Tétines, punitions... Que dit vraiment le nouveau guide à destination des personnels de crèche?

Des enfants jouent avec des outils pédagogiques dans une crèche de l'hôpital Saint-Louis à Paris, le 12 octobre 2018. - Thomas SAMSON / AFP
Début juillet, le ministère des Solidarités a publié son "référentiel national de la qualité d’accueil du jeune enfant", sorte de guide destiné aux professionnels de la petite enfance. Le document recense les recommandations officielles pour les personnels des crèches notamment: quelle place donner aux parents dans les lieux d'accueil, comment gérer l'exposition aux écrans, comment aborder les émotions avec les enfants...
Sur son site, le ministère explique que ce guide a fait l'objet d'un long processus. Des groupes de travail "rassemblant près de 200 professionnels, acteurs institutionnels, élus, gestionnaires, représentants des parents et universitaires" en ont d'abord fait une ébauche.
Celle-ci a ensuite été testée auprès de "près de 2.000 acteurs de la petite enfance, ainsi que des équipes de l’accueil collectif et d’assistants maternels". Puis, il a été relu par des professionnels et des universitaires.
Une tribune critique le référentiel
Le 20 août, dans une tribune publiée dans Le Point, un collectif comprenant des professionnels des secteurs de la psychologie et de la psychiatrie a fustigé ce référentiel. Parmi les 600 signataires se trouvent notamment la psychologue clinicienne pour enfants et adolescents Caroline Goldman, psychologue clinicienne pour enfants et adolescents et la pédopsychiatre et psychanalyste Caroline Eliacheff.
Mais aussi de nombreuses personnes ne travaillant pas dans le secteur de la petite enfance, comme la philosophe Elisabeth Badinter, un avocat, des personnes signant en tant que "parent" ou "grand-parent"...
Selon les auteurs de la tribune, le référentiel considère que "tous les enfants sont subitement devenus des enfants polytraumatisés appelant réparation, toute obéissance est devenue signe de soumission et toute sanction parentale est devenue maltraitance".
D'après eux, le guide estime aussi que "l'agressivité des enfants n'existerait pas". Ils affirment aussi que le référentiel "encourage l'expression de toute frustration sans cadre" et assimile "toute mise à l'écart à une violence éducative". Enfin, ils déplorent que "'l'éducation positive dévoyée' devienne la norme dans les crèches françaises".
Des émotions qui doivent pouvoir s'exprimer
Que dit réellement ce guide? Il n'affirme pas que tous les enfants sont "polytraumatisés", mais que les plus jeunes ne sont pas en mesure de réguler seuls leurs émotions en raison de l'immaturité de leur cerveau. Les pleurs, par exemple, sont une "alarme" qui traduit un "besoin insatisfait": faim, sommeil, douleurs, besoin d'être pris dans les bras...
En revanche, le référentiel explique que "lorsque l’enfant pleure de manière particulièrement intense et répétée durant le temps d’accueil, les professionnels s’interrogent sur la raison de ces pleurs, en lien avec la famille, afin d’identifier les difficultés que pourrait rencontrer l’enfant à son domicile ou dans le lieu d’accueil".
La tribune reproche au référentiel d'"encourager l'expression de toute frustration sans cadre". Ce n'est pas exactement ce que dit le document. Il explique bien que l’expression des émotions ne doit pas faire l’objet d’interdits: "par exemple, la colère peut s’exprimer par des cris, des objets jetés… L’enfant doit pouvoir exprimer cette colère.
L’adulte lui propose une façon de l’exprimer sans dégrader le matériel, se blesser ou blesser un autre enfant." Mais le guide appuie aussi sur le fait qu'un enfant "a besoin d’un cadre fourni par l’adulte pour se sentir en sécurité et se développer", qui passe par des règles, des repères et des interdits.
Pas de punitions
Contrairement à ce qu'affirme la tribune, le guide ne nie pas l'existence de comportements agressifs chez les enfants. Il explique simplement que cette agressivité n'est pas comparable à celle dont pourrait faire preuve un adulte et qu'elle vient de l'immaturité de leur cerveau, pas encore tout à fait capable de contrôler ses émotions.
Le référentiel reconnaît qu'"un pic d’agressivité est habituellement observé entre 2 et 3 ans" et que ces comportements peuvent "être une source d’inquiétude et de stress pour les professionnels comme pour les parents, notamment les morsures". Dans ces situations, "le professionnel rappelle calmement à l’enfant la règle et le comportement attendu, interroge et nomme les émotions qu’il peut ressentir, et propose des solutions pour agir autrement", préconise le document.
La tribune déplore que les professionnels de la petite enfance n'auront "plus le droit" de sanctionner l'enfant en le mettant à l'écart du groupe". En effet, le référentiel affirme que "lorsque l’enfant ne répond pas aux règles, limites et interdits, la punition (paroles dévalorisantes, coin, isolement,…) est proscrite par la loi, elle est contre-productive et défavorable à l’enfant".
Il explique qu'elle "peut faire cesser le comportement non désiré sur le moment", mais que "ce type de pratiques peut renforcer sur le long terme les comportements inadaptés et/ou les attitudes d’opposition". Il est donc conseillé aux professionnels de se mettre à l'écart avec l'enfant pour favoriser un retour au calme et de parler avec lui du comportement attendu de lui, en proposant des solutions et des alternatives.
Un guide amené à évoluer
Enfin, contrairement à ce que sous-entend la tribune, le référentiel ne préconise pas d'"empêcher" un enfant d'utiliser une tétine lorsqu'il est en tension. Il explique simplement qu'elle ne doit pas dispenser les professionnels d'être présents pour l'enfant et qu'ils ne doivent pas l'utiliser pour l'empêcher d'exprimer son émotion.
Sur son site, le ministère dit attendre les remontées des acteurs du secteur de la petite enfance sur ce guide qui est amené à être "mis à jour périodiquement", en fonction de l'évolution des pratiques et des connaissances.