se protéger du soleil", abonde pour BFMTV.com Christophe Bédane, professeur de dermatologie au CHU de Dijon. En particulier depuis le classement en 2009 par le Centre international de recherche sur le cancer (une agence de l'Organisation mondiale de la santé) des rayons ultraviolets (UV) comme cancérigènes.

"En plus de la question de la cancérologie, le fait que le soleil abîme la peau et entraîne un vieillissement cutané accéléré est davantage connu est compris", ajoute Christophe Bédane, également membre de la Société française de dermatologie. La preuve: il reçoit de moins en moins de cas de tanorexie (l'addiction au bronzage, NDLR) en consultation.

Pour le philosophe Bernard Andrieu, c'est plus globalement "notre rapport au soleil qui a changé." Surtout avec la multiplication des canicules et la prise de conscience des effets du changement climatique. "Le soleil est aujourd'hui davantage associé à la chaleur et à l'idée de s'en protéger", analyse pour BFMTV.com ce professeur en Staps à l'université Paris Cité.

C'est ce qu'explique Claire, interrogée au début de l'article. "À l'époque, je ne me méfiais pas du soleil, je ne pensais pas m'exposer à un danger", se souvient-elle. La quadragénaire regrette ainsi d'avoir été "inconsciente" des risques qu'elle prenait alors.

"Je ne vois plus le soleil de la même manière."

"L'ombre, c'est l'endroit le plus cool de l'été"

Illustration de ce changement d'appréciation avec la dernière campagne de prévention de l'Institut national du cancer. Son slogan: "L'ombre, c'est l'endroit le plus cool de l'été". Dans cette communication, il ne s'agit plus seulement d'appliquer de la crème solaire, de porter un chapeau et de privilégier les heures les moins chaudes. Il n'est tout simplement plus question de s'exposer au soleil.

"C'est quelque chose de tout à fait nouveau", pointe encore le philosophe Bernard Andrieu, également auteur de Bronzage: une petite histoire du soleil et de la peau. "Dans le passé, les messages sanitaires consistaient à se protéger du soleil."

"Il s'agit maintenant de rester à l'ombre. C'est un renversement total."

C'est ce que fait désormais Laetitia. "Depuis plusieurs années, je ne m'expose plus au soleil", confie cette jeune femme de 38 ans. Si cette intermittente du spectacle continue de partir en vacances en été à la mer, elle reste sous un parasol à la plage, voire se couvre les jambes d'une serviette si l'ombre n'est pas suffisamment grande. Et quand elle va se baigner aux heures les plus chaudes, elle porte un tee-shirt à manches longues anti-UV.

Pourtant, plus jeune, Laetitia appréciait avoir le teint hâlé en rentrant de ses vacances. "Je voulais faire comme tout le monde", se souvient-elle. "Mais pour avoir un peu de résultat, ça me demandait de m'exposer beaucoup. Et je me suis rendu compte que c'était très mauvais pour ma peau." Résultat: plus une seule trace de bronzage, "et ça me convient très bien".

Un bronzage "plus maîtrisé"

La fascination pour les peaux dorées, de Brigitte Bardot à Romy Schneider, aurait-elle cédé du terrain face aux stars au teint d'albâtre, des sœurs Fanning à Emma Stone en passant par Jennie, la chanteuse vedette du groupe Blackpink? C'est ce que pressent Vincent Grégoire, du bureau de tendances Nelly Rodi, qui décèle d'ailleurs l'influence des cultures asiatiques dans la régression de la mode du bronzage.

"La K-beauty (liée à la K-pop, un genre musical venu de Corée du Sud qui rencontre un succès planétaire et dont le groupe Blackpink est l'un de ses représentants les plus célèbres, NDLR) prône une certaine blancheur de la peau. Il y a certainement une influence auprès des plus jeunes générations."

Mais ceux et celles qui ont totalement renoncé au bronzage, comme Laetitia, restent rares dans le paysage des estivants. "Il suffit de regarder une plage en plein été", pointe le professeur de dermatologie Christophe Bédane. "On peut quand même souligner des pratiques plus raisonnables, notamment envers les enfants."

Car l'heure n'est pas encore venue à l'absence totale de bronzage. Vincent Grégoire, le spécialiste des tendances à venir, reconnaît que "la petite marque de bronzage" reste "appréciée" voire "sexy" par les marques. Il ne s'agit donc plus de bronzer, mais de contrôler son bronzage. Preuve en est du développement des crèmes de jour, cosmétiques, rouges à lèvres, mais aussi vêtements anti-UV.

"La tendance est à un bronzage plus maîtrisé", poursuit Vincent Grégoire.

80% des cancers liés à une exposition excessive

Une analyse que partage le philosophe Bernard Andrieu. "De nos jours, être entièrement et très bronzé n'est plus un signe de bonne santé. Contrairement au bronzage contrôlé, sans brûlure ni coup de soleil." Marie-Estelle Roux, dermatologue et vénérologue, dresse le même constat. "Quelqu'un qui est bronzé est encore perçu comme quelqu'un qui a bonne mine", regrette-t-elle pour BFMTV.com.

"Et malheureusement, l'envie d'être bronzé résiste."

Sans compter que le bronzage demeure un marqueur social. "Quand on part une semaine par an en vacances, il y a encore l'idée de pouvoir le montrer", ajoute Bernard Andrieu. "Le bronzage en est la preuve et permet de se démarquer."

Alors que 80% des cancers de la peau restent liés à une exposition excessive au soleil, les trois quarts des Français ne se protègent toujours pas systématiquement du soleil lors d'activités en extérieur, selon un sondage Ipsos réalisé en 2023 pour le Syndicat national des dermatologues-vénéroloques. Ce que déplore Marie-Estelle Roux, membre de ce syndicat.

"S'exposer au soleil, ce n'est pas uniquement dans un transat ou sur une serviette à la plage ou à la piscine."

Et alors que quatre Français sur cinq s'exposent toujours entre 12 heures et 16 heures, quand les rayons émis par le soleil sont les plus intenses et nocifs, cette dermatologue rappelle qu'il est impératif de se protéger du soleil "dès qu'on est dehors, qu'il s'agisse de se promener, faire du sport, jardiner ou même tout simplement aller au marché".

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV