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Un professionnel de santé, avec un stéthoscope dans les mains.

Flickr - CC Commons - A. Proimos

"Je l'ai fait parce que je suis un être humain": ces médecins racontent pourquoi ils ont aidé des patients à mourir

Alors qu'a lieu ce mardi 27 mai à l'Assemblée nationale le vote solennel concernant la proposition de loi sur la fin de vie et l'aide médicale active à mourir, BFMTV.com a recueilli les témoignages de médecins qui aident ou ont aidé des patients à mourir. Un choix qu'ils défendent face à une loi "mal faite", qui "ne permet pas toujours aux malades de partir dignement".

"À mon âge, je n'ai plus peur qu'on me tombe dessus". Bernard Senet, 76 ans, médecin généraliste à la retraite et originaire de l'Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse), assume tout: le médecin a permis à des malades en fin de vie de mourir sur le territoire français.

Une pratique totalement interdite que le Code de la santé publique rappelle: "Le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments (...). Il n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort".

Ces "ultimes soins" prodigués à la personne en fin de vie, Bernard Senet les qualifie cependant de "nécessaires". Une manière d’écouter, selon l’ancien praticien en soins palliatifs, "ces gens condamnés à endurer au quotidien une souffrance qui désespère et qui rend fou."

"Contrairement à certains de mes confrères, j'ai refusé de regarder des humains mourir à petit feu sans lever le petit doigt. Ce que j'ai fait, je l'ai fait parce que je suis un être humain", ajoute-t-il d'un ton assuré.

Auprès de BFMTV.com, Bernard Senet persiste et signe: il témoigne à visage découvert, afin de mettre fin à "l'hypocrisie du corps médical". "J'ai été médecin durant 35 ans, j'ai aidé des malades à mourir chaque année."

"On l'a toujours fait"

Dans le milieu médical, son nom circule. Bernard Senet a fait de l’aide active à mourir son cheval de bataille et le fait savoir. Dans les années 1990 déjà, l’homme s’était entretenu avec Mireille Dumas sur la plateau de l’émission de télé Bas les masques. Il avait alors prononcé un mot perçu comme tabou: "euthanasie". "Je refuse l'anonymat qui ne fait que retarder le vote d'une loi et conforte l'hypocrisie du corps médical", indique-t-il.

"On l'a toujours fait. Il faut arrêter de croire que cela n'existe pas parce que la loi est mal faite et ne permet pas toujours aux malades de partir dignement lors d'une sédation profonde", détaille Bernard Senet.

L'homme fait ici référence à l'actuelle loi française encadrant la fin de vie, la loi Claeys-Leonetti de 2016. Une disposition permettant aux patients qui le réclament d’être sédatés de manière continue jusqu’à la mort. "Ce qui ne veut rien dire", tranche Bernard Senet. "Allons-nous encore longtemps tourner autour du pot? Allons-nous encore longtemps regarder des gens agoniser après avoir arrêté de les hydrater?".

"Concernant les patients atteints par la maladie de Charcot: on leur annonce que leur espérance de vie est très limitée, puis qu'ils vont probablement se voir mourir. En revanche, ils ne pourront pas choisir de partir avant s'ils le souhaitent", argue-t-il encore, taclant la loi actuelle.

Le médecin raconte les jours de "torture" qui peuvent faire suite après l'arrêt des soins et de leur alimentation. La mort peut prendre plusieurs jours à arriver. Certains patients "ont le cœur qui tient bien", quand bien même le corps n'est plus alimenté, poursuit-il. "Un supplice", "un enfer" voire "une fin terriblement brutale" qu'on impose aux patients et à leurs proches.

Des "groupes" de médecins

Malgré la loi, Bernard Senet assure qu’il est possible pour des médecins d’obtenir des médicaments permettant de donner la mort, y compris "par des chemins détournés" comme en faisant venir des substances depuis l’étranger.

"La plupart du temps, le médecin n'agit pas seul. Il existe des 'groupes' de professionnels de santé qui étudient les dossiers. Toutes les demandes ne sont pas satisfaites et les 'actes' ne sont pas si fréquents que cela", détaille Bernard Senet.

Derrière le médecin qui tient la seringue, il peut donc y en avoir plusieurs autres. Une forme d'organisation souterraine qui permet de partager la charge que représente cet accompagnement vers la mort, qui reste tout à fait illégal. Certains sont chargés de se procurer de puissants analgésiques et morphiniques, d'autres de délivrer des certificats de décès.

D'ailleurs, Bernard Senet est mis en examen pour "complicité d'achat de produits interdits". Au cours de perquisitions menées en 2020, du Pentothal, un puissant barbiturique utilisé en bloc opératoire lors d'anesthésies, a été retrouvé à son domicile.

"À l'heure actuelle, je ne suis pas inquiété pour des actes quelconques, mais pour possession de la substance. C'est comme si j'étais un 'dealer' de drogues", philosophe le médecin retraité.

Bernard Senet est appelé à comparaître devant le tribunal judiciaire de Paris du 15 septembre au 9 octobre prochains, comme le rapporte Ici Vaucluse.

Un secret de famille

Loin d'être le seul à avoir pratiqué l'aide active à mourir en France quand bien même celle-ci est illégale, Bernard Senet est en revanche l'un des rares soignants à prendre la parole publiquement et sans avoir recours au pseudonyme. Selon ses dires, ils sont plusieurs centaines à "soulager les malades", comme lui, dans l'ombre. Contacté à ce propos, l'Ordre des médecins n'a pas répondu à nos sollicitations.

Pascal*, est l'un de ces médecins qui souhaite garder l'anonymat. Ce praticien à la retraite, pratique depuis plusieurs années "des fins douces". Il refuse de dévoiler son identité, même si dans son entourage, "tout le monde sait". À commencer par son épouse et ses enfants.

Au-delà du cercle familial, les actes de Pascal deviennent des "secrets bien gardés" également par les proches des personnes qu'il accompagne. Des secrets pour les familles de ceux qui partent, mais aussi pour la sienne; une famille solidaire, qui craint parfois de le voir "empêtré dans de sales histoires".

"On crée un secret de famille. Nous sommes dans l'intime, inévitablement, et dans l'humain. Il arrive parfois qu'on soit une petite dizaine, là, pour accompagner une femme ou un homme. Pour faire ce geste, pour accepter le choix de son proche d'y recourir, il faut beaucoup d'amour", insiste-t-il.

Pour autant, lorsqu'il revient chez lui, Pascal n'entre jamais dans les détails. Il y met un point d'honneur, par respect. Par pudeur, aussi. Lui qui décrit son geste comme un "accompagnement fraternel et un soin profond" qui nécessiterait la mise en place d'un système légal structuré et par lequel serait également pensé le suivi des soignants impliqués. "Il faudrait aussi songer aux maladies curables, mais totalement invalidantes ainsi qu'aux hadicaps majeurs", confie-t-il.

"Certains proches de malades émettent des réticences face à l'acte. Dans ces cas-là, je ne fais pas le geste. Mais, bien souvent, ils se rangent du côté de l'amour et de la compréhension. La communication est la clef, le suivi aussi", ajoute Pascal.

Et pour cause, il y a des jours où le médecin repense aux derniers instants de ses patients, à leurs derniers mots, à leurs remerciements juste avant de fermer les yeux. "Ça me poursuit, mais j'en parle avec des pairs bienveillants. Au fond de moi, je ressens de la sérénité parce que j'ai aidé une personne à accéder à une fin libératrice."

Euthanasie ou suicide assisté?

Dans les deux cas, il sera toujours question d'un acte découlant d'une demande expresse du patient en fin de vie. La nuance entre aide active et suicide assisté se situe davantage dans la mise en pratique; une nuance qui nourrit, par ailleurs, le débat pour une nouvelle législation en France.

"Je souhaiterais parfois que des personnes qui se déclarent contre (l'aide active à mourir) assistent aux souffrances insupportables des personnes faisant cette demande", confie Pascal.

Pour lui, il y a une nécessité à comprendre. Comprendre l'autre, comprendre sa souffrance et l'écouter pour lui laisser le choix "jusqu'au bout". Et s'il hait profondément le terme "euthanasie", Pascal trouve néanmoins que son processus est "plus juste".

À l'instar du législateur belge, le médecin à la retraite milite pour laisser le choix à la personne de recourir à l'aide active à mourir sans l'obliger à s'administrer elle-même le produit létal. Un geste qui découragerait les malades et conforterait la position des médecins réfractaires à toute nouvelle loi sur le sujet. "C'est au soignant que revient la responsabilité de donner la mort, c'est son rôle que d'assister activement son patient jusqu'au dernier souffle", défend Pascal.

"L'hypocrisie française"

Ce mardi 27 mai, la proposition de loi relative à l'aide à mourir fera l'objet d'un vote solennel à l'Assemblée nationale, avant qu'il soit étudié au Sénat. Le texte présenté par le gouvernement a été scindé en deux: l'un concernant les soins palliatifs et l'autre dédié à l'aide active à mourir.

"Ce n’est pas la même question", défendait en janvier le Premier ministre François Bayrou. "Si deux sujets sont examinés, il faut pouvoir voter sur chacun de ces deux textes différemment si on en a envie."

"Une illustration de plus de l’hypocrisie française", s’agace Bernard Senet. "Il est évident que tout le monde adoptera le texte sur les soins palliatifs, se donnant bonne conscience. Et puis l'autre alors? On repoussera l'échéance, encore et toujours."

Mardi 13 mai, Emmanuel Macron s'est dit prêt à soumettre la loi sur la fin au vote des Français par le biais du référendum en cas de blocage législatif.

Pour Bernard Senet, "l’intégrisme religieux" et la "peur des médecins de perdre leur toute-puissance de vie et de mort sur le patient" sont les freins à l'avancée de ce sujet. "Il ne faut pas qu’il y ait les 'pour' et les 'contre', c’est ridicule de penser l'aide active à mourir comme cela. Il faut que les gens puissent avoir le choix, c’est tout."

"On ne va pas tuer les vieux, comme j’ai pu le voir ici et là", ajoute quant à lui Pascal.

*Le prénom a été modifié.

Camille Dubuffet