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Dictionnaires, correcteurs orthographiques: pourquoi l'influence de l'Académie est sur le déclin

Les membres de l'Académie française réunis pour leur session annuelle, le 1er décembre 2016 à Paris.

Les membres de l'Académie française réunis pour leur session annuelle, le 1er décembre 2016 à Paris. - Eric Feferberg - AFP

L'Académie française a adopté ce jeudi un rapport sur la féminisation des noms de métiers. Un texte qui arrive tard, après des décennies de critiques, et pose la question du crédit des Immortels face aux évolutions de la société.

Auteure, autoresse, authoresse, autrice? Après des décennies à freiner des quatre fers face au vent de la féminisation des noms de métiers, l'Académie française s'est résolue à se pencher sur la question. Ce jeudi, elle a adopté "à une large majorité" un rapport sur la féminisation des noms de métiers et de fonctions qui, s'il ne tranche pas sur les mots à adopter, fait état des différentes manières de féminiser une profession et des incertitudes qui subsistent.

Après plusieurs décennies de critiques et sorties de ces Immortels contre la féminisation des noms de métiers, la prise de parole de l'Académie est marquante. Mais quelle est aujourd'hui son influence? Ce rapport va-t-il seulement changer quelque chose?

"Elle est très précurseuse dans l'invention du 'masculin qui l'emporte'"

L'Académie se garde bien d'imposer une alternative à qui que ce soit. Elle se veut garante du "bon usage" et affirme ne faire qu'inscrire les évolutions naturelles de la langue pour la postérité.

Ce que nuance toutefois Eliane Viennot, professeuse émérite de littérature française: "Il y a toujours deux discours de l'Académie: le discours 'De toute façon nous on arrive, on est la 'voiture-balai', on signale ce qui s'est imposé', celui qu'on a dans ce rapport". Puis, poursuit-elle: "L'autre discours qui est complètement contradictoire, c'est 'Il ne faut pas dire ça, il faut dire ça', le discours prescriptif".

Notamment, au XVIIe siècle, lorsqu'elle s'est penchée sur les accords."Elle est très précurseuse dans l'invention du 'masculin qui l'emporte'. Ca date du XVIIe siècle", rappelle à BFMTV.com Eliane Viennot, par ailleurs co-autrice de L'Académie contre la langue française: le dossier "féminisation".

Plus tard, "ils ont été extrêmement opposés à la féminisation", martèle Bernard Cerquiglini, auteur, entre autres, de Le ministre est enceinte ou La grande querelle de la féminisation des noms. "D'une façon extrêmement hautaine, arrogante", ajoute l'éminent linguiste, qui cite notamment les propos de Maurice Druon.

En 1997, l'écrivain, alors secrétaire perpétuel de l'Académie, déclarait: "Libre à nos amies québécoises, qui n'en sont pas à une naïveté près en ce domaine, de vouloir se dire 'une auteure', 'une professeure' ou 'une écrivaine'; on ne voit pas que ces vocables aient une grande chance d'acclimatation en France et dans le monde francophone".

"Ils défendaient un usage du XIXe siècle"

"Ils défendaient un usage qui était au fond celui du XIXe siècle, l'usage de l'époque où les femmes n'avaient pas accès aux professions éminentes", résume Bernard Cerquiglini à BFMTV.com.

L'administration n'a pas attendu les Immortels pour harmoniser les noms de métiers à la présence des femmes dans leurs rangs. En 1984, dans les traces du Québec, est créée en France une "Commission de terminologie relative au vocabulaire concernant les activités des femmes". Une première circulaire de Laurent Fabius, alors Premier ministre, est court-circuitée, avant que Lionel Jospin n'en fasse une nouvelle en 1998.

Les dictionnaires d'usage courant comme le Larousse ou le Petit Robert ont intégré les professionnelles dans leurs lignes bien avant que l'Académie ne se décide.

Néanmoins, le rapport des Immortels reste une étape significative. "Il n'apporte rien, mais pour moi il est important dans le sens où il donne le feu vert. Donc toutes les personnes qui s'accrochaient à l'avis de l'Académie pour pouvoir refuser les évolutions de la langue n'ont plus de rempart", salue Eliane Viennot, par ailleurs autrice de Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin! Petite histoire des résistances de la langue française.

Aujourd'hui, les chartes typographiques des médias et les auto-correcteurs de téléphones ont bien plus d'influence sur la perception et l'acceptation des mots que l'avis d'éminentes figures de la littérature francophone.

"A la prochaine réforme de l'orthographe, c'est facile: on réunit les fabricants de correcteurs orthographiques"

"Un jour, je disais, à la prochaine réforme de l'orthographe, c'est facile: on réunit les fabricants de correcteurs orthographiques, on tombe d'accord avec eux et puis voilà, c'est facile. C'est ça la vraie prescription", plaisante auprès de BFMTV.com Bernard Cerquiglini.

"Les faiseurs et diffuseurs de normes ont une énorme influence", confirme Eliane Viennot. "C'est eux qu'il faut convaincre aujourd'hui et c'est d'ailleurs grâce à eux que depuis dix ans, on entend autrice et que tous les ans il s'impose plus", salue-t-elle.

"Au plan du droit, c'est elle qui décide de l'orthographe"

Qu'est-ce que va changer ce rapport? "Dans les faits, rien, puisque tout le monde féminise. Mais dans le symbole, tout", affirme Bernard Cerquiglini. "Au plan du droit, les statuts de l'Académie de 1635 sont toujours valables. (...) L'Académie doit donner des règles simples aux Français. Au plan du droit, c'est elle qui décide de l'orthographe", rappelle-t-il.

"Il faut bien dans un pays qu'il y ait une instance qui définisse le bon usage", estime le linguiste. "Et l'homme de la rue a une certaine révérence vis-à-vis d'elle."

"C'est un symbole qui en ce moment est en train d'évoluer correctement, et on ne peut que s'en réjouir", poursuit-il. "Et Maurice Druon, ce sont ses propres confrères qui sont en train de l'enterrer."

Liv Audigane