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"Incompréhension totale": la préfète d'Isère veut l'annulation des congés menstruels proposés par des mairies

Une femme souffrant de règles douloureuses, à Toulouse, le 1er mars 2023. (photo d'illustration)

Une femme souffrant de règles douloureuses, à Toulouse, le 1er mars 2023. (photo d'illustration) - Charly TRIBALLEAU / AFP

La préfecture de l'Isère a renvoyé devant le tribunal administratif les congés menstruels, IVG et deuxième parent des villes de Grenoble, Échirolles, Seyssinet-Pariset et de la métropole Grenoble-Alpes.

Des collectivités iséroises dénoncent un "recul social". Les villes de Grenoble, Échirolles, Seyssinet-Pariset et la métropole Grenoble-Alpes déplorent la demande de la préfecture de l'Isère d'annuler des dispositifs en faveur de l'égalité femmes-hommes destinés à ses équipes, comme le rapporte France 3.

Une demande effectuée auprès de ces collectivités territoriales après la mise en place des congés menstruels, des congés IVG et des congés deuxième parent.

Les villes d’Échirolles et de Seyssinet-Pariset ont ainsi reçu de la part de la préfecture de l’Isère "une demande d’abrogation 'sans délai' de leurs délibérations concernant le congé menstruel (et alors que des agents y ont déjà recours)", relatent les collectivités concernées dans un communiqué du 22 janvier.

De son côté, la ville de Grenoble, qui avait allongé de 30 jours le congé deuxième parent (aussi appelé congé paternité) de ses agents pour qu'il se rapproche de la durée du congé maternité, "a reçu un référé suspensif au tribunal administratif". La métropole de Grenoble-Alpes avait aussi créé un congé menstruel et un congé deuxième parent, ainsi qu'un congé IVG (2 jours d’absence dans les 7 jours qui encadrent l'interruption de grossesse), entrés en vigueur le 1er janvier. Ces trois dispositifs "sont également sous le coup d’un référé suspensif", énonce le communiqué.

"Un sérieux doute" sur la légalité de ces congés

Dans un courrier envoyé à Grenoble-Alpes Métropole que BFMTV.com a pu consulter, la préfète de l'Isère, Catherine Seguin, estime que les mesures mises en place présentent "un sérieux doute" quant à leur légalité.

En cause: les autorisations spéciales d’absence (ASA) qu'induisent ces dispositifs. Les fonctionnaires et agents de la fonction publique sont autorisés à s'absenter pour certains événements tout en étant rémunérés grâce aux ASA. Celles-ci sont distinctes des congés payés. Elles sont par exemple octroyées en cas de mariage ou pour un décès familial.

Auprès de BFMTV.com, la préfecture de l'Isère souligne que "le cadre légal en vigueur n’ouvre pas le droit au bénéfice d’une ASA pour raison de santé (lorsqu’il est dénué de lien avec la parentalité)". "Les délibérations des collectivités créent donc de nouvelles catégories d’ASA", ajoutent les services de l'État. La préfecture estime aussi que les congés créés par les collectivités créent "une rupture d’égalité et de parité" entre les trois versants de la fonction publique (État, territoriale et hospitalière) au niveau du temps de travail.

"Aussi, en l’état actuel de la législation, la création par les collectivités de nouvelles catégories d’autorisation spéciale d’absence est irrégulière. Catherine Séguin, préfète de l’Isère, a décidé de déférer ces délibérations au tribunal administratif", ajoute la préfecture.

"Incompréhension totale"

Le maire PS de Seyssinet-Pariset, Guillaume Lissy, a fait part à France 3 de son "sentiment de révolte" face à l'initiative de la préfecture. "On est dans une époque difficile, on parle partout des droits des femmes et je trouve incroyable que l’État se préoccupe davantage d’attaquer les droits qu’on essaye de mettre en place plutôt que d’en faire naître de nouveau. Alors qu'en plus, ça ne gêne personne! Je suis dans l’incompréhension totale". L'édile refuse de retirer ses mesures: "si l’État souhaite attaquer notre délibération, on verra ce que le juge décide".

Dans leur communiqué commun, Christophe Ferrari (divers gauche), président de Grenoble-Alpes Métropole, Éric Piolle (Les Écologistes), maire de Grenoble, Amandine Demore (PCF), maire d’Échirolles et Guillaume Lissy dénoncent un message "inadapté" de la part de la préfecture. Ils interpellent le gouvernement, notamment le Premier ministre, François Bayrou, et Aurore Bergé, ministre en charge de l’Égalité femmes-hommes, et leur demandent de "se positionner nationalement" sur le sujet.

Des dispositifs suspendus en Haute-Garonne

D'autres collectivités françaises ont mis en place un congé menstruel comme l'Eurométropole de Strasbourg qui expérimente un "congé de santé gynécologique", permettant aux agentes souffrant de douleurs menstruelles, d'endométriose ou de symptômes liés à la ménopause de disposer de 13 jours annuels d'absence exceptionnelle. La région Nouvelle-Aquitaine, Saint-Ouen ou la métropole de Lyon, ont lancé des initiatives similaires. 

La question de leur légalité dans la fonction publique fait toutefois débat depuis plusieurs mois. En novembre, les congés menstruels proposés par la commune de Plaisance-du-Touch et la communauté de communes du Grand Ouest Toulousain à leur personnel ont été suspendus par le tribunal administratif de Toulouse.

Celui-ci a considéré que les collectivités "ne peuvent mettre en place des autorisations spéciales d’absence au bénéfice des agentes de leur collectivité ou de leurs établissements souffrant de règles douloureuses, d’endométriose, d’adénomyose ou de dysménorrhées en l’absence, à ce jour, de dispositions législatives ou réglementaires le permettant."

Aussi, les collectivités de l'Isère visées par une procédure similaire appellent le Parlement à "conforter législativement" leurs initiatives. Une proposition de loi visant à instaurer un congé menstruel au niveau national a été rejetée par le Sénat en février 2024.

Sophie Cazaux